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mardi, 25 mai 2010

L'apport de G. Faye à la "Nouvelle Droite" et petite histoire de son éviction

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 Archives de SYNERGIES EUROPEENNES  - 1995

 

L’apport de Guillaume Faye à la « Nouvelle Droite » et petite histoire de son éviction

 

Par Robert STEUCKERS

 

I.

Guillaume Faye a été véritablement le moteur du GRECE, la principale organisation de la “Nouvelle Droite” en France au début des années 80. Porté par un dynamisme inouï, une fougue inégalée dans ce milieu, une vitalité débordante et un discours fait de fulgurances étonnantes et séduisantes, Guillaume Faye  —comme il aimait à le dire lui-même—  avait été fort marqué par la lecture des textes situationnistes de l'école de Guy Debord. En simplifiant outrancièrement, ou en voulant résumer le noyau essentiel/existentiel de sa démarche, nous pourrions dire qu'il dénonçait l'enlisement idéologique d'après 68, celui des Seventies et de l'ère giscardienne en France, qu'il le percevait comme un “spectacle” stupide, morne, sans relief. Faye est un homme qui entre en scène, quasi seul, entre la sortie des soixante-huitards et l'entrée des yuppies  reaganiens. 

 

Dans le numéro 2 de la revue éléments, qui fut et reste le moniteur du plus ancien cénacle de la “Nouvelle Droite” en France, regroupé autour de l'inamovible Alain de Benoist, on voit une photo du jeune Faye, âgé de 23 ans, au temps où il travaillait à l'Université dans le “Cercle Vilfredo Pareto”. Dans son ouvrage scientifique Sur la Nouvelle Droite,  Pierre-André Taguieff esquisse un bref historique de ce “Cercle Vilfredo Pareto” (p.183), dirigé par Jean-Yves Le Gallou, aujourd'hui député européen du Front National de Jean-Marie Le Pen. En 1970, le GRECE met sur pied son “Unité Régionale Paris-Ile-de-France” (URPIF), dont le “Cercle Vilfredo Pareto” est l'antenne au sein de l'“Institut d'Etudes Politique” (IEP) de Paris. Faye, ajoute Taguieff (op. cit., p.205), a animé ce Cercle Pareto de 1971 à 1973. C'est son premier engagement: Faye est donc d'emblée un homme neuf, qui n'est rattaché à aucun rameau de la droite française conventionnelle. Il n'a pas d'attaches dans les milieux vichystes et collaborationnistes, ni dans ceux de l'OAS, ni dans la mouvance “catholique-traditionaliste”. Il n'est pas un nationaliste proprement dit; il est un disciple de Julien Freund, de Carl Schmitt (dont il parlait déjà avec simplicité, concision et justesse dans les colonnes des Cahiers du Cercle Vilfredo Pareto),  de François Perroux, etc. On pourrait dire, si ce langage avait un sens en ultime instance, que Faye est, à l'intérieur même du GRECE, le représentant d'une “droite” au-delà des factions, d'une “droite régalienne”, qui pose sur tous les événements un regard souverain et détaché mais non dépourvu de fougue et de volonté “plastique”, qui trie en quelque sorte le bon grain de l'ivraie, le politique de l'impolitique. Ceux qui l'ont fréquenté, ou qui ont été ses collègues comme moi, savent qu'il se moquait sans cesse des travers de ces droites parisiennes, des attitudes guindées, des querelles de prestige de ceux qui affirmaient sans rire et avec beaucoup d'arrogance quelques idées simplistes  —parfois des nazisteries d'une incommensurable débilité, calquée sur celles des comic strips  américains—,  simplismes évidemment détachés de tout contexte historique et incapables de se mouler sur le réel. Qui se moquait aussi, non sans malice, de ceux qui, dans notre monde où se bousculent beaucoup de psychopathes, se composaient un personnage “sublime” (et souvent costaud, “supermaniste”) qui ne correspondait pas du tout à leur médiocrité réelle, parfois criante. Face aux nostalgies de tous ordres, Faye aimait à dire qu'il était “réalitaire et acceptant” et que seule cette attitude était fructueuse à long terme.  En effet, dès que le développement de la Nouvelle Droite, en tant que réseau de travail métapolitique, ou un engagement politique concret au RPR, au FN ou dans des groupes nationaux-révolutionnaires exigeait de la rigueur et de l'endurance, les mythomanes “supermanistes” disparaissaient comme neige au soleil, ou se recyclaient dans des groupuscules ténus où la mascarade et les psychodrames étaient  sans discontinuer à l'ordre du jour.

 

De méchantes intrigues en coulisses

 

Faye a produit son œuvre dans un milieu qui n'était pas le sien, qui ne se reconnaissait pas entièrement  —ou même pas du tout—  dans ce qu'il écrivait. Il donnait l'impression de flanquer à répétition de grands coups de pied dans la fourmilière, de chercher à choquer, espérant, par cette maïeutique polissonne, faire éclore une “droite” véritablement nouvelle, qui ne se contenterait pas de camoufler hâtivement son vichysme, son nationalisme colonialiste, son nazisme pariso-salonnard, ses pures ambitions matérielles ou son militarisme caricatural par quelques références savantes. Faye incarnait finalement seul la “Nouvelle Droite” parce qu'il n'avait jamais été autre chose. Presque tous ceux qui l'ont entouré dans son passage au GRECE et profité de son charisme, de son énergie, de son travail rapide et toujours pertinent, de la fulgurance de son intelligence, l'ont considéré finalement comme un étranger, un “petit nouveau” qu'on ne mettait pas dans les confidences, que l'on écartait des centres de commandement réels du mouvement, où quelques “anciens” prenaient des décisions sans appel. Faye était d'emblée dégagé de la cangue des “droites”, ses associés  —et surtout ceux qui le payaient (très mal)—  ne l'étaient pas. Naïf et soucieux d'abattre le maximum de travail, Faye ne s'est jamais fort préoccupé de ces méchantes intrigues de coulisses; pour lui, ce qui importait, c'était que des textes paraissent, que livres et brochures se répandent dans le public. Au bout du compte, il s'apercevra trop tard de la nuisance de cette opacité, permettant toutes les manipulations et tous les louvoiements  —opacité qui affaiblissait et handicapait le mouvement auquel il a donné les meilleures années de sa vie—  et finira victime des comploteurs en coulisse, sans avoir pu patiemment construire un appareil alternatif. Faye a bel et bien été victime de sa confiance, de sa naïveté et de sa non-appartenance à un réseau bien précis de la “vieille droite”, qui, dans le fond, ne voulait pas se renouveler et prendre le monde et la vie à bras le corps. Illusions, fantasmes, copinages et intrigues parisiennes prenaient sans cesse le pas sur la pertinence idéologique du discours, sur le travail d'élargissement et d'approfondissement du mouvement.

 

Au moment où la “Nouvelle Droite” surgit sous les feux de la rampe après la campagne de presse de l'été 1979, Faye se porte volontaire pour effectuer non-stop un “tour de France” des unités régionales du GRECE qui jaillissent partout spontanément. Grâce à son engagement personnel, à sa présence, à son verbe qui cravachait les volontés, il fait du GRECE une véritable communauté où se côtoient des “anciens” (venus de tous les horizons de la “droite”, catholiques intégristes et modérés exceptés) et des “nouveaux”, souvent des étudiants, qui saisissent et acceptent instinctivement la nouveauté de son discours, les choses essentielles qu'il véhicule. Faye, très attentif aux analyses sociologiques qui investiguent les modes, scrutent les mœurs, captent les ferments de contestation dès leur éclosion, devient tout naturellement l'idole des jeunes non-conformistes de la “droite” française  —auxquels se joignent quelques soixante-huitards différentialistes (inspirés par Robert Jaulin, Henri Lefebvre, Michel Maffesoli, les défenseurs du Tiers-Monde contre l'“homologation” capitaliste-occidentale) et d'anciens situationnistes—  qui rejettent les conventions sociales classiques (comme la religion), sans pour autant accepter les mièvreries de l'idéologie implicite des baba-cools de 68, matrice du conformisme que nous subissons aujourd'hui.

 

Epiméthéisme soft et prométhéisme hard

 

Si les lecteurs de Marcuse avaient parié pour une sorte d'épiméthéisme soft, d'érotisme orphique comme socle d'une anti-civilisation quasi paradisiaque, pour une contestation douce et démissionnaire, pour une négation permanente de toutes les institutions impliquant un quelconque “tu dois”, Faye, fusionnant contestation et affirmation, rejettant comme vaines, impolitiques et démissionnaires toutes les négations à la Marcuse, lançait un pari pour un prométhéisme hard, pour un érotisme goliard qui ponctuellement libère, en déployant une saine joie, ses adeptes des âpres tensions de l'action permanente, pour une affirmation permanente et impavide de devoirs et d'institutions nouvelles mais non considérées comme définitives. Marcuse et Faye contestent tous deux la société figée et les hiérarchies vieillottes des années 50 et 60, mais Marcuse tente une sortie définitive hors de l'histoire (qui a produit ces hiérarchies figées) tandis que Faye veut un retour à l'effervescence de l'histoire, croit à la trame conflictuelle et tragique de la vie (comme ses maîtres Freund, Monnerot et Maffesoli). Marcuse est démobilisateur (en croyant ainsi être anti-totalitaire), Faye est hyper-mobilisateur (pour échapper au totalitarisme soft qui étouffe les âmes et les peuples par extension illimitée de son moralisme morigéna­teur, tout comme le hiérarchisme abrutissant des conventions d'avant 68 étouffait, lui aussi, les spon­tanéités créatrices).

 

Cette vision à la fois contestatrice et affirmatrice sera donc véhiculée de ville en ville pendant plusieurs années, de 1979 à 1984, espace-temps où le GRECE a atteint son apogée, sous la direction d'Alain de Benoist, certes, mais surtout grâce au charisme de Guillaume Faye. Celui-ci marque de son sceau la revue éléments,  déterminant les thèmes et les abordant avec une fougue et un à-propos qui ne sont jamais plus revenus après son départ. Faye parti, puis, à sa suite Vial et Mabire (qui sont pourtant des hommes très différents de lui), éléments  se met littéralement à vasouiller; la revue perd son “trognon” et devient l'arène où s'esbaudissent très jeunes polygraphes,  médiocres paraphraseurs et  incorrigibles compilateurs, faux germanistes et faux philosophes, faux gauchistes et faux néo-fascistes, gribouilleurs d'éphémérides et esthètes falots. Et surtout quelques beaux échantillons de “têtes-à-claques” du seizième arrondissement. Faye lançait en effet quantités de thématiques nouvelles, généralement ignorées dans les rangs de la “droite la plus bête du monde”. Sur l'héritage initial de Science-Po et du Cercle Pareto, Faye  —qui a un contact très facile avec les universitaires au contraire d'Alain de Benoist—  greffe de la nouveauté, introduit sa propre interprétation de l'“agir communicationnel” de Habermas, des thèses des néo-conservateurs américains et de la sociologie anti-narcissique de Christopher Lash. Ensuite, rompant résolument avec l'“occidentalisme” des droites, Faye amorce, dans éléments  n°32, une critique de la civilisation occidentale, nouant ou renouant avec l'anti-occidentalisme des Allemands nationalistes ou conservateurs de l'époque de Weimar (Spengler, Niekisch, Sombart, etc.), avec les thèses en ethnologie qui stigmati­saient les “ethnocides” en marge de la civilisation techno-messianique de l'Occident (Robert Jaulin), et avec le Manifeste différentialiste  de Henri Lefèbvre (ex-théoricien du PCF et ancien disciple du surréaliste André Breton). L'occidentalisme, héritier d'une conception figée, fixiste, immobiliste, humanitariste, répétitive, psittaciste des Lumières, est une cangue, dont il faut se libérer;

est un frein à l'“agir communicationnel” (dont rêvait le jeune Habermas mais que Faye et ses vrais amis voudront restituer dans leur logique communautaire, identitaire et enracinée);

est une pathologie générant de fausses et inopérantes hiérarchies, qu'une rotation des élites devra jeter bas; est, enfin, selon la formule géniale de Faye, un “système à tuer les peuples”.

 

Mais si les critiques formulées par les tenants de l'Ecole de Francfort et par Faye refusent le système mis en place par l'idéologie des Lumières  —parce que ce système oblitère la Vie, c'est-à-dire notre Lebenswelt  (terme que reprend Habermas, à la suite de Simmel)—  ces deux écoles  —la nouvelle gauche, dont la revue new-yorkaise Telos  constitue la meilleure tribune; et la vraie  nouvelle droite, que Faye a incarné seul, sans être empêtré dans des nostalgismes incapacitants—  diffèrent dans leur appréciation de la “raison instrumentale”. Pour l'Ecole de Francfort, la rai­son instrumentale est la source de tous les maux: du capitalisme manchestérien à l'autoritarisme de l'Obrigkeitsstaat,  du fascisme à la mise hors circuit de la fameuse Lebenswelt, de l'éléctro-fascisme (Jungk) à la destruction de l'environnement. Mais la raison instrumentale donne la puissance, pensait Faye, et il faut de la puissance dans le politique pour faire bouger les choses, y compris restaurer notre Lebenswelt,  nos enracinements et la spontanéité de nos peuples. La différence entre la nouvelle droite (c'est-à-dire Faye) et la nouvelle gauche (en gros l'équipe de Telos)  réside toute entière dans cette question de la puissance, dont la raison instrumentale peut être un outil. Cette querelle a aussi été celle des sciences sociales allemandes (cf. De Vienne à Franfort, la querelle allemande des sciences sociales,  Ed. Complexe, Bruxelles, 1979): est-ce la raison instrumentale, qui met les valeurs entre parenthèses, ne pose pas de jugements de valeurs et pratique la Wertfreiheit  de Max Weber voire l'éthique de la responsabilité ou est-ce la raison normative, qui insiste sur les valeurs  —mais uniquement les valeurs “illuministes” de l'Occident moderne—  et développe ainsi une éthique de la conviction, qui doit avoir le dessus? Faye n'a pas exactement répondu à la question, dans le cadre du débat qui agitait le monde intellectuel à la fin des années 70 et au début des années 80, mais on sentait parfaitement, dans ses articles et dans Le système à tuer les peuples,  qu'il percevait intuitivement le hiatus voire l'impasse: que tant la raison instrumentale, quand elle est maniée par des autorités politiques qui ne partagent pas nos valeurs  (celle du zoon politikon  grec ou de l'hyperpolitisme romain) ni, surtout, nos traditions métaphysiques et juridiques, que la raison normative, quand elle nous impose des normes abstraites ou étrangères à notre histoire, sont oblitérantes et aliénantes. Ni la raison instrumentale ni la raison normative (il serait plus exact de dire la “raison axiologique”, dans le sens où la “norme” telle que la définit Carl Schmitt, est toujours une abstraction qui se plaque sur la vie, tandis que la valeur, pour Weber et Freund, est une positivité immuable qui peut changer de forme mais jamais de fond, qui peut faire irruption dans le réel ou se retirer, se mettre en phase de latence, et qui est l'apanage de cultures ou de peuples précis) ne sont oblitérantes ou aliénantes si le peuple vit ses valeurs et s'il n'est pas soumis à des normes abstraites qui, délibérément, éradiquent tout ce qui est spontané, corrigent ce qui leur paraît irrationnel et biffent les legs de l'histoire. Faye n'a pas eu le temps de se brancher sur les débats autour des travaux de Rawls (sur la justice sociale), n'a pas eu le temps de suivre le débat des “communautariens” américains, qui ont retrouvé les valeurs cimentantes en sociologie et entendent les réactiver. Et surtout, n'a pas suivi à la trace la grande aventure secrète des années 80, la redécouverte de l'œuvre de Carl Schmitt, en Allemagne, en Italie et aux Etats-Unis, la France restant grosso modo  en dehors de cette lame de fond qui traverse la planète entière. On ne sort du dilemme entre raison instrumentale et raison normative que si l'on retourne à l'histoire, qui offre des valeurs précises à des peuples précis, valeurs qui sont peut-être foncièrement subjectives mais sont aussi  objectives parce qu'elles sont les seules capables de structurer des comportements cohérents et durables dans la souplesse, de générer, au sein d'un peuple, ce qu'Arnold Gehlen appelait les “institutions”. Un peuple qui adhère et met en pratique ses propres valeurs obéit à des lois qui sont objectives pour lui seul, mais qui sont la seule objectivité pratique dans la sphère du politique; s'il obéit à des normes extérieures à lui, imposées par des puissances extérieures et/ou dominantes, la raison normative lui apparaîtra, consciemment ou inconsciemment, aliénante et la raison instrumentale, insupportable. Dans un tel cadre, s'il a oublié ses valeurs propres, le peuple meurt parce qu'il ne peut plus agir selon ses propres lois intérieures. Le système l'a tué.

 

L'influence déterminante de Henri Lefèbvre

 

Indubitable et déterminante est l'influence de Henri Lefebvre sur l'évolution des idées de Guillaume Faye; Henri Lefebvre fut un des principaux théoriciens du PCF et l'auteur de nombreux textes fondamentaux à l'usage des militants de ce parti fortement structuré et combatif. J'ai eu personnellement le plaisir de rencontrer ce philosophe ex-communiste français à deux reprises en compagnie de Guillaume Faye dans la salle du célèbre restaurant parisien “La Closerie des Lilas” que Lefebvre aimait fréquenter parce qu'il avait été un haut lieu du surréalisme parisien du temps d'André Breton. Lefebvre aimait se rémémorer les homériques bagarres entre les surréalistes et leurs adversaires qui avaient égayé ce restaurant. Avant de passer au marxisme, Lefebvre avait été surréaliste. Les conversations que nous avons eues avec ce philosophe d'une distinction exceptionnelle, raffiné et très aristocratique dans ses paroles et ses manières, ont été fructueuses et ont contribué à enrichir notamment le numéro de Nouvelle école sur Heidegger que nous préparions à l'époque. Trois ouvrages plus récents de Lefebvre, postmarxistes, ont attiré notre attention: Position: contre les technocrates. En finir avec l'humanité-fiction (Gonthier, Paris, 1967); Le manifeste différentialiste (Gallimard, Paris, 1970); De L'Etat. 1. L'Etat dans le monde moderne, (UGE, Paris, 1976).

 

Dans Position (op. cit.), Lefebvre s'insurgeait contre les projets d'exploration spatiale et lunaire car ils divertissaient l'homme de “l'humble surface du globe”, leur faisaient perdre le sens de la Terre, cher à Nietzsche. C'était aussi le résultat, pour Lefebvre, d'une idéologie qui avait perdu toute potentialité pra­tique, toute faculté de forger un projet concret pour remédier aux problèmes qui affectent la vie réelle des hommes et des cités. Cette idéologie, qui est celle de l'“humanisme libéral bourgeois”, n'est plus qu'un “mélange de philanthropie, de culture et de citations”; la philosophie s'y ritualise, devient simple cérémonial, sanctionne un immense jeu de dupes. Pour Lefebvre, cet enlisement dans la pure phraséologie ne doit pas nous conduire à refuser l'homme, comme le font les structuralistes autour de Foucault, qui jettent un soupçon destructeur, “déconstructiviste” sur tous les projets et les volontés politiques (plus tard, Lefebvre sera moins sévère à l'égard de Foucault). Dans un tel contexte, plus aucun élan révolutionnaire ou autre n'est possible: mouvement, dialectique, dynamiques et devenir sont tout simplements niés. Le structuralisme anti-historiciste et foucaldien constitue l'apogée du rejet de ce formidable filon que nous a légué Héraclite et inaugure, dit Lefebvre, un nouvel “éléatisme”: l'ancien éléatisme contestait le mouvement sensible, le nouveau conteste le mouvement historique. Pour Lefebvre, la philosophie parménidienne est celle de l'immobilité. Pour Faye, le néo-parménidisme du système, libéral, bourgeois et ploutocratique, est la philosophie du discours libéralo-humaniste répété à l'infini comme un catéchisme sec, sans merveilleux. Pour Lefebvre, la philosophie héraclitéenne est la philosophie du mouvement. Pour Faye, —qui retrouve là quelques échos spenglériens propres à la récupération néo-droitiste (via Locchi et de Benoist) de la “Révolution Conservatrice” weimarienne—  l'héraclitéisme contemporain doit être un culte joyeux de la mobilité innovante. Pour l'ex-marxiste et ex-surréaliste comme pour le néo-droitiste absolu que fut Faye, les êtres, les stabilités, les structures ne sont que les traces du trajet du Devenir. Il n'y a pas pour eux de structures fixes et définitives: le mouvement réel du monde et du politique est un mouvement sans bonne fin de structuration et de déstructuration. Le monde ne saurait être enfermé dans un système qui n'a d'autres préoccupations que de se préserver. A ce structuralisme qui peut justifier les systèmes car il exclut les “anthropes” de chair et de volonté, il faut opposer l'anti-système voire la Vie. Pour Lefebvre (comme pour Faye), ce recours à la Vie n'est pas passéisme ou archaïsme: le système ne se combat pas en agitant des images embellies d'un passé tout hypothétique mais en investissant massivement de la technique dans la quotidienneté et en finir avec toute philosophie purement spéculative, avec l'humanité-fiction. L'important chez l'homme, c'est l'œuvre, c'est d'œuvrer. L'homme n'est authentique que s'il est “œuvrant” et participe ainsi au devenir. Les “non-œuvrants”, sont ceux qui fuient la technique (seul levier disponible), qui refusent de marquer le quotidien du sceau de la technique, qui cherchent à s'échapper dans l'archaïque et le primitif, dans la marginalité (Marcuse!) ou dans les névroses (psychanalyse!). Apologie de la technique et refus des nostalgies archaïsantes sont bel et bien les deux marques du néo-droitisme authentique, c'est-à-dire du néo-droitisme fayen. Elles sortent tout droit d'une lecture attentive des travaux de Henri Lefebvre.

 

Mystification totale et homogénéisation planétaire

 

Dans Le manifeste différentialiste, nous trouvons d'autres parallèles entre le post-marxisme de Lefebvre et le néo-droitisme de Faye, le premier ayant indubitablement fécondé le second: la critique des processus d'homogénéisation et un plaidoyer en faveur des “puissances différentielles” (qui doivent quitter leurs positions défensives pour passer à l'offensive). L'homogénéisation “répressive-oppressive” est dominante, victorieuse, mais ne vient pas définitivement à bout des résistances particularistes: celles-ci imposent alors malgré tout une sorte de polycentrisme, induit par la “lutte planétaire pour différer” et qu'il s'agit de consolider. Si l'on met un terme à cette lutte, si le pouvoir répressif et oppresseur vainc définitivement, ce sera l'arrêt de l'analyse, l'échec de l'action, le fin de la découverte et de la création.

 

De sa lecture de L'Etat dans le monde moderne,  Faye semble avoir retiré quelques autres idées-clefs, notamment celle de la “mystification totale” concomitante à l'homogénéisation planétaire, où tantôt l'on exalte l'Etat (de Hobbes au stalinisme), tantôt on le méconnaît (de Descartes aux illusions du “savoir pur”), où le sexe, l'individu, l'élite, la structure (des structuralistes figés), l'information surabondante servent tout à tour à mystifier le public; ensuite l'idée que l'Etat ne doit pas être conçu comme un “achèvement mortel”, comme une “fin”, mais bien plutôt comme un “théâtre et un champ de luttes”. L'Etat finira mais cela ne signifiera pas pour autant la fin (du politique). Enfin, dans cet ouvrage, Faye a retenu le plaidoyer de Lefebvre pour le “différentiel”, c'est-à-dire pour “ce qui échappe à l'identité répétitive”, pour “ce qui produit au lieu de reproduire”, pour “ce qui lutte contre l'entropie et l'espace de mort, pour la conquête d'une identité collective différentielle”.

 

Cette lecture et ces rencontres de Faye avec Henri Lefebvre sont intéressantes à plus d'un titre: nous pouvons dire rétrospectivement qu'un courant est indubitablement passé entre les deux hommes, certainement parce que Lefebvre était un ancien du surréalisme, capable de comprendre ce mélange instable, bouillonnant et turbulent qu'était Faye, où se mêlaient justement anarchisme critique dirigé contre l'Etat routinier et recours à l'autorité politique (charismatique) qui va briser par la vigueur de ses décisions la routine incapable de faire face à l'imprévu, à la guerre ou à la catastrophe. Si l'on qualifie la démarche de Faye d'“esthétisante” (ce qui est assurément un raccourci), son esthétique ne peut être que cette “esthétique de la terreur” définie par Karl Heinz Bohrer et où la fusion d'intuitionnisme (bergsonien chez Faye) et de décisionnisme (schmittien) fait apparaître la soudaineté, l'événement imprévu et impromptu, —ce que Faye appelait, à la suite d'une certaine école schmittienne, l'Ernstfall—  comme une manifestation à la fois vitale et catastrophique, la vie et l'histoire étant un flux ininterrompu de catastrophes, excluant toute quiétude. La lutte permanente réclamée par Lefebvre, la revendication perpétuelle du “différentiel” pour qu'hommes et choses ne demeurent pas figés et “éléatiques”, le temps authentique mais bref de la soudaineté, le chaïros, l'imprévu ou l'insolite revendiqués par les surréalistes et leurs épigones, le choc de l'état d'urgence considéré par Schmitt et Freund comme essentiels, sont autant de concepts ou de visions qui confluent dans cette synthèse fayenne. Ils la rendent inséparable des corpus doctrinaux agités à Paris dans les années 60 et 70 et ne permettent pas de conclure à une sorte de consubstantialité avec le “fascisme” ou l'“extrême-droitisme” fantasmagoriques que l'on a prêtés à sa nouvelle droite, dès le moment où, effrayé par tant d'audaces philosophiques à “gauche”, à “droite” et “ailleurs et partout”, le système a commencé à exiger un retour en arrière, une réduction à un moralisme minimal, tâche infâmante à laquelle se sont attelés des Bernard-Henry Lévy, des Guy Konopnicki, des Luc Ferry et des Alain Renaut, préparant ainsi les platitudes de notre political correctness.

 

Quel nietzschéisme?

 

Reste à tenter d'expliquer le nietzschéisme de Faye et à le resituer vaille que vaille  —pour autant que cela soit possible—  dans le contexte du nietzschéisme français des années 60 à 80. Qu'est-ce qui distingue son nietzschéisme implicite (et parfois explicite) du nietzschéisme professé ailleurs, dans l'université française, chez les philosophes indépendants (voire marginaux) ou chez les autres protagonistes de la ND?

- Si le nietzschéisme de l'université est complexe, trop complexe pour être manié dans des associations de type métapolitique comme le GRECE;

- si les arabesques, méandres, rhizomes, agencements, transversales, multilinéarités et ritournelles d'un philosophe nietzschéen original et fécond comme Gilles Deleuze par exemple dévoilaient un vocabulaire aussi original que surprenant, mais qui demeurait largement incompris en dehors des facultés de philosophie à l'époque de gloire de la ND (elles n'auraient rencontré qu'incompréhension chez les non-philosophes, même à l'université; en Italie, Francesco Ingravalle a eu le mérite de dresser un excellent synopsis des approches nietzschéennes, en dégageant clairement l'apport de Deleuze; cf. F. Ingravalle, Nietzsche illuminista o illuminato? Guida alla lettura di Nietzsche attraverso Nietzsche,  Ed. di Ar, Padova, 1981);

- si les philosophes plus marginalisés, moins académiques et solitaires ont travaillé à fond des thématiques nietzschéiennes plus circonstancielles et nettement moins politisables ou métapolitisables;

- si les fragments, tantôt épars, tantôt concentrés, d'héritage extrême-droitiste, transposés spontanément dans la métapolitique maladroite des plus modestes militants de base des débuts du GRECE, concevaient un nietzschéisme fort hiératique, glacial et figé, prenant naïvement au pied de la lettre le discours sur le “Surhomme”, et surtout ses travestissements par la propagande cinématographique anglo-saxonne des deux guerres mondiales, où se mêlent des clichés comme le “Hun”, la “bête blonde”, la folie caricaturale de professeurs de génétique au rictus nerveux et à grosses lunettes et, enfin, la morgue attribuée aux officiers des corps francs ou des troupes d'assaut;

- si le “surhumanisme” de Giorgio Locchi, en tant que nietzschéisme solidement étayé dans les discours du GRECE, insistait sur le dépassement des avatars philosophiques et scientifiques de l'égalitarisme passif et niveleur issu du christianisme et transformé en “science” dans le sillage du positivisme puis du marxisme;

- si les thèses de Pierre Chassard sur l'anti-providentialisme de Nietzsche, annexées par le GRECE, en mal d'une interprétation originale du philosophe de Sils-Maria au début des années 70, insistaient, elles, sur l'impossibilité finale de créer un monde achevé, fermé, sans plus ni vicissitudes ni tragique ni effervescence ni conflictualité, le nietzschéisme personnel de Faye s'inscrirait plutôt dans cet espace aux contours flous, entre le rire et le tragique, mis en évidence par Alexis Philonenko, dans son approche de l'œuvre de Nietzsche (cf. A. Philonenko, Nietzsche. Le Rire et le Tragique,  LGF, 1995).

 

Pour Faye effectivement, la trame du monde est fondamentalement tragique, et restera telle, en dépit des vœux pieux, formulés par chrétiens, post-chrétiens, jus-naturalistes, etc.; à la suite de Jules Monnerot, qui a pensé systématiquement l'“hétérotélie”, c'est-à-dire le fait que l'on atteint toujours un objectif différent de celui qu'on s'était assigné dans ses rêves et ses projets, Faye écrit et affirme sans cesse que les efforts politiques, les constructions institutionnelles, les barrages que dressent maladroitement les censeurs qui veulent éviter toute redistribution des cartes, finiront toujours par être balayés, mais, avant cette disparition méritée et ce nettoyage nécessaire, les agitations, les colères, les objurgations, les admonestations de ceux qui veulent que les mêmes règles demeurent toujours en vigueur, pour les siècles des siècles, doivent susciter le rire de tous les réalitaires impertinents qui acceptent et affirment le tragique, la finitude de toutes choses. En ce sens, pour Faye, «le rire est la puissance nue, véritablement protéiforme», comme le définit Philonenko, qui ajoute, que, dans Ainsi parla Zarathoustra,  le rire est aussi “la clef qui ouvre toutes les serrures”, justement parce qu'il permet de sauter les obstacles qui, au fond, ne sont pas des obstacles, de regarder à travers les fissures ou au-delà des masses en apparence monolithiques. Nietzsche conçoit le rire, non comme une substance, mais comme une fonction métacritique  qui rend la vie possible (et la libère des pesanteurs et des anachronismes) et, avec elle, ajoute Philonenko, toute “existence authentique”, dans le sens où l'“authenticité”, ici, est synonyme de plénitude et de fulgurance innovante, tandis que toute routine, voire, chez Faye, toute tradition, quand elle se fige, est “inauthentique”, dépourvue d'intérêt. De là, la fascination qu'exerçaient sur Faye les réflexions post-nietzschéennes de Heidegger sur le triste “règne du on”, alors même que les écrivains français qui ont, chacun à leur manière, chanté les “voies royales”, n'ont guère influencé les réflexions du seul véritable penseur original de la ND.

 

Sauver la "Lebenswelt"

 

Nietzsche, et Faye inconsciemment à sa suite, imaginaient un rire qui, “effondrant les colonnes de la civilisation” (celle, rigide, désenchantée, que nous a léguée et nous impose l'Aufklärung, de plus en plus souvent par des méthodes policières), réaliserait le surhomme, c'est-à-dire le dépassement de la condition “humaine, trop humaine”, emprisonnée dans les cages de la légalité sans plus aucune légitimité, dans les cellules dorées d'une civilisation d'abondance matérielle et de lacunes spirituelles. C'est dans cette critique de la civilisation, non plus véhiculée par l'éros idyllique et néo-pastoraliste du “marcuso-rousseauisme”, mais par le rire et la polisonnerie, qu'il faut voir un parallèle avec une certaine révolution conservatrice allemande, qui, elle, récuse cette “civilisation” au nom de l'expérience à la fois traumatisante et exaltante des soldats de la première guerre mondiale ou au nom d'une foi orientale, asiatique ou russe-orthodoxe, modernisée en apparence sous les oripeaux du bolchevisme. La surhumanité nietzschéo-fayenne n'est donc pas une humanité impavide de gendarmes aux roides zygomatiques, musculeux et hiératiques (sauf, notable exception, dans certaines planches de sa bande dessinée aux thématiques contestées, intitulée Avant-Guerre), non pas, contexte spatio-temporel oblige, un duplicata anachronique du “nationalisme soldatique” des frères Jünger ou de Schauwecker, non pas un fidéisme traditionaliste teinté d'orientalisme, mais une surhumanité portée par une bande de joyeux polissons créatifs, impertinents, hors-normes. Les porteurs de “civilisation”, qui ont oublié le rire ou l'ont étouffé en eux, érigent des idoles de papier, des codes moraux, des conventions toutes cérébrales, qui sont justement celles qui oblitèrent et refoulent cette Lebenswelt,  cette évidence immédiate que seul le rire est capable de saisir, de capter, d'“en ouvrir toutes les serrures”. Cet engagement pour sauver la Lebenswelt est le leitmotiv qui permet de comprendre les engouements simultanés de Faye pour Heidegger, Habermas, Monnerot, Freund, Schmitt, Jünger (celui du Travailleur),  Simmel et sa synthèse personnelle entre tous ces philosophes, politologues et sociologues, en apparence très différents les uns des autres. Plus tard, Michel Maffesoli deviendra indubitablement l'universitaire qui hissera un corpus fort proche de cette vision fayenne  —fulgurante, dionysiaque et effervescente—  au niveau d'une philosophie et d'une sociologie pleinement reconnues par l'université, au niveau français comme au niveau international. Voilà ce qu'il fallait dire, me semble-t-il, sur le nietzschéisme dionysiaque de Faye, qui a marqué si profondément la ND de son sceau. Faye est en effet le penseur qui aurait pu, s'il avait travaillé et retravaillé ses intuitions selon les critères de la démarche académique, devenir un philosophe entre Freund et Maffesoli, c'est-à-dire un philosophe tenant compte des impératifs incontournables du politique mais sans absoluiser ces impératifs, en laissant toujours les portes grandes ouvertes aux manifestations de la Vie (de la Lebenswelt).  Si Freund, fidèle en cela à Carl Schmitt, ne perd pas trop de temps à s'apesantir sur les grouillements, éruptions, engouements qui pourraient donner mille et une fois prétexte à de l'“occasionalisme”, Maffesoli va parfois trop loin, nous semble-t-il, quand il survalorise des phénomènes de banlieue, comme les tribus, tout en annonçant une sorte de fin du politique dans le dionysiaque. Faye, qui a quitté la sphère sérieuse du politique, aurait pu faire cette jonction entre Freund et Maffesoli (qui fut l'élève de ce politologue alsacien), dans la mesure où, pour lui, le politique ne doit jouer qu'en cas d'Ernstfall (de situation dangereuse, exceptionnelle), en s'effaçant dès que le péril disparait. En cela, “le politique va et vient entre imperium et anarchie”, comme le soulignait Christiane Pigacé, elle aussi disciple de Julien Freund, lors de la Première Université d'été de la FACE en juillet 1993.

 

Exercices d'auto-dérision

 

Ce nietzschéisme-entre-rire-et-tragique, pari pour la “puissance nue” et “fonction métacritique”, avait aussi bien du mal à se faire comprendre, non pas auprès des militants jeunes du GRECE, fascinés par cette fougue, mais bien dans le “saint des saints” de ce mouvement, en son plus haut sommet, où ne brillait aucun soleil, où ne règnait aucune chaleur, mais où une humeur grincheuse crachait en permanence ses miasmes aussi malsains qu'indéfinissables dans une atmosphère déjà toute chargée de volutes nauséabondes de nicotine, où une mine toujours déconfite, une moue éructant sans discontinuer l'insulte gratuite, révélait en fait, aux lucides qui pouvaient le voir, une parodie fon­damentale que Nietzsche aurait copieusement brocardée. Les petites vanités d'un certain gourou ne toléraient nullement le développement d'une “métacritique” axée sur le “fou rire libérateur”, qui commence toujours par une saine capacité d'auto-dérision. Quant à Faye, il n'hésitait jamais à se mettre en scène, à s'amuser de ses propres images, fantasmes, goûts, de ses propres phrases qu'il poussait à l'absurde pour être sûr qu'elles ne s'enliseraient jamais dans une impasse intellectuelle, etc. En effet, pour se remettre en question, il faut être capable de penser jusqu'à l'absurde chaque idée qu'on développe, s'apercevoir à chaque instant du caractère dérisoire de ses vanités ou de ses fantasmes, du caractère ridicule des petits camouflages qu'on pratique dans le fol espoir de plaire un jour à la galerie, d'avoir une “image irréprochable” dans les médias du “système à tuer les peuples”, ce qui indique finalement que l'on n'a nul souci de ces peuples, en dépit des discours que l'on tient pour épater le public. Cet exercice d'auto-dérision, on a toujours été incapable de le faire, en ce  plus haut lieu du GRECE, qui prétendait évidemment n'être pas le GRECE, mais simple site de base fortuit et déconnecté d'une vague “stratégie personnelle” d'entrisme dans les médias et de participation aux débats (?) du Tout-Paris. Raison pour laquelle la machine, mise en place par quelque compilateur qui alignait citations et références dans le seul espoir de se faire valoir, a fini, “quelque part”, par tourner à vide.

 

Enfin, ce “nietzschéisme du rire” demeure à la base des démarches du Faye post-greciste: depuis le lancement du journal J'ai tout compris (1987-88), mêlant ironie grinçante, satire caustique, message politique et style branché, jusqu'aux émissions de Skyrock, avec leurs énoooormes canulars, ou encore les enquêtes désopilantes de l'Echo des Savannes  ou même de Paris-Match, où l'on a vu Faye dans le rôle du “Professeur Kervous”, ami de Bill Clinton fraîchement élu à la Maison Blanche, un Kervous au look soixante-huitard flanqué d'une sémillante secrétaire britannique “Mary Patch” (!!), qui se présente chez certains hommes et femmes politiques français pour leur demander, au nom de “Mr. President Bill Clinton”, s'ils sont prêts à poser leur candidature de “Secrétaire d'Etat aux affaires européennes”, dans la nouvelle “administration” américaine... Mais cette pratique de la “théorie métacritico-métapolitique” de la ND fayenne est une autre histoire, qui n'a pas exactement sa place dans la présente introduction.

 

II.

Mais comment ce Guillaume Faye, dont le charisme était indéniable, a-t-il été évincé du groupe auquel il a donné une véritable épine dorsale? Emblématique, son éviction prouve que la logique interne du mouvement GRECE a été et demeure une logique de l'éviction. Au fil de son histoire, ce mouvement a davantage exclu ses cadres qu'il n'en a recruté! Quelques esprits paranoïaques en déduisent que cette stratégie d'évictions successives a été appliquée “en service commandé”, pour empêcher la France de développer une idéologie radicalement critique à l'égard des anachronismes républicains, illuministes, juridiques et administratifs qui conduisent ce pays à l'assèchement intellectuel et à la pétrification institutionnelle, de façon à ce qu'aucun courant d'opinion suffisamment étayé ne réclame des réformes en profondeur ou n'articule les conditions d'une deuxième révolution française qui balaierait la bourgeoisie révolutionnaire institutionalisée, ses clubs d'inspiration illuministe et ses fonctionnaires omnipotents, comme les préfets qui gouvernent 95 départements sans être élus, en contradiction flagrante avec les principes démocratiques de l'Union Européenne! La thèse du “service commandé” est évoquée par un professeur mexicain Santiago Ballesteros Walsh, sans que je ne puisse avaliser sa démonstration... Effectivement, rien ne peut directement étayer la thèse de Ballesteros Walsh, ce qui ne doit pas nous empêcher de constater qu'en près de trente ans d'existence, la ND parisienne n'a proposé aucune réforme cohérente des institutions françaises, n'a pas approfondi le “régionalisme” ou la “subsidiarité” qui aurait pu servir de levier à une contestation globale du système jacobin, directement inspiré des Lumières, ni aucun projet de réforme économique, sur base du participationnisme gaullien, des thèses de François Perroux ou des hétérodoxes de la pensée économique. Ces omissions, ce refus persistant de ne pas aborder de tels sujets, sont pour le moins bizarres voire fort suspects. Faye n'a jamais cessé de réclamer l'inclusion de telles démarches dans le corpus de la ND. Est-ce la raison réelle de son éviction? Comme de l'éviction de tous les autres exclus?

 

Stratégie du dénigrement

 

Dans des discussions entre anciens du GRECE, on évoque souvent deux autres stratégies bizarres: la stratégie du marquage et celle du dénigrement. La stratégie du marquage consisterait ainsi à attirer des intellectuels dans le sillage de la ND pour qu'ils soient marqués à jamais et empêchés de poursuivre leurs recherches. La stratégie du dénigrement consiste, elle, à monter les militants les uns contre les autres, à les décrire comme “idiots” ou comme “fous” afin de contrecarrer à titre préventif toute collaboration autonome entre eux, au-delà de tout contrôle de la centrale. Ainsi, par exemple, à tel éditeur indépendant, on dira que “Steuckers (ou Faye ou Battarra, etc.) est un fou dangereux, voire un terroriste nazi-trotskiste et national-révolutionnaire, digne héritier de la narodnaïa volia russe (d'ailleurs, n'est-ce pas, son journal s'appelle Vouloir...)”, afin qu'il n'accepte pas de manuscrits de cet espèce de sous-Netchaïev de Steuckers, mais, de ce même brave éditeur, vingt minutes plus tard, la même personne dira à Steuckers, “c'est un doux crétin emberlificoté dans toutes les sectes ruralistes völkisch  les plus biscornues”, afin qu'on ne lui confie pas de manuscrit...

 

Il m'apparait utile, à la demande de quelques exclus notoires et de quelques anciens cadres du GRECE, plongés dans l'amertume depuis l'échec de leur réformisme constructif à l'intérieur du mouvement où ils militaient, de brosser un tableau récapitulatif de cette succession ininterrompue d'évictions, en insistant plus particulèrement sur celle de Faye.

 

Vivant et travaillant très près du “centre”, même s'il ne connaissait pas les véritables commanditaires de l'entreprise, comme aucun membre ni même aucun cadre ne les connaissaient, Faye n'a pas été suffisamment attentif à la fragilité de sa propre position; il a été naïf et confiant. Il était extérieur à ce milieu, il venait du dehors. Il n'a jamais été intégré par ceux qui se prétendaient “initiés”, il a toujours été considéré comme un “citron à presser”. L'indice le plus patent de cette non-appartenance au “noyau de base” est la médiocrité des salaires que percevait Faye. Je ne comprends toujours pas comment il a eu la faiblesse de se contenter d'une telle situation. Et d'avoir commis deux erreurs:

A. Avoir été trop confiant dans son propre charisme, avoir souvent travaillé trop vite, par fulgurances, individuellement, en n'étayant pas toujours ses textes de références adéquates, pour leur donner du poids. L'idéal aurait été un Faye épaulé par une équipe qui aurait exploré pour lui l'univers des bibliothèques, lui aurait transmis des bibliographies, des résumés de livres, aurait fréquenté pour lui des colloques universitaires et politiques, etc. Faye ne s'est pas entouré de personnes capables de faire de tels travaux pour lui. A moyen terme, ce sera sa perte.

 

Faye n'a pas ménagé sa porte de sortie

 

B. Ensuite, Faye ne s'est pas doté d'un instrument personnel et autonome, par exemple un cercle ou une revue, qui lui aurait fourni une porte de sortie, pour redémarrer son action seul en réaiguillant vers lui son public, récruté dans le cadre du GRECE. Faye n'a pas organisé le réseau de ses relations, ni entretenu de rapports structurés avec les personnalités qu'il a été amené à rencontrer, lors de ses nombreux périples. Après son éviction, Faye s'est retrouvé seul, sans fichier, sans tribune, sans ressources. Sa quête intellectuelle a dû s'arrêter pour le mouvement auquel il a impulsé tant de vigueur. L'ABC du cadre enseigne qu'il faut, en toutes circonstances, ménager sa porte de sortie, retomber sur ses pattes en cas d'éviction, réamorcer la dynamique en toute autonomie, au besoin contre ses anciens partenaires.

 

Ces quelques réflexions sur Faye nous obligent à retracer la chronologie de son itinéraire “greciste”. Comme l'écrit Taguieff (op. cit.), cet itinéraire commence dans le cadre du Cercle Vilfredo Pareto, dominé par la personnalité d'Yvan Blot (alias Michel Norey), aujourd'hui député européen pour le compte du FN français. Faye, qui travaillait alors pour l'industrie automobile, y apprend les techniques de l'orateur, sous l'impulsion d'un ancien militant de la droite radicale française, ayant abandonné tout militantisme. Incontestablement, Faye est un bon élève. Ce que je peux constater quand je le rencontre pour la première fois à Bruxelles en 1976, dans une salle de l'Hôtel Ramada, Chaussée de Charleroi, où il prononçait un fougueux discours sur “l'Europe, colonie des Etats-Unis”. D'emblée, à la suite de Giorgio Locchi qui avait composé un numéro de Nouvelle école  pour stigmatiser la main-mise américaine sur l'Europe et pour mettre en exergue les différences radicales entre le mental européen et le mental américain, Faye embraye sur cet anti-américanisme solidement étayé par le philosophe italien et rompt définitivement avec toutes les tentations “occidentalistes” de la droite française, y compris celles de certains rescapés d'Europe Action, le mouvement activiste des années 60, où bon nombre de cadres du GRECE initial avaient fait leurs premières armes.

 

En 1977-78, une première division frappe la ND, encore peu connue du grand public. D'une part, Yvan Blot, Jean-Yves Le Gallou, et quelques autres fondent le “Club de l'Horloge”, dont la stratégie sera d'investir les milieux politiques, professionnels (patronaux essentiellement) et les Grandes Ecoles de Paris (ENA, etc.), tandis qu'Alain de Benoist parie pour un “combat des idées”, dans la presse et les médias en général. Le Club de l'Horloge prend des options libérales ou nationales-libérales. Alain de Benoist a le mérite de rester en deçà de cette marche vers la “respectabilité”, qui annonce pourtant le retour du libéralisme dans les débats des années 80, mais il n'esquisse aucune alternative cohérente et structurée au giscardisme et aux éléments de sociale-démocratie qui compénètrent la société française, après la dispariton de De Gaulle. Faye refuse la logique libérale, au nom du discours qu'il a défendu dans les colonnes des Cahiers du Cercle Vilfredo Pareto.  Il pense que ses idées étatistes, autarcistes et “régaliennes” ne peuvent pas être défendues à la tribune du Club de l'Horloge et il reste avec de Benoist au GRECE. Ses motivations sont donc purement idéologiques. Son option n'est pas dictée par des intérêts matériels ou par des opportunités professionnelles.

 

Philippe Marceau entre alors en scène au GRECE et le structure avec une redoutable efficacité. Grâce à son dévouement et à sa générosité, Faye trouve un encadrement solide, à sa mesure. Marceau discipline le cheval fougueux qu'est Faye, il veille à ce qu'il soit payé convenablement. Faye donnera le meilleur de lui-même entre 1978 et 1982, quand il bénéficiera de la rigueur d'organisation imposée par Philippe Marceau. En outre, le GRECE marque des points à cette époque: il fonde les éditions Copernic en 1978 (qui feront lamentablement faillite en 1981), il investit la rédaction du Figaro-Magazine de Louis Pauwels. Faye est séduit, avec beaucoup d'autres, dont moi-même. Il pense que l'avenir est dans la “métapolitique”. A ce moment-là de l'histoire du mouvement, Marceau le croit aussi.

 

L'aventure d' "Alternative libérale"

 

Fin 1981, en dépit du discours anti-américain et anti-libéral officiel, Alain de Benoist développe une “stratégie personnelle”, cherchant sans doute à prendre le Club de l'Horloge de vitesse. Ce sera l'aventure d'“Alternative libérale”, projet ambitieux d'organiser un gigantesque colloque à Paris, avec l'appui du Figaro Magazine.  Ce colloque aurait dû rassembler tous les théoriciens français du libéralisme politique et économique, dont Raymond Aron, et leurs homologues et mentors américains, dont les Chicago Boys, etc. Au milieu de cet aréopage, devait s'insinuer Alain de Benoist himself.  Alerté par quelques bonnes consciences journalistiques, plusieurs participants pressentis refusent de prendre la parole si le “nazi” (?) de Benoist monte à la tribune. Les frais engagés sont tels que les organisateurs et les commanditaires ne peuvent plus reculer: Alain de Benoist est évincé. Le colloque a lieu. Le Figaro-Magazine  s'en fait l'écho. Mais “Alternative libérale” cesse d'exister au lendemain de la manifestation. Cette petite aventure en dit long sur la sincérité du leader de la ND: pour devenir vedette, il a été tout prêt à solder son anti-libéralisme, son anti-américanisme, à mettre au rencart son européisme ou ses positions néo-gaulliennes, sa germanophilie et son culte de la “révolution conservatrice”. Je me rappelle d'un Faye très sceptique et très dubitatif à l'époque... Il m'apparaissait désemparé, lui, l'honnête homme, qui avait toujours suivi ses idées plutôt que les opportunités politiciennes ou médiatiques... Désemparé de constater que d'autres étaient prêts à dire demain le contraire de ce qu'ils avaient toujours affirmé, pour un strapontin, une opportunité ou pour suivre une mode (parisienne). 

 

En janvier 1982, paraît un numéro d'éléments  titré “Mourir pour Gdansk?”. Alain de Benoist y refuse la logique occidentale (alors qu'il était prêt à y sacrifier un petit mois auparavant!!!), s'oppose aux maximalistes de l'OTAN qui s'inquiètent de la prise du pouvoir par Jaruselski en Pologne, détruit le mythe de l'ennemi soviétique, affirme que le système soviétique —qu'il n'avalise pas pour autant—  est moins dangereux pour la culture européenne que les modes et les films américains, mène en fait une guerre préventive contre le reaganisme qui vient d'accéder à la Maison Blanche. Cet anti-occidentalisme, bien construit et courageux, provoque la colère de Raymond Bourgine, directeur de Valeurs actuelles  et de Spectacle du Monde,  un hebdomadaire et un mensuel dans lesquels Alain de Benoist a fait ses premières armes et dont la plupart des rubriques de Vu de droite  sont issues. Alain de Benoist est chassé de la rédaction. C'est un premier gros échec du GRECE. Mais Alain de Benoist conserve sa “rubrique des idées” dans le Figaro-Magazine  (qu'il perdra quelques mois plus tard).

 

Marceau croit en un "réseau de clubs politiques"

 

Philippe Marceau voit que la situation se dégrade. Bon homme d'affaires, il constate que ses investissements dans le GRECE n'ont pas porté les fruits escomptés; son effort financier a été trop important pour les maigres résultats obtenus. Il estime vraisemblablement que les échecs successifs, que le mouvement vient d'encaisser, sont de mauvais augure (faillite de Copernic, échec d'“Alternative libérale”, éviction  hors des organes de presse de Bourgine, position chancelante du GRECE au Figaro-Magazine, moindre attention des médias, acharnement des adversaires, etc.). Marceau se rend compte qu'il n'a pas maîtrisé les “tares” du GRECE (“décideurs en coulisse”, mauvaise gestion des fonds, fantaisies et stratégies personnelles, incapacité de s'en tenir à une ligne précise, variations idéologiques au gré des modes, etc.). Il constate que les livres que d'aucuns lui ont promis d'écrire n'ont pas été écrits, que l'argent prévu doit servir à boucher d'autres trous, etc. Il en conclut à l'échec de la “métapolitique”. Il tente, à partir des réseaux et des fichiers du GRECE, de mettre sur pied des fora  régionaux, appelés à organiser l'opposition contre Mitterrand et les socialistes qui viennent de prendre le pouvoir lors des élections de mai et de juin 1981. Pour s'opposer aux socialistes et aux soixante-huitards qui accèdent aux postes de commandement de la société française, il faut un réseau de clubs politiques. Marceau pense que c'est là l'avenir. Mais les cartes politiques qu'il joue dans les milieux des gaullistes de droite ne donnent rien. Marceau doit dissoudre les fora  régionaux. Il quitte la scène. Le GRECE perd l'atout d'un redoutable organisateur et d'un mécène qui ne comptait jamais ses dons. Exit Marceau. Exit la rigueur et la discipline d'appareil. Marceau se retrouvera deux ans plus tard dans le parti de Le Pen, où sa générosité et son sens du travail peuvent donner le meilleur d'eux-mêmes.

 

Par le départ de cet homme exceptionnel, honnête et scrupuleux, Faye est déstabilisé. Il perd toute protection et toute garantie. Il n'a pas suivi Marceau; anti-libéral, peu attiré par les milieux politiques conservateurs en marge ou à l'intérieur du RPR, Faye croit encore à la “métapolitique”. On l'embobine. On lui fait miroiter un retour à la situation de 1978: nouvelle maison d'édition, création d'un nouvel hebdomadaire, etc. Début 1983, Faye, seul avec quelques amis, anime, en l'espace de huit mois, trois brillantes journées de son CRMC (Collectif de Réflexion sur le Monde Contemporain). Mais après ces trois journées d'une exceptionnelle qualité intellectuelle, le CRMC disparaît, Faye ne parvenant pas à conserver ce cercle qui aurait pu lui donner une pleine autonomie. Entre 1982 et 1985, il participe aux “Colloques d'Athènes”, organisés par le recteur de l'Université de la capitale grecque, Jason Hadjidinas, qui décédera prématurément, après l'avoir incité à reprendre des études et à rédiger un doctorat. Il donne des cours de sociologie de la sexualité à l'Université de Besançon. En 1985, à l'Université de Mons, il prend la parole à un grand colloque euro-arabe, où il donne incontestablement le ton, séduisant par ses talents oratoires le Père Michel Lelong, représentant du Vatican lors de cette initiative, lancée par le Professeur Safar! Le lendemain de ce colloque, quelques dizaines de cadres du GRECE se réunissent pour tenter un renouveau, l'IEAL (Institut Européen des Arts et des Lettres), qui n'aura malheureusement pas d'avenir. Mais après la mort de Jason Hadjidinas, qui l'encourageait paternellement et tentait vainement de corriger ses navrantes naïvetés, Faye est de plus en plus isolé. Il ne participe plus à de grands colloques, ni en France ni ailleurs. Sous le pseudonyme de Gérald Fouchet, il rédige d'excellents articles et d'exceptionnels entretiens dans Magazine Hebdo,  un news  dirigé par Alain Lefèvre. Mais Magazine Hebdo,  asphyxié par les publicitaires hostiles à la ND, doit cesser de paraître. Faye n'a plus d'autres revenus que son très maigre salaire de permanent du GRECE.  Les années 86 et 87 sont pour lui des années d'enlisement. Une propagande perfidement orchestrée le décrit à travers toute l'Europe comme un “exalté”, un “fou” et un “drogué”. Discours que j'ai personnellement, à ma grande stupéfaction, entendu chez Armin Mohler en juillet 1984. Partout, “on” avait répandu la légende d'un Faye un peu cinglé, niais aussi, et surtout d'un esprit brouillon dont “on” devait réécrire les articles...

 

Les suggestions de Jean-Claude Cariou

 

Juste avant le colloque de Mons et la disparition du Recteur Hadjidinas, le Secrétaire Général du GRECE de l'époque, Jean-Claude Cariou, garçon d'un dévouement exceptionnel confinant à la sainteté, tente de sauver les meubles. Il sait, parce qu'il organise, depuis son bureau de Paris, le programme des conférences, colloques et autres initiatives du mouvement en province, que, sans Faye, le GRECE est condamné à l'assèchement. Mais Faye est paralysé personnellement par le salaire insignifiant qu'il perçoit comme une aumône, comme l'os qu'on jette à un chien errant, depuis le départ du généreux Marceau. Cariou suggère une rénovation du mouvement, impliquant:

a) le paiement d'un salaire décent à Faye (ce qui est refusé par les nouveaux mécènes, deux gaillards à moitié analphabètes mais d'une incommensurable prétention); cette suggestion de Cariou montre combien Faye était dépendant et “assisté” (reproche qui lui a été maintes fois adressé). Il y a là une leçon à tirer pour tous les jeunes candidats au “combat métapolitique”.

b) un remaniement général des salaires et une maîtrise des comptes par un bureau régulièrement élu;

c) une contestation définitive du “pouvoir occulte”, c'est-à-dire la transparence.

d) un rajeunissement du mouvement.

 

Quelques jours après avoir formulé ces propositions raisonnables, Cariou est exclu, après une mise-en-scène grotesque, où il a dû comparaître devant une espèce de tribunal rassemblé à la hâte, composé de laquais totalement analphabètes qui hurlaient des slogans appris par cœur et ignoraient bien entendu tout des subtilités du “combat métapolitique” et des idées que leur mouvement était censé défendre. C'est là que toute la dimension parodique de l'aventure parisienne de la ND est apparue au grand jour. L'idée saugrenue de composer un tribunal de cette sorte démontre que les prétentions philosophiques de cette brochette d'individus immatures n'étaient que leurres. Le témoignage écrit qu'en laisse Cariou dans une lettre est éloquant: pendant que ces Fouquier-Tinville d'opérette vociféraient et éructaient, Alain de Benoist, blême, dans un état d'hyper-nervosité pitoyable, vasouillait seul dans son bureau adjacent, en attendant la fin du vaudeville. Quand ce fut terminé, le pontife est sorti de son antre  pour venir bafouiller à la victime: “ne fais pas un destroy contre moi”, répétant cette injonction trois ou quatre fois de suite, avec la trouille qui lui tordait les tripes. Mécaniquement. Pitoyablement. Avec un remord dans la voix qui ne sera que passager, comme tous ses remords. Le tort de Cariou a été de ne pas rire aux éclats devant ces guignols, de tirer sa révérence, en la ponctuant de ricanements homériques et de laisser ces misérables saltimbanques en plan, sans autre forme de procès. Histoire de leur faire entrevoir, ne fût-ce qu'un bref instant, leur finitude, leur déréliction. Et aussi de ne pas avoir conté sa mésaventure dans une brochure qu'on se serait fait un plaisir de distribuer. Cette négligence a permis aux analphabètes de contrôler le mouvement et de faire et de défaire les cadres au gré des humeurs de leurs cerveaux exigus. Triste involution.

 

Après Cariou, Gilbert Sincyr tentera de remettre de l'ordre dans la baraque. Mais comme Faye commençait à ruer dans les brancards et comme Alain de Benoist avait imposé la présence du néo-nazi Olivier Mathieu au Cercle “Etudes et Recherches”, seul apanage de Faye au GRECE, Gilbert Sincyr a rapidement quitté les lieux, dégoûté à son tour. L'université d'été 1986 est un fiasco, tourne à la pantalonnade sous la houlette de l'inénarrable Mathieu, l'homme d'Alain de Benoist à l'époque. Le colloque de novembre 1986 ne rassemble que peu de monde. Marco Tarchi (animateur de la ND italienne) et moi-même sommes rappelés à la rescousse pour étoffer ce colloque, où Faye prononce un discours qui révèle ses déceptions et ses rancœurs. Anecdote: un des analphabètes mobilisé quelques mois auparavant pour évincer le malheureux Cariou, qui souffrira terriblement de son éviction, fait fouiller le sac de mon épouse, la soupçonnant d'apporter une machine infernale pour faire sauter le colloque... Alain de Benoist, pourtant si soucieux de sa respectabilité, avait à cette époque l'art de se choisir de très singuliers collaborateurs. Cette anecdote trahit de manière exemplaire l'atmosphère de gaminerie para-militaire, de caporalisme et d'hystérie nazifiante qui pouvait règner dans ce milieu qui se voulait strictement intellectuel.

 

1987: rupture définitive

 

En 1987, Faye rompt définitivement tous les ponts qui l'unissait encore au GRECE. En mai de cette année-là, il rédige une proclamation (reproduite en annexe de cette édition), où il dresse sereinement le bilan de son engagement. Ce texte est empreint d'une grande sagesse, ce qui contredit tous les ragots colportés sur Faye, le décrivant comme “fou”, “alcoolique” et “drogué”. Dans le cadre de la ND, c'est à Bruxelles qu'il prononce sa dernière conférence, à la tribune du GRESPE de Rogelio Pete, en septembre 1987 dans un luxueux salon du prestigieux Hôtel Métropole. Thème: la soft-idéologie. Très calme et très méthodique, il nous a décrit les mécanismes de la “langue de coton” (Huyghe) et le totalitarisme mou que préparait ce langage édulcoré, annonciateur de notre actuelle “political correctness”. Dommage qu'il soit arrivé au Métropole flanqué du sulfureux Mathieu, qui n'a pas pu s'empêcher de parler du “soleil noir inscrit dans un cercle blanc sur fond rouge”. Type de dérapage lyrique que son chef avait dû grandement apprécier en privé avant de l'engager... Avoir invité Faye m'a valu quelques injures téléphonées par un militant inconditionnel du GRECE, réorganisé par les analphabètes qui avaient évincé Cariou... Sans doute des intimidations sur commande. Qui n'ont eu aucun effet.

 

En 1987, le médiéviste Pierre Vial quitte à son tour le GRECE pour devenir un cadre en vue du FN, privant les revues du mouvement métapolitique d'un souffle d'histoire, qu'elles ne récupereront plus jamais. A la suite de ce départ, la collaboration de Jean Mabire se raréfie puis disparaît définitivement, ôtant au mouvement des textes d'une rare lucidité littéraire. Mabire donnera ses chroniques et ses portraits d'écrivains à National-Hebdo, enrichissant cette feuille politique et polémique de “miniatures” littéraires, toutes de finesse et de pertinence.

 

Une cascade d'évictions

 

Voici donc la chronologie de l'éviction la plus spectaculaire dans l'histoire de la ND. Mais il y a eu d'au­tres départs forcés, comme celui de Giorgio Locchi, évincé en 1979, privant le mouvement d'un juge­ment philosophique sûr, qui lui avait donné son épine dorsale conceptuelle. Ensuite, la non-inté­gration d'Ange Sampieru, brillant juriste, constitutionaliste et économiste, un homme des “grandes écoles”, un “étatiste” et un critique pertinent du libéralisme. Puis le tir de barrage contre Thierry Mudry et Christiane Pigacé, empêchant l'irruption, dans le discours global de la ND, d'une histoire alternative, vé­ritablement centrée sur le peuple et le paysannat, et d'une philosophie politique directement puisée chez Julien Freund. En 1990, nous avons assisté à l'éviction du jeune Hugues Rondeau, l'animateur de “Nouvelle Droite Jeunesse”, qui avait réclamé mon retour. Très cultivé, Rondeau venait du gaullisme, avait un goût littéraire très sûr, un sens des valeurs et de l'esthétique, qui ne dérivait pas des manies habituelles des droites parisiennes. Ensuite, vint mon tour en 1992, à la suite de mises-en-scène que je ne décrirai pas par charité. Enfin, en 1993, Guillaume d'Erebe est à son tour jeté comme un malpropre, privant le mouvement d'un philosophe et politologue très bien écolé, bon connaisseur d'Althusser, de Spinoza, des hétérodoxies en économie, de Perroux et de Carl Schmitt. Le gâchis est immense. La ND s'est étiolée. La ND n'a intégré personne. Elle se meurt très lentement d'attrition; elle ne survit que par l'éclat de son passé (1978-1982). Elle survit par l'excellence des textes des exclus, quelles que soient par ailleurs leurs différences personnelles ou leurs positions intellectuelles (Faye, Sampieru, Locchi, Vial, Mabire,...), par les résidus d'organisation (Marceau) et de gentillesse (Cariou), semés par d'authentiques militants. Ce qui nous permet de dire que la “communauté” dont s'est toujours targué le GRECE ne vit que chez les exclus. La vraie communauté ND est en dehors de la structure qui vivote, où ne vasouillent plus que ses fossoyeurs. 

 

Un observateur impartial des mouvements politiques français me disait que la ND est typiquement parisienne, dans le sens où l'Action Française, le mouvement des surréalistes autour de Breton, les communistes français, ont vécu, eux aussi, de longues successions d'évictions. On dirait qu'il existe un modèle parisien d'“évictionnisme” pathologique que tous imitent là-bas, même inconsciemment. La ND n'échapperait donc pas à la règle.

 

Conclusion: ces évictions laissent beaucoup d'amertume, laissent le sentiment d'avoir été trompé, roulé dans la farine par quelques petits minables, de s'être égaré dans un mauvais vaudeville. La ND, dans ses discours anti-chrétiens, se moquait du précepte évangélique consistant à tendre la joue gauche quand on venait d'être souffleté sur la droite. N'acceptons donc pas benoîtement l'injustice, dans l'espoir d'obtenir ultérieurement le paradis, ou un “poste” dans un GRECE qui serait appelé à ressusciter. Il faut présenter la facture, celle de Faye et de Cariou surtout, celle de Marceau. Il faut désormais faire payer la note à ceux qui ont délibérément, pour des considérations d'ordre personnel ou pour des intérêts bassement matériels, brisé l'élan de la ND, brisé l'élan et les fulgurances de Faye, tué dans l'œuf l'éclosion de son habermassisme affirmateur. Il faut construire. Construire ce que Faye n'a pas eu l'occasion de construire. Rester fidèle, inébranlablement fidèle à sa mémoire, à ses idées, à son engagement de jadis. Voilà pourquoi nous sommes toujours là. Toujours dans nos bonnes œuvres. Avec, en nos têtes, l'adage de Guillaume d'Orange, dit le Taciturne: «Point n'est besoin d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer».

 

Robert Steuckers,

octobre 1995.

lundi, 24 mai 2010

Gespräch mit Guillaume Faye

SYNERGON - BRUESSEL / DRESDEN / ZUERICH - FEBRUAR 2002

Gespraech mit Guillaume Faye

Dear Friends, Here one of the first interviews that Guillaume Faye gave to a German publisher, explaining his career in the New Right scene and giving some explanation about the trial he had to undergo last year for having published "La colonisation de l'Europe", a book that everyone should read anyway, if you agree or not. This interview was made before September 2001 and therefore doesn't mention the events of New York and Afghanistan. We'll try to make another interview of Faye as soon as possible to let you all know what is his point of view in front of the new war and the new alliances in the Old World.

Gespraech mit Guillaume Faye


fayePqNC.jpgGuillaume Faye, geboren 1949, ist als Schriftsteller und Publizist einer der bedeutendsten Theoretiker der "Neuen Rechten" in Frankreich und arbeitete bis 1987 u.a. bei den Zeitschriften "Élements" und "Nouvelle École". 1987 zog er sich von der "Neuen Rechten" zurück und arbeitete als Moderator beim Pariser Lokalradio "Skyrock", war Texteschreiber für Rockbands und Drehbuchautor. Seit Anfang der Neunziger Jahre arbeitet er bei "Synergies Européennes" sowie bei "Terre et Peuple" mit und ist zudem auch publizistisch wieder aktiv.

Das hier veröffentlichte Gespräch mit Guillaume Faye wurde am Rande der SYNERGON-Sommerakademie im August 2001 von Christian Desruelles und Sven Henkler geführt. Übersetzung: Christian Desruelles.

Guillaume Faye, wir haben gehört, daß Sie an einem neuen Buch arbeiten, das den Arbeitstitel "Die Konvergenz der Katastrophen" trägt. Was können Sie uns darüber bereits heute verraten?

Ich werde in diesem Buch zeigen, daß zum ersten Mal in ihrer ganzen Geschichte die westliche Zivilisation und die europäische Kultur vom Tode bedroht sind, denn zum ersten Mal stehen alle Anzeigen im roten Bereich und in naher Zukunft, so in etwa gegen 2010, 2015, wird sich eine Anzahl dramaturgischer Linien überschneiden. Ich lehne mich dabei an die "Katastrophentheorie" des französischen Mathematikers René Thom an. Die Katastrophe ist nicht die Apokalypse, die Katastrophe ist der abrupte Übergang in einen komplett anderen Systemzustand. Es wird eine Explosion geben, die wahrscheinlich die ganze Erde in Mitleidenschaft ziehen wird, die nicht die Menschheit in Gefahr bringen wird, bei der jedoch die europäische Kultur Gefahr läuft, ganz einfach zu verschwinden.

In früheren Zeiten konnte die europäische Kultur in bestimmten Bereichen, zu bestimmten Zeiten bedroht sein, denken wir an Wirtschaftskrisen oder an Kriege. Aber nie in ihrer Geschichte war sie in allen Bereichen und zur gleichen Zeit bedroht.

Ich will Ihnen ein Bild geben: Wir befinden uns auf der Titanic. Alles ist wunderbar: die Küche ist hervorragend, die Frauen sind bildhübsch, das Schiff ist hell erleuchtet, das Meer ist ruhig und das Wetter angenehm - und in einer Stunde werden wir alle tot sein. Und nur der Ausguck weiß es, er sieht den Eisberg kommen.

Zweites Bild: Sie haben gegen Mittag in ihrem Haus einen Kaminbrand - das ist nicht weiter schlimm. Sie haben die Zeit, das Feuer zu löschen. Wenn Sie sich um ein Uhr nachmittags den Fuß verstauchen, ist das ebenfalls nicht weiter schlimm, Sie können ihn verbinden. Wenn Sie um vier Uhr eine Überschwemmung im Keller haben, haben Sie alle Zeit der Welt, die Feuerwehr zu rufen. Wenn Sie nun aber um 18 Uhr gleichzeitig einen Kaminbrand, einen verstauchten Fuß und eine Überschwemmung im Keller haben, dann sind Sie verloren. Genau das aber kommt auf Europa und möglicherweise auf die ganzeWelt zu.

Wird es Kulturen, Gesellschaften geben, welche die Konvergenz der Katastrophen überstehen werden?

Natürlich. Zuerst aber lassen Sie mich die konvergierenden Linien der Katastrophen kurz beschreiben. Die erste Linie ist das ökologische Desaster, das die Erde zur Zeit erlebt und dessen Auswirkungen sich sehr bald und sehr brutal bei der Ernährungssituation und der Gesundheit der Menschen bemerkbar machen werden.

Die zweite Linie in dieser Dramaturgie ist die dritte große Offensive des Islam auf breitester Front, von Gibraltar bis nach Indonesien, und die Unterwanderung Europas durch den Islam und die Immigration. Wir wissen, daß wir in Frankreich ab dem Jahre 2010 mit einem echten ethnischen Bürgerkrieg rechnen müssen, der das Risiko der totalen Destabilisierung der Gesellschaft mit sich bringen wird.

Die dritte Linie ist der wahrscheinliche Zusammenbruch der europäischen Wirtschaft, ebenfalls so gegen 2010, verursacht durch zwei Faktoren: der erste Faktor ist die Überalterung der europäischen Bevölkerung, wodurch die aktiven Teile der Gesellschaft nicht mehr in der Lage sind, die Bedürfnisse des inaktiven Teils zu decken. Der zweite Faktor, den ich in meinem Buch vertieft behandeln werde, ist das fortschreitende Absinken der europäischen Wirtschaft auf das Niveau der Dritten Welt, das heute sichtbar seinen Anfang nimmt.

Die vierte Linie schließlich ist die Expansion des organisierten Verbrechens, Epidemien, die unkontrollierte Verbreitung nuklearen Materials, die wahrscheinlich in nuklearen Konfrontationen enden wird, die wachsende Unordnung in den internationalen Beziehungen und die Unfähigkeit der EU, etwas anderes zu sein als ein bürokratischer Hohlraum, die mögliche Konfrontation im pazifischen Raum zwischen den USA und dem aufstrebenden China.

Von all dem verschont bleiben werden die Völker mit dem "langen Gedächtnis", d.h. China und die islamische Welt. Der Westen ist leider ein "kurzlebiges Volk" geworden. Früher waren auch die europäischen "langlebige" Völker. Man muß sich im klaren darüber sein, daß materieller Reichtum selbstverständlich kein Glücksgarant ist, noch weniger allerdings wird er die Überlebensgarantie eines Volkes in der Zukunft sein.

Diese Katastrophen werden die hochtechnisierten anonymen Zivilisationen des Westens treffen, nicht aber die wahren Völker. Wir haben hier den Unterschied von Zivilisation und Kultur vor uns. Zivilisationen werden sterben - Kulturen werden leben. Die Frage ist: Will Europa wieder eine Kultur werden, will es, wenn Sie so wollen, die "Renaissance" oder will es als Zivilisation sterben? Dieses Problem habe ich in meinem Buch "L' Archéofuturisme" behandelt.

Angesichts all dieser Katastrophen, die uns bedrohen, Guillaume Faye, sind Sie da nicht zum verbitterten Pessimisten geworden?

Ich bin glücklich, wenn ich Pessimist bin. Denn die Optimisten gehen immer zugrunde, weil sie nicht sehen wollen, was um sie herum geschieht. Wohingegen die Pessimisten auf alles um sich herum achtgeben, namentlich auf Hindernisse und Herausforderungen. Wir krepieren an der Ideologie des Optimismus: die "love story" mit "happy end". Alles geht den Bach runter, aber irgendwie wird alles gut werden, denn wir sind ja Optimisten. Das nenne ich den Totalitarismus des Optimismus, lächeln ist obligatorisch, obwohl jedem einzelnen innerlich zum heulen ist. Im Gegenteil also, ich finde, eine Katastrophe ist eine wunderbare Herausforderung, sich zu regenerieren. Diese Katastrophe wird vielleicht das vierte Kulturzeitalter in Europa einleiten, wenn es denn zur Kultur noch fähig ist. Europa kann sterben oder aber auf neuer Grundlage wiedererstehen.

Selbstverständlich ist es für einen Kranken nicht gerade erfreulich, wenn man ihm mitteilt: "Mein Herr, Sie kommen jetzt unters Messer!" Ich freue mich, daß ab 2010 sehr gravierende Dinge geschehen werden, Dinge, die ich leider nicht mehr erleben werde. Schreckliches kommt auf uns zu, aber um so besser, kein Grund Trübsal zu blasen, das wird ein Stimulans sein, ein Faktor der Selektion für die Europäer, das Ende der bür-gerlichen Gesellschaft, der Sturm wird losbrechen.

Sie sprachen vorhin von einem vierten Kulturzeitalter. Wird das die Zeit des Nach-Chaos sein?

Das wissen wir nicht. Hier muß ich einen kleinen Exkurs in die Mathematik machen. Eine Katastrophe ist mathematisch betrachtet ein heftiger und abrupter Verlust des Gleichgewichts innerhalb eines Systems oder, wenn Sie so wollen, ein Zustandswechsel. Unter System ist dabei sehr vieles zu verstehen: eine Familie, ein Volk, alles, was in der einen oder anderen Form organisiert ist. Dieser Gleichgewichtsverlust endet in einem Chaos, dann kommt es zu einer Wiederherstellung des Gleichgewichts, einer Stabilisierung, mit anderen Worten, zu einem Nach-Chaos. Das ist gültig für jedes physikalische System und jede Kultur, das ist etwas universal Gültiges.

Es kann nun gut sein, daß die europäische Kultur, und ich betone, ich spreche in diesem Zusammenhang nur von ihr und nicht von der "Menschheit", für die dieses Risiko nicht besteht, im Chaos versinkt, daß es also für sie kein Nach-Chaos geben wird, daß sie verschwinden wird. Das kann sehr gut sein, den Untergang von Kulturen sehen wir tausendfach in der Geschichte der Menschheit. Ich mache mir im Moment keine Sorgen um China oder den Islam, aber ich mache mir große Sorgen um Europa, denn vergessen Sie nicht, in zwanzig Jahren werden wir nicht mehr in dieser Zivilisation leben, das ist sicher. Schon nur der Lebensstandard wird vermutlich sehr viel tiefer als heute sein. In meinem Buch "L'Archéofuturisme" habe ich ein Weltwirtschaftssystem der zwei Geschwindigkeiten beschrieben: eine Minderheit behält eine übertechnisierte Ökonomie, die über-wältigende Mehrheit aber wird sich in einem neuen Mittelalter wiederfinden, mit einem Lebensniveau, das demjenigen im Europa des 16. Jahrhunderts vergleichbar ist.

Ich habe dieses Modell vor kurzem an der Wirtschaftsfakultät der Universität Birmingham vorgestellt. Ich hatte Angst, von den Studenten und den Professoren dort für einen Idiot gehalten zu werden, aber mitnichten, als Hypothese wird es von ernstzunehmenden Ökonomen durchaus akzeptiert. Es ist nun an uns, die Zeit nach dem Chaos vorzubereiten, denn das Wesentliche ist nicht, einen Lebensstandard aufrechtzuerhalten, sondern dafür zu sorgen, daß die europäische Kultur und die europäischen Völker überleben können.

Kann die Kultur in Europa, wenn es sie nach der Zeit des allgemeinen Chaos noch geben sollte, China und der islamischen Welt die Stange halten?

fayeCdEM.jpgNatürlich, unter der Bedingung, daß das Problem der islamischen Präsenz in Europa gelöst sein wird, denn wir sind das Opfer der dritten Invasion in der Geschichte des Islam in Europa, und unter der Bedingung, daß die Europäer wieder Kinder haben werden und ihre Vitalität wiedererlangen, denn die größte Macht eines Volkes sind nicht die Atom-U-Boote, sondern seine Werte, die Zahl der Kinder und der Zusammenhalt innerhalb des Volkes, das sind die drei wichtigsten Waffen. Es sind heute die Waffen der Chinesen und der Muslime, aber es sind nicht die Waffen der westlichen Welt. Das westliche Modell ist nur scheinbar vor Kraft strotzend und die Hegemonialmacht, die Vereinigten Staaten, wird sich als Eintagsfliege entpuppen.

Für wen schreiben Sie Ihre Bücher?

Für zwei Kategorien von Publikum: für ein junges Publikum, das dieselben Werte hat wie ich, und das in diesen Ansichten bestärkt werden muß, dem ich Argumente und Anregungen liefere, und für ein neues Publikum, das sich aus allen Schichten zusammensetzt, das nicht in parteipolitischen Denkmustern festgefahren ist, das sich aber gewissermaßen den gesunden Menschenverstand bewahrt hat oder in einer klaren Weltanschauung verankert ist. Ich habe Vorträge mit hinsichtlich "political correctness" fürchterlichem Inhalt, z.B. zum Thema Einwanderung, vor einer Zuhörerschaft von Linksextremen gehalten, und die Leute waren einverstanden mit dem, was ich gesagt habe. Ein anderes Beispiel: Vor kurzem habe ich vor einem rein muslimischen Auditorium einen islamkritischen Vortrag gehalten. Die Leute kamen nachher zu mir und sagten: "Sie haben begriffen, was wir wollen, aber da Sie glücklicherweise der einzige sind, macht es ja nichts."

Ich ergreife jedoch nie Partei, Parteipolitik ist mir völlig egal. Das Kind beim Namen zu nennen ist heutzutage überall schwierig in Europa, in der Öffentlichkeit natürlich sowieso. Am ehesten ist dies möglich in Spanien und vor allem in Italien. In zweiter Linie kommen Belgien und Frankreich, obwohl ich nicht zu viel rühmen will; Sie wissen vielleicht, daß ich in Paris einen Prozeß am Hals habe und es also erwiesenermaßen nicht ratsam ist, sich zu weit aus dem Fenster zu lehnen. In der Schweiz und in Deutschland würde ich nie wagen, solche Sachen öffentlich zu sagen. Ich denke, in Italien ist es heute tatsächlich am einfachsten, sich frei zu äußern. In den USA ist alles möglich, ich kann alles und das Gegenteil davon sagen, aber es hat keine Wirkung und verpufft ungehört.

Ich füge hinzu, daß es normal ist, daß unsere Ideen in Konflikt geraten mit der Zensur. Zensur hat es zu jeder Zeit, überall und in unterschiedlicher Form gegeben. Wichtig ist, sie zu umgehen und nicht dumm in die aufgestellten Fallen zu tappen. Und gleichzeitig muß man mutig sein, es gibt Dinge, die man klar und deutlich sagen muß. Man darf es nicht machen wie die französische "Neue Rechte" um Alain de Benoist, die aus Angst, von der Pariser Intelligentsia nicht mehr zum Italiener eingeladen zu werden, Ansichten und Ideen der extremen Linken übernimmt, daß heißt beispielsweise den Kommunitarismus, die Befürwortung der Immigration und der multikulturellen Gesellschaft usw.

Vor einiger Zeit konnte man im Fernsehen junge Menschen auf der Straße sehen: in Genua und in den nordenglischen Städten Oldham und Bradford. Welche Jugendlichen würden Sie bevorzugen?

Tja, wenn Sie mich so direkt fragen, dann stehe ich natürlich auf Seiten der jungen Briten in Oldham und Bradford, weil sie sich gegen die Übergriffe junger muslimischer Pakistanis gewehrt haben, denn vergessen wir nicht, in Oldham hat alles mit einem Angriff auf einen weißen, hoch-dekorierten Kriegsveteranen begonnen, der sich in ein von Immigranten beherrschtes Quartier ver-irrt hatte.

Die jungen Leute in Genua hingegen sind Opfer einer Manipulation, sie behaupten, gegen die Globalisierung zu sein, im Grunde tun sie jedoch nichts anderes, als der Globalisierung in ihrer liberalen Variante die trotzkistische entgegenzustellen. Der beste Beweis dafür ist, daß sie für die Abschaffung aller Grenzen sind.

Diese Demonstrationen à la Mai ´68 in Genua sind in gewissem Sinne reines Theater. Wir haben es hier mit einem klassischen Beispiel für Manipulation der Akteure und Desinformation des Publikums zu tun. Phänomene dieser Art dienen dazu, die Aufmerksamkeit der Menschen von dem abzulenken, was heute wirklich geschieht. Aber es ist interessant, daß in der Berichterstattung über die Tumulte in Nordengland die Medien vom eigentlich wichtigen Ereignis ablenkten, von der Tatsache, daß Teile des englischen Volkes konkret auf den Beginn eines Bürgerkrieges reagierten und gegen das ihnen von Immigranten quasi auferlegte Verbot, die eigenen Quartiere zu betreten, aufbegehrten.

Sprechen wir von den Autoren und den Büchern, die auf Sie und Ihren Werdegang am meisten Einfluß gehabt haben...

Oh, da gibt es einige. Wirklich zutiefst geprägt haben mich Friedrich Nietzsche, ich muß es gestehen, und ein großer Teil der deutschen Philosophie: Heidegger natürlich, über welchen ich eine größere Arbeit geschrieben habe, auf eine ganz besondere Art und Weise auch Hegel oder all die Lebensphilosophen wie Ludwig Klages und Georg Simmel. Beeindruckt hat mich auch der Wahldeutsche Houston Stewart Chamberlain. Ich finde überhaupt, daß es geradezu ein kategorischer Imperativ ist, sich mit deutscher Philosophie auseinanderzusetzen, man kommt einfach nicht darum herum. Obwohl ich nicht alle Thesen nachvollziehen kann, muß ich auch Carl Schmitt und seinen französischen Schüler Julien Freund erwähnen. Dann die amerikanischen Soziologen Bell und Lasch. Franzosen kommen mir fast keine in den Sinn, ja, gut, Julien Freund, den ich schon erwähnt habe, bestimmt aber Raymond Ruyer, der nicht sehr bekannt ist.

Mein Buch "L' Archéofuturisme" ist aber inspiriert worden durch sein vor langer Zeit erschienenes Buch "Les cent prochains siècles". Von den Franzosen haben mich auch einige, ein wenig spezielle Denker geprägt, der bekannte Guy Debord etwa, der die ziemlich ulkige Schule der Situationisten gegründet hat, mit seinen Betrachtungen über die "Gesellschaft des Spektakels".

Wichtig sind mir auch Michel Maffesoli, übrigens ein Freund von mir, Jacques Derrida und Michel Foucault. Von den französischen Dichtern beeindruckt mich Jean de La Fontaine, der Dichter der Fabeln, das ist ganz außerordentlich. Ich liebe auch einige Bücher von Ernst Jünger, nicht alle, aber bestimmt "Auf den Marmorklippen" und "Eumeswil".

Alle die Autoren sprechen mich an, die dem Leben und der Wirklichkeit verpflichtet sind.

Stichwort "Wirklichkeit": Nach einer Zeit, als Sie sich der Wirklichkeit gestellt haben, als Sie Radio gemacht und auch Drehbücher geschrieben haben, als Sie auch eine zeitlang als Kassierer in einem Supermarkt gearbeitet haben, sind Sie 1998 wieder auf die Bühne der europäischen "Neuen Rechten" zurückgekehrt. Warum?

Aus zwei Gründen: einmal weil ich mich in der Welt des Showbusiness gelangweilt habe. Es gab da zu viele mittelmäßige Leute. Zweitens hatte ich genug, mich zu amüsieren und dabei zu nichts nutze zu sein. Meine Radiosendungen brachten es zwar auf zweieinhalb Millionen Zuhörer, dennoch konnte ich nicht mit ansehen, was um mich herum passierte. Ich konnte nicht zuschauen, wie Europa untergeht wie die Titanic. Das angenehme Leben war mit meiner Rückkehr natürlich zu Ende, aber ich bin heute viel glücklicher.

Guillaume Faye, Sie haben vorhin erwähnt, daß Sie in einen Gerichtsprozeß verwickelt sind?

Das ist sehr interessant. Dieser Prozeß zeigt, daß es in Europa kein positives Recht mehr gibt und wir zu einem Recht zurückkehren, das man als inquisitorisches oder subjektives Recht bezeichnen könnte: man beurteilt nicht mehr eine Handlung, sondern die Gesinnung.

Die Veröffentlichung meines Buch "La colonisation de l'Europe" hat mir diesen Prozeß eingebracht. Was die Behörden so schockiert hat ist, daß ich die Einwanderung Kolonisierung nenne. Es gibt in diesem Buch keinerlei Aufstacheln zum Rassenhaß, wir müssen uns halt einfach wehren, weil wir angegriffen werden.

Als das Buch erschienen war, wurde ich vor den Kadi zitiert. Ziel war es, meinen Verleger mittels einer enormen Geldstrafe finanziell zu ruinieren und mir Angst einzujagen und mich daran zu hindern weiterzuschreiben. Der Chefankläger warf mir Aufstachelung zum Rassenhaß vor, 178 Seiten von 300 fielen laut Anklage unter diesen Tatbestand. Mein Anwalt wandte ein, daß juristisch betrachtet eine Handlung, also eine tatsächliche Erfüllung des Tatbestandes vorliegen müsse: ich stehle, wenn ich jemandem etwas tatsächlich wegnehme; ich stachle zum Rassenhaß auf, wenn ich meine Leser dazu aufrufe, ein Messer zu nehmen, damit auf die Straße zu gehen und alle Immigranten, die ihnen begegnen, umzubringen. Die Antwort der Richterin auf diesen Einwand: "Es ist die allgemeine Atmosphäre, die dieses Buch bei der Lektüre verströmt, daran spürt man deutlich, daß sie hassen." Und das vor 200 Zuhörern im Gerichtssaal. Sie fuhr fort: "Und im übrigen steht schon im Vorwort ein skandalöser Satz." Den besagten Satz hatte Alexander Solschenizyn in einem Zeitungsinterview gesagt. Mein Anwalt meinte nachher, die Richterin habe vermutlich nicht einmal gewußt, wer Solschenizyn ist, und falls doch, dann zumindest nicht genau, ob er verboten ist oder nicht. Der Satz also lautet: "Wenn die Feder nicht wie ein Dolch ist, dann taugt sie nichts." Ich wollte mit diesem Zitat ausdrücken, daß, wenn ein Buch die Dinge nicht beim Namen nennt, es nichts wert ist. Sie aber sagt mir: "Sie sehen ja selbst, wenn Sie andere Autoren zitieren, dann kommt da sofort ein Dolch ins Spiel, das beweist doch ihre potentielle Gewalttätigkeit. Das heißt mit anderen Worten, daß Sie Ihren Lesern einflüstern, Menschen zu töten!"

Aber ich hatte zwei Entlastungszeugen: einen Afrikaner und einen Araber. Die Richterin meinte, das sei nun wahrhaft teuflisch von mir. Die Zeugen sagten, was ich in meinem Buch schreibe, sei noch nicht einmal die halbe Wahrheit. Nun, meinem Verleger und mir wurde je eine Buße von 50.000 französischen Franken aufgebrummt, aber ich habe Berufung gegen das Urteil eingelegt und notfalls ziehe ich das Urteil weiter an den französischen Kassationshof. Was auch immer geschehen mag, ich werde nicht zahlen und publizistisch eher noch eins draufgeben.

Eine letzte Frage: Stand hinter Ihrem Ausflug ins Showbusiness auch ein wenig die Absicht, den "Tiger zu reiten"?

Sie spielen da natürlich auf den Titel eines Werkes von Julius Evola an. Evola finde ich hochinteressant, aber im Gegensatz zu vielen seiner Leser sind es seine Zeitanalysen wie "Revolte gegen die moderne Welt", seine politischen und soziologischen Texte wie "Cavalcare la tigre", die mich faszinieren. Seine anderen, esoterischen Bücher zu begreifen, dafür halte ich mich persönlich für zu wenig intelligent.

Aber um Ihre Frage zu beantworten: Ja, ich glaube, das kann man so sagen. Du kannst eine Sache nur kritisieren, wenn Du dieser Sache auf den Grund gegangen bist. Du kannst die Gesellschaft kritisieren, wenn Du Dich in ihrem Zentrum aufgehalten hast, ohne Dich durch diese Gesellschaft korrumpieren zu lassen. Ich habe beobachtet, ich habe mitgemacht, ohne innerlich dabei beteiligt gewesen zu sein, in diesem Sinne habe ich den Tiger geritten, ja.

Herr Faye, wir danken Ihnen für dieses Gespräch.

dimanche, 14 mars 2010

Le déclin comme destin

Le déclin comme destin

par Guillaume Faye

declin.jpgEn apparence l’erreur d’Oswald Spengler fut immense : il annonçait pour le XXe siècle le déclin de l’Occident, alors que nous assistons tout au contraire à l’assomption de la civilisation occidentale, à l’occidentalisation de la Terre, à la généralisation de cet « Occident » auto-instauré comme culture du genre humain, dont, suprême paradoxe, les nations néo-industrielles de l’Orient constitueront peut-être d’ici peu l’avant-garde. En apparence toujours, c’est au déclin de l’Europe que nous sommes conviés. Montée en puissance de l’Occident et perte de substance de l’Europe : les deux phénomènes sont sans doute liés, l’un entraînant l’autre. Tout se passe comme si, après avoir accouché de l’Occident, répandu aujourd’hui sur toute la planète, l’Europe épuisée entrait dans un nouvel âge sombre.

La thèse ici présentée sera simple : l’Occident n’est pas « en » déclin – il est au contraire en expansion – mais il est le déclin. Et il l’est depuis ses fondements, depuis son décollage idéologique au XVIIIe siècle. L’Europe, quant à elle, n’est qu’en décadence.

Déjà, parle l’étymologie : l’« Occident » est le lieu où le soleil se couche. Et, dans son essence, la civilisation occidentale, apparent mouvement ascendant, se confond en réalité avec une métaphysique du déclin, un dépérissement du principe solaire qui, superficiellement, semble la fonder. Ce déclin intrinsèque qui est la loi de l’Occident n’est pourtant pas facile à déceler tant il est empreint de paradoxes.

Premier paradoxe : alors que l’idéologie occidentale entre dans son déclin – déclin des théories progressistes, révolutionnaires, démocratistes, etc. – la civilisation occidentale connaît, même sur le plan politique, une expansion irrésistible de ses régimes économiques et politiques, qu’ils soient socialistes ou capitalistes, au détriment des traditions locales de souveraineté et de culture. Deuxième paradoxe : alors que l’Europe semble entamer, hélas, en tant qu’ensemble continental, un dépérissement dans un nombre impressionnant de domaines, l’Occident qui constitue, pour Abellio comme pour Heidegger, le fils métaphysique et géopolitique de cette Europe, explose à l’échelle de la planète entière. Troisième paradoxe : alors qu’au sein même de notre culture, nous vivons l’implosion du sens, le déclin des grandes valeurs constituantes, l’effondrement des ressorts spirituels, nous assistons en même temps à la montée en puissance de la partie matérielle de notre culture, de sa « forme », c’est-à-dire de ses manifestations technologiques et scientifiques qui sont en passe de détenir le règne absolu de la Terre.

La civilisation technique et économique qui, partie d’Europe et d’Amérique du Nord, gagne la planète entière, ne peut pas sérieusement être confondue avec un fait de « décadence ». Les historiens nous ont montré, par exemple, que la fameuse « décadence de l’Empire Romain », trop souvent et à tort comparée avec notre situation, s’accompagnait d’une régression des « formes » de civilisation : techniques, institutions, villes, infrastructures, échanges, etc.

Toujours de plus en plus de routes, d’usines, d’avions, d’écoles, d’hôpitaux, de livres, de pollution et d’êtres humains. Troisième paradoxe : plus la « structure » explose, moins ses assises idéologiques et morales semblent assurées. On assiste en parallèle à une explosion des formes de civilisation, et à une implosion des valeurs, des idéologies et surtout de tous les fondements moraux et spirituels qui confèrent un « sens » englobant aux sociétés.

Quatrième paradoxe : si l’on se contente même de considérer le secteur de la pure économie, on observe une crise des mécanismes mondiaux de libre-échange commerciaux et monétaires, mais en même temps une irrésistible progression des technologies et de l’organisation commerciale et scientifique de l’humanité. Cinquième paradoxe : à l’heure où l’effondrement des taux de fécondité partout dans le monde (commencé en France au XVIIIe siècle et dans le Tiers-monde ces dernières années) n’a encore donné lieu à la dénatalité que dans les seuls pays industriels, la population mondiale, du fait d’une loi arithmétique simple à saisir, continue de croître à un rythme exponentiel [1].

Ces cinq paradoxes sont inquiétants. Au lieu de vivre des déclins globaux et linéaires comme les autres civilisations qui nous ont précédés, nous subissons ce que l’on pourrait nommer un « déclin emboîté dans une expansion ». Comme si la civilisation occidentale était une machine devenue folle, son centre implose tandis que sa périphérie explose. L’Europe régresse, l’Occident se répand. Le sens disparaît, les formes croissent. Le « sang » s’évapore, mais les veines se ramifient en réseaux de plus en plus vides. De moins en moins de cerveau, mais de plus en plus de corps et de muscles. De moins en moins d’humanité, mais de plus en plus d’hommes. De moins en moins de cultures, mais de plus en plus de civilisation. Tout cela ressemble étrangement à une prolifération cancéreuse. Un cancer, en effet, c’est le déclin de la différenciation qualitative des cellules au profit du triomphe de la reproduction quantitative.

La logique profonde de l’Occident, à travers l’égalitarisme social, la conversion de toutes les cultures aux mêmes modèles politiques et économiques, à travers la rationalisation de l’existence que ne peuvent même pas éviter les régimes qui, dans leurs doctrines, la combattent, c’est depuis ses fondements la réduction de l’organique au mécanique.

Le suprême paradoxe de l’Occident, c’est que son assomption est, sous l’apparence de la croissance et de la juvénilité, une entropie, c’est-à-dire une homogénéisation croissante des formes de vie et de civilisation. Or, la seule forme véritable du déclin, comme nous l’enseignent l’astrophysique et la biologie, c’est précisément l’entropie : croissance cancéreuse des cellules indifférenciées ou, selon le deuxième principe de la thermodynamique, déperdition d’énergie par homogénéisation. De ce point de vue, l’essence de l’Occident, c’est le déclin, puisque sa raison d’être est l’uniformisation des formes-de-vie humaines. Et l’essence du « progrès », c’est l’entropie. La multiplication explosive des technologies vient masquer ce déclin à ses propres protagonistes, exactement comme, dans le processus tragique de rémission des cancéreux, la prolifération des cellules indifférenciées donne, pour quelque temps, l’illusion de la santé et de la croissance organique. L’Occident est un vieillard qui se prend pour un adolescent.

Mais, dans la mesure où cette civilisation occidentale entre dans son « troisième âge », connaît à la fois un triomphe de ses formes, de ses quantités, de son expansion statistique et géographique mais un épuisement de son sens, de son idéologie, de ses valeurs, on peut se demander si elle n’est pas au bord de la résolution de ce déclin qu’elle porte en elle. Hypothèse : ce serait toute la Terre alors qui entrerait dans le temps du déclin, puisque, pour la première fois, toute une civilisation l’unifie, une civilisation minée de l’intérieur. La civilisation occidentale ressemble aux arbres de Paris : ils continuent à pousser alors même qu’ils sont rongés.

On peut considérer que l’uniformisation de la Terre entière sous la loi d’une seule civilisation – politique, économique et culturelle – est un processus bio-cybernétique, puisqu’il s’agit, comme le montrèrent Lupasco et Nicolescu, d’une homogénéisation d’énergies. Pour l’instant cette entropie est « expansive » ; elle sera un jour, comme toute entropie dans sa phase n° 2, implosive. Et n’allons pas croire, comme l’imagine Lévi-Strauss, que de « nouvelles différences » et de nouvelles hétérogénéités puissent surgir au sein d’une civilisation mondiale devenue occidentale [2]. Il ne s’agirait que de spécificités superficielles, des folklores ou des « variantes ». Et, dans la mesure où cette accession historique de l’humanité à une seule et même civilisation occidentale, démocratique, prospère, individualiste et égalitaire constitue le projet des idéologies du Progrès depuis plus d’un siècle, qu’elles soient socialistes ou libérales, ne doit-on pas se demander si l’idée même de Progrès ne serait pas la figure centrale du Déclin ? La matière et l’essence du Progrès, c’est l’accès de tous les hommes à la même condition et à la même morale sociale, réputée universelle. En ce sens, les doctrines progressistes, sécularisant les religions monothéistes de la vérité révélée, entament un processus de fin de l’histoire, de fin des histoires de chaque peuple.

Nous entrevoyons cette fin de l’histoire aujourd’hui : statu quo planétaire par la menace thermonucléaire, condominium soviéto-américain sur le monde qui gèle les indépendances nationales, « gestion » techno-économique et financière d’une économie mondiale qui uniformise les modes de production et de consommation, etc. On ne cesse de dire, après Alvin Toffler, que nous entrons dans la « troisième révolution industrielle » ; c’est vrai, mais ne perdons pas de vue néanmoins cet étonnant paradoxe : au fantastique bouleversement des formes socio-économiques correspond la glaciation des formes politiques et « historiques ». Nous vivons une « mutation immobile ». Tout vibre (technologies, rapports sociaux et économiques) mais rien ne « bouge » (géopolitique) ; ou plutôt rien ne bouge encore. Et, comme la conscience historique, les idées et les valeurs, elles aussi, congèlent.

Derrière son triomphe, la civilisation occidentale voit aujourd’hui son ressort brisé : ses mythes fondateurs et ses idéologies dépérissent et se sclérosent. Le progressisme, l’égalitarisme, le scientisme, le socialisme ont désenchanté leurs partisans et ne mobilisent plus les énergies. Les modèles politiques d’une civilisation quantitative, tout entière fondée sur l’économie, ont produit à l’Est le totalitarisme tyrannique, à l’Ouest le totalitarisme doux et despotique de la société de consommation prévu par Tocqueville, et dans le Tiers-monde, l’ethnocide et le paupérisme de masse, ce dernier masqué par la triste mystique du « développement ». Devenues anti-révolutionnaires, les idéologies occidentales, à l’image de cette civilisation néo-primitive qu’elles représentent, convergent aujourd’hui dans un social-libéralisme tiède, cynique, sans projet, gestionnaire, inessentiel, rassemblé autour de la vulgate académique des « Droits de l’Homme », dont Claude Polin a bien montré l’inanité et l’inefficacité [3]. Privée de toute transcendance, organisée dans son principe autour du rejet de toute référence au spirituel, la civilisation occidentale est l’organisation technico-rationnelle de l’athéisme. Or, mutilée de ses dieux, quels qu’ils soient, une culture humaine se condamne à terme, même si par ailleurs brille l’éclat de Mammon, même si l’accumulation technologique, la progression nominale des revenus ou les « progrès de la justice sociale » donnent l’illusion de la vitalité.

Mais cette ascension de l’économie et de la technique, au nom de quoi la prendre pour une amélioration ? Il est facile de démontrer, par exemple, que les processus mentaux de la société de consommation, même du point de vue de l’intelligence gnoso-praxique et technicienne, ne sont pas nécessairement plus élaborés que ceux des sociétés traditionnelles. La société technicienne voit, concrètement, décliner l’incorporation de « spirituel » (Evola) ou d’« être » (Heidegger), et même peut-être aussi d’intelligence dans ses formes de vie [4]. Et, paradoxalement, puisque le monde, contrairement aux vues chrétiennes n’est pas dualiste mais associe dans une apparente contradiction ce qu’il y a de plus immatériel et ce qu’il y a de plus biologique dans la même unité organique et vitaliste, il n’est pas étonnant qu’au déclin spirituel corresponde aussi le déclin de l’esprit de lignage, le déclin démographique. Conscience biologique et conscience spirituelle sont liées.

La séparation opérée par le dualisme chrétien entre Dieu et le monde a profondément marqué la civilisation occidentale, rompant avec l’unité du transcendant et de l’immanent de la tradition hellénique. Pénétrant l’inconscient collectif et les formes de civilisation, ce dualisme a progressivement donné lieu à un désenchantement et à une désacralisation du monde, à une civilisation schizophrène : d’où les séparations mutilantes entre l’Etat-Père-et-Juge et la société, entre la Loi et le peuple, entre les rationalités du libéralisme et du socialisme et l’élan vital « aveugle » (mais donc clairvoyant parce qu’« obscur ») des civilisations, entre l’individu érigé en monade et ses communautés, entre la légitimité apparente de l’Occident, c’est-à-dire cette « démocratie » dont tous (tyrans compris) se réclament sans en percevoir le sens, et les aspirations réelles des populations, entre la Technique figure dominante du temps, et l’idéologie.

Ces deux derniers points méritent des précisions. Le divorce entre la Technique, aujourd’hui prosaïque et désenchantée et l’idéologie fut souvent mal compris, notamment par Spengler et Jünger. Ce n’est pas, selon nous, la Technique qui constitue la cause du matérialisme, de l’uniformisme et de la déspiritualisation de l’Occident ; mais c’est l’idéologie occidentale elle-même qui a fait de cette Technique le moteur de sa logique mortifère. La Technique est désenchantée et non désenchantement dans son essence. La raison en est ce divorce entre l’essence de la Technique qui est, comme le vit Heidegger, poétique, lyrique, faustienne, donc spirituelle et « artistique », et les idéologies dominantes en Occident qui n’assignent à cette Technique que le prosaïsme mécanique de la domestication par le bien-être et la finalisent comme « technologie du bonheur individuel ». Si la fusée Ariane ne fait pas rêver alors qu’elle le devrait, qu’elle devrait représenter pour notre imaginaire la « transfiguration des dieux », c’est parce que sa finalité est la retransmission des émissions de télévision, c’est-à-dire l’expression du « banal » le plus plat.

Et lorsque Gilbert Durand en appelle à la renaissance des ombres de l’imaginaire, seules capables peut-être d’affronter le désenchantement de la techno-société de consommation, ce n’est pas dans la consommation du passé, dans les musées, dans les études, dans les nostalgies, dans les mythes mis en fiches informatiques qu’elles pourront être retrouvées. C’est paradoxalement dans la contemplation brute des ordinateurs eux-mêmes, dans les fusées et les centrales, bref dans une Technique qui porte en elle le plus grand potentiel de rêve que l’humanité ait pu trouver et qui est aujourd’hui neutralisée, déconnectée, par des idéologies et des modèles sociaux tout entiers dominés par la petitesse domestique et la froide logique comptable des bureaucraties.

La deuxième conséquence grave du dualisme occidental porte sur le divorce entre le régime politique officiel (la fameuse « démocratie ») et la manière dont ce régime est concrètement ressenti, est socialement vécu par les prétendus « citoyens ». Nous ne pouvons ici qu’énumérer sans les développer les effets de ce divorce : non-représentativité radicale de la classe politique, toute-puissance des féodalités minoritaires (corporations syndicales, médias, réseaux bancaires, corps technocratiques), simulacre de participation électorale des citoyens au pouvoir par le caractère inessentiel des enjeux des scrutins, volonté constante des partis politiques de détourner à leur profit l’opinion réelle du peuple, etc. Plus que jamais, l’opposition entre pays réel et pays légal demeure la règle. Fondé sur la souveraineté du peuple, l’Occident l’établit moins encore que les sociétés traditionnelles tant décriées comme tyranniques. Dans cette affaire, le plus grave n’est pas l’absence de « démocratie » (mieux vaudrait à tout prendre un pouvoir qui reconnaisse officiellement l’impossibilité de la démocratie et qui fonde la souveraineté sur – par exemple – une autocratie sacralisée) mais la schizophrénie endémique, le mensonge permanent d’un système de pouvoir qui, à l’Est comme en Occident, tire sa légitimité d’un principe (le Peuple souverain) qui non seulement n’est pas appliqué, mais dont la principale préoccupation des classes dirigeantes est d’en interdire l’application.

En effet, que craignent et que combattent le plus les partis, les syndicats, les grands corps, les médias progressistes (et en URSS le PCUS) sinon la démocratie directe, sinon le césarisme référendaire où l’avis brutal du peuple s’exprime sans ambages ? Et pourquoi redoutent-ils tant ce peuple ? Parce qu’ils savent bien que dans ses profondeurs l’humanisme, l’égalitarisme éclairé, le cosmopolitisme déraciné n’ont pas de prise. Ils savent qu’au sein du peuple « ignorant », livré à lui-même sans l’encadrement des « élites » syndicales, partitocratiques et journalistiques, vivent toujours des valeurs et des aspirations qui ne correspondent pas à ce que les scribes, les technocrates, les politiciens et les prêtres attendent.

Ceux-là, qui tiennent la position d’« élites européennes » mais qui n’en ont pas la carrure, en proie au vide intellectuel et idéologique, se rallient comme à une bouée de sauvetage à la vulgate occidentale. La « droite » et la « gauche » politique font converger leurs discours appauvris dans le même atlantisme socio-libéral. Avec impudence, la gauche française, après l’échec prévisible de son « socialisme », accomplit les funérailles discrètes de celui-ci et se nomme porte-parole du capitalisme et de l’individualisme, abandonnant définitivement tout discours révolutionnaire. Ainsi naît, sur le plan idéologique comme sur le terrain politicien, une « gauche-droite », nouveau parti unique des démocraties occidentales, qui communie dans l’atlantisme, la défense de l’Occident (thème jadis des crypto-fascistes), le reaganisme, la philosophie sommaire des Droits de l’Homme et le conservatisme.

Cette « gauche-droite » idéologique et politique ne se caractérise pas seulement par son occidentalisme mais par sa dérive anti-européenne masquée par un anti-soviétisme primaire et un discours apparemment pro-européen. Il s’agit de nier toute spécificité et toute indépendance à l’Europe en la désignant comme simple zone (et comme bouclier) de l’Occident atlantique [5].

Or il se trouve que, pour la première fois sans doute dans son histoire, l’Europe n’a plus les intérêts de l’Occident (culturels, géopolitiques et économiques) et qu’un découplage de l’Europe et de l’Occident américanomorphe est devenu nécessaire. C’est précisément parce qu’elle participe exclusivement de la civilisation occidentale – qui fut jadis européenne mais qui ne l’est plus – que l’Europe est entrée en décadence.

Les figures de la décadence européenne sont connues. Rappelons-les pour mémoire : cette civilisation qui est toujours virtuellement la plus dense et la plus puissante de la Terre, gît, comme Gulliver enchaîné, démembrée par le condominium soviéto-américain. Privée d’indépendance politique, futur champ clos d’un affrontement entre les deux Super-Gros, l’Europe vit avec la perspective de son génocide nucléaire. Le « jour d’après » ne concerne pas, en réalité, nos deux protecteurs. Victime d’une guerre économique qui la désindustrialise, en proie au centre à la colonisation et à l’occupation et, à l’ouest, à la déculturation et à l’exploitation, l’Europe est également en chute démographique. Dans tous les domaines, après avoir explosé, l’Europe, comme un trou noir, implose. Elle entre, comme après la chute de Rome, dans un nouvel âge sombre.

Mais la décadence européenne est moins grave et n’apparaît pas de même nature que le « déclin explosif » qui porte l’Occident. Ce dernier, répétons-le, est le déclin ; il porte en lui le dépérissement de toutes choses. Le déclin d’un organisme est sans rémission, parce qu’il touche ses fondements et son principe. L’Occident a un principe, abstrait, c’est l’idéologie (américanisme ou soviétisme, tous deux sécularisations du christianisme). Or l’Europe n’est pas un principe, mais un peuple, une civilisation, une histoire, de nature vivante et organique et non pas mécanique. En ce sens l’Europe n’est qu’en décadence. Elle traverse un âge sombre dont elle peut se remettre. Elle est malade et peut se guérir par auto-métamorphose, alors que l’Occident est inguérissable parce qu’il ne peut pas se métamorphoser, parce qu’il obéit à une logique linéaire, ignorant tout polymorphisme. Comme le formule l’historien Robert Steuckers, l’Occident américain est l’alliance de l’Ingénieur et du Prédicateur ; l’Occident soviétique est l’alliance de l’Ingénieur et de l’Idéologue. Or l’Idéologue et le Prédicateur perdent, en ce moment même, leur légitimité, leur mystique, leur enchantement. Le travail de l’Ingénieur, qui n’était fondé que sur la corde raide de leurs discours et qui continue, pour un temps encore, par effet inertiel, son processus, est condamné à terme parce qu’il n’est plus alimenté. L’Europe, en revanche, est l’alliance de l’Ingénieur et de l’Historien. Le discours de ce dernier, irrationnel, fondé sur les profondeurs de l’imaginaire, peut sans doute entrer en crise comme aujourd’hui, mais il est inépuisable parce qu’il peut se régénérer selon le principe dionysiaque de perpétuelle efflorescence.

L’Europe n’est que provisoirement liée au discours occidental. Ses « principes de vie » sont multiples : un peuple ne doit pas son existence, à l’inverse de l’Occident américain ou soviétique, à un mécanisme idéologique, à une légitimité « politique » qu’il faut sans cesse justifier, ou, pire encore, à la logique quantitative de l’économie. Pour survivre, un vrai peuple – cas de l’Europe et de nombreuses civilisations du « Tiers-monde » – n’a rien « à prouver ». L’Occident, lui, doit sans cesse « prouver » ; or, c’est précisément ce qu’il ne peut plus faire…

La décadence de l’Europe est liée aux effets de la civilisation occidentale, qu’il s’agisse de l’américanisme et du soviétisme. Mais, paradoxalement, le déclin déjà commencé de cette civilisation, même si dans un premier temps paraît être la cause de la décadence européenne, sera, dans un second mouvement, la condition d’une régénération de la culture européenne.

La condition d’une renaissance européenne doit être trouvée dans une auto-métamorphose comme notre histoire en connut plusieurs : abandon des idéologies occidentales et naissance de nouveaux fondements que nous ne connaissons pas encore, qui ne peuvent être qu’irrationnels et spirituels, et qui, eux aussi, n’auront qu’un temps.

Mais la civilisation normalisée, ayant transformé en morale prosaïque et réglementaire ses propres principes spirituels fondateurs, ne laisse plus d’espace à la création de valeurs mobilisatrices. Le narcissisme devient la destinée d’individus qui s’isolent dans le présentisme face à une société devenue autonome, dont les normes n’ont d’autres fins qu’elles-mêmes. Dans ces conditions, peut-on considérer comme un « retour du sens », comme une réponse spontanée de la société aux structures normalisatrices, les multiples manifestations contemporaines qui, dans leurs « explosions », font apparemment échec à la transparence rationnelle des discours et à la froideur des mécanismes techno-économiques ? Les phénomènes récents de libéralisation des mœurs, l’inventivité des groupes qui viennent en « décalage » où la sociologie pense découvrir de nouveaux types de rapports humains, le mouvement diffus de réenracinement culturel qui semble annoncer un réveil des cultures populaires contre la culture marchande de masse, etc., tout cela augure-t-il un renouveau d’un « paganisme social » contre la normalisation des Etats-Providence ? Ou bien n’assistons-nous pas à la naissance de « soupapes de sécurité », comme des porosités dans le corps de la norme par où s’échapperaient, en quantités programmées, des énergies virtuellement dangereuses qui se verraient récupérées et neutralisées, transformées en « distractions », reproduites comme « loisirs » ? Il est difficile de répondre. Cependant on ne peut s’empêcher de noter que notre époque voit coexister deux phénomènes inverses, l’un de renforcement des normes techno-économiques, l’autre de libération des morales privées. L’hétéronomie sociale répond à l’autonomisation des règles non-économiques d’existence. Ce parallélisme, qui n’est pas forcément un hasard, nous incite à considérer très attentivement la fonction des mouvements de libération et d’innovation des mœurs, sans cependant négliger les espoirs qu’ils peuvent aussi susciter. Quoiqu’il en soit, pour répondre à ce désir de normalité, devenue normalisation effective, où nous enferme l’idéologie occidentale, je suis enclin à fonder plus d’espoir sur les peuples que sur les sociétés, ces peuples que mettent en branle non pas des « vibrations » de mœurs mais des mouvements de l’histoire. Or l’Europe, avant d’être une société, n’est-elle pas d’abord un peuple ?

Paradoxalement, la chance de l’Europe réside peut-être dans sa vieillesse qui peut se transformer en jeunesse : l’Europe touchée la première par la civilisation occidentale, réagira peut-être la première contre elle. En ce cas, la décadence serait un facteur d’anti-déclin, et la sénescence, un facteur d’expérience et de rajeunissement : revenus de tout, désenchantés, les néo-européens des jeunes générations qui, dans leur « docte ignorance », ne veulent même plus savoir ce que politique, démocratie, égalité, Droits de l’Homme, développement, etc. signifient, qui ne croient plus dans le prométhéisme vulgaire des mystiques socialistes ou capitalistes, reviennent, du fait de cette apparente dépolitisation, aux choses essentielles : « nous ne voulons pas mourir, avec notre peuple, écrasés par une guerre atomique en Europe dont les enjeux ne sont pas les nôtres ; nous ne voulons pas nous « engager » auprès d’une droite ou d’une gauche, d’un occidentalisme ou d’un soviétisme qui ne sont que les visages faussement antagonistes du même totalitarisme ». Ce discours est fréquent dans la jeunesse. Tant mieux ; c’est celui de l’« Anarque » d’Ernst Jünger. C’est un discours révolutionnaire et engagé sous des apparences de désengagement et d’incivisme. C’est l’attitude des neutralistes allemands qui n’expriment nullement une démission, mais une prodigieuse énergie, l’éternelle ruse du peuple qui sait qu’on peut se relever d’un « régime politique » mais pas d’un holocauste.

La renaissance arborescente, rusée ou inconsciente, des vitalités populaires de toutes natures contre l’ordre froid des planificateurs ou des libéraux, des centralisateurs ou des décentralisateurs, des politiciens, des « humanistes », des prêtres, des professeurs, des socialismes, des libéralismes, des fascismes – et même des « anarchismes »… – contre les règlements, les réseaux, les programmes et les circuits, contre l’égalité et l’inégalité, la justice et la tyrannie, la liberté et l’oppression, la démocratie et le despotisme, la société permissive ou le totalitarisme, bref contre tous ces faux contraires, ces fausses fenêtres des idéologies occidentales dont le dessein commun est, comme jadis Moïse, d’imposer leur Loi contre la vie et le réel, cette renaissance donc, constitue aujourd’hui, notamment dans les jeunes générations, la principale force de l’anti-déclin. En-dehors des Etats et des institutions officielles des pays occidentaux qui sont devenus aujourd’hui des forces de dépérissement, il faut parler d’une résistance populaire. Résistance aux décadences, au social-étatisme, aux plats pré-cuisinés des angélismes humanitaires et des croyances progressistes, résistance de la sagesse dionysienne face à la folie prométhéenne des niveleurs, résistance multiforme dont l’indifférence croissante envers la politique n’est qu’un aspect.

Ce vitalisme social n’est pas un désengagement, mais un engagement. Dans un monde où tout ce qui se veut légitime et institué en appelle au narcissisme de masse, au travail aliéné, au présentisme, au machinisme, au déracinement, de nouvelles énergies apparaissent spontanément et, malgré les pressions des pouvoirs et des pédagogies, osent « faire de la musique sans solfège ».

Fils de la décadence, les néo-européens, nouveaux barbares, ne connaissent même plus la vulgate du moralisme humanitaire occidental. C’est là l’effet pervers – et de notre point de vue positif – du déclin de l’éducation culturelle en Europe : sous prétexte d’égalité et d’universalisme, l’idéologie dominante a négligé l’enseignement de la culture élitaire. Mais elle a jeté le bébé avec l’eau du bain. Les jeunes générations se retrouvent peut-être déculturées, privées de mémoire, ce qui était le but recherché par les professeurs de déracinement, mais également – ce qui est sans doute un événement considérable – libérées de la scholastique et des tabous des idéologies mortifères de l’Occident. Les grands concepts sacrés (Egalité, Démocratie, Politique, Liberté, Economie, Développement, etc.), responsables du déclin, flottent désormais comme des corps morts dans le panthéon mental des jeunes générations.

De deux choses l’une alors : ou bien cette fin radicale de la « culture classique » (à laquelle appartiennent malgré tout toutes les catégories politiques actuelles et toute la mystique égalitaire de l’Occident) ne donnera lieu qu’au vide et à l’immersion dans le néo-primitivisme, ou bien elle laissera surgir le fond assaini du psychisme européen, le fond issu de notre « instinct grec ». Au diagnostic apparemment pessimiste de « fin de l’histoire » qui semble toucher les Européens, on peut objecter sans doute qu’à l’étage du quotidien, de l’intensité de la vie des sociétés, les « histoires » continuent de dérouler leurs stratégies et qu’il ne faut pas jouer les Cassandre. Mais, privées de la dimension « historiale » (et non pas « politique » puisque « politique », « individualisme » et « fin de l’histoire » vont ensemble) de leur existence, démunies de perspective souveraine, les sociétés européennes pourraient-elles mêmes encore connaître dans leurs dynamiques privées et quotidiennes, dans l’énergie secrète du peuple, « des » histoires, des aventures, des pulsions créatrices ?

Nul ne peut répondre. Deux repères positifs, deux puissants facteurs de régénération peuvent néanmoins être définis au sein même de la décadence. Premier repère : le foisonnement dionysiaque de nouveaux comportements sociaux parallèles, sécessionnistes, sensuels, liés à une renaissance contemporaine de l’esthétique européenne, qui biaisent les institutions, les savoirs institués, les réseaux technocratiques, et que la sociologie de Maffelosi met en lumière, constituent à la fois le signe que la moralité réglementée, que le bourgeoisisme technomorphe de la civilisation occidentale (c’est-à-dire du déclin) butent sur l’inertie du peuple, mais aussi qu’on assiste à un regain de l’imaginaire, de l’irrationnel, de forces quotidiennes inconscientes de leur puissance. Ces forces sont celles qui donnent aux nations de grands artistes, de grands entrepreneurs. Comme la graine pendant l’hiver, nous devons coûte que coûte espérer que germent les énergies de la société civile. Demain, elles peuvent être fécondées par une souveraineté à venir, si le Destin qui ne reste jamais longtemps muet le décide.

Deuxième repère. A ce facteur de régénération intérieure, vient s’ajouter un motif possible de régénération extérieure. Il s’agit paradoxalement du grand « risque » de voir la civilisation progressiste et mondiale de l’Occident sombrer dans la crise géante. Le déclin latent deviendrait, au sens de Thom, catastrophe. En effet, à la période actuelle d’auto-résolution des crises par une fuite technologique en avant, à la macro-stabilité du système occidental, peut fort bien succéder une déstabilisation assez brutale. Nous nous dirigeons de fait vers une fin de siècle où vont converger des évolutions dont le parallélisme est pour l’instant facteur de « croissance » (cancéreuse) mais dont la rencontre, et la fusion, risquent d’être la cause d’un déséquilibre géant et planétaire. Ces « lignes évolutives » sont : les déséquilibres économiques croissants provoqués par le « développement » néo-colonial du Tiers-Monde, les effets cumulés du gel géostratégique (statu quo) imposé par les superpuissances combiné avec la sophistication et la densification des armements hyperdestructifs, la continuation de la déchéance de la démocratie à l’Ouest comme à l’Est, l’écart démographique Nord-Sud qui se creuse, l’écart population-ressources dans les pays pauvres, la montée des forces d’auto-affirmation nationales et religieuses dans le Tiers-monde parallèle au renforcement d’une technostructure mondiale, etc.

Notre temps est dominé par la menace d’un « point de rupture » qui se profile à l’horizon de la fin du XXe siècle, où l’humanité pléthorique se heurtera à des défis convergents à la fois alimentaires, écologiques, géopolitiques, etc. Or, aucune société traditionnelle ne peut les résoudre. Le retour à un modèle « holiste » et anti-technique de civilisation est impossible. Sommes-nous condamnés à la normalité occidentale ? L’ambiguïté de la modernité se reconnaît à ce qu’elle s’instaure comme seul remède des maux qu’elle a suscités. Pourtant, et pour ne donner que l’exemple de l’économie, il serait intéressant de prêter l’oreille à des nouvelles doctrines qui tentent de résoudre cette contradiction ; elles nous semblent bien plus originales que l’imposture intellectuelle du retour d’Adam Smith sous le visage publicitaire des « nouveaux économistes ». Ces nouvelles doctrines auxquelles je fais allusion, défendues en France par François Perroux, André Grjebine, François Partant, etc., préconisent l’abandon, non pas de l’industrie et de la technologie, mais de la norme universelle d’un marché et d’un système d’échange et de production planétaires. Elles se prononcent pour la construction progressive de zones « autocentrées », où les unités culturelles, politiques, économiques et géopolitiques se recouvriraient, où le productivisme marchand, le contenu des « besoins » humains, et la place de l’économique dans la société seraient repensés de fond en comble. Il s’agit, en quelque sorte, de penser une modernité qui ne soit plus mondialement normative.

Brutale ou progressive, la vraie crise est devant nous. Ou bien elle débouche sur le déclin définitif, le baiser des mégatonnes, le grand soleil nucléaire qui peut fort bien illuminer la fin de ce siècle du feu de l’holocauste des vertébrés supérieurs, ou bien, en-dehors de cette perspective à la fois terrifiante et très esthétique, la civilisation occidentale, butant sur cette « convergence des évolutions », ne pourra plus physiquement continuer à fonctionner. Faute de l’avoir envisagé sereinement, nous serions alors contraints d’organiser, au bord du tombeau, l’autarcie économique, la post-démocratie, bref de nouveaux principes politiques de vie en société. Ces principes ne seraient certainement plus ceux du progressisme occidental. Chaque région du monde improviserait sa solution…

Alors, pour éviter une telle improvisation, il appartient peut-être aux intellectuels éclairés, ceux qui aujourd’hui échappent aux grandes dogmatiques ridées de l’humanisme, du libéralisme, du socialisme, etc., de réfléchir à ces nouveaux principes, à des valeurs post-modernes capables de prendre le relais de cette longue procession d’illusions qui se confondent aujourd’hui avec le déclin et qui forment encore, hélas, le corps de cette vulgate occidentale qui tient lieu de savoir aux élites européennes.

notes
[1] Cf. sur ce point, Alain Girard, L’homme et le nombre des hommes, PUF, 1984.
[2] Claude Lévi-Strauss, Paroles données, Calmann-Lévy, 1984.
[3] Claude Polin, L’esprit totalitaire, Sirey.
[4] Julius Evola, Les hommes au milieu des ruines, Trédaniel, 1984.
[5] Cf. à ce propos, Laurent Joffrin, La gauche en voie de disparition, Seuil, 1984.

Ce texte est extrait de la brochure de Guillaume Faye, L’Occident comme déclin, 1985. Les caractères gras ont été ajoutés par le compilateur.

lundi, 15 février 2010

Guillaume Faye et la "convergence des catastrophes"

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 2006

Guillaume Faye et la “Convergence des catastrophes”

par Robert STEUCKERS

Introduction à la présentation par Guillaume Faye du livre “La convergence des catastrophes”, signé Guillaume Corvus, Bruxelles, Ravensteinhof, 21 janvier 2006

Dans l’introduction à l’une des versions italiennes du premier livre de Guillaume Faye, “Le système à tuer les peuples”, j’avais tenté de brosser succinctement son itinéraire politique, depuis ses années d’étudiant à l’IEP et à la Sorbonne. J’avais rappelé l’influence d’un Julien Freund, des thèses de Pareto, de Bertrand de Jouvenel sur ce jeune étudiant dont la vocation allait être de mener un combat métapolitique, via le “Cercle Spengler” d’abord, via le GRECE (Groupe de Recherche et d’Etudes sur la Civilisation Européenne) ensuite. J’avais insisté aussi sur son interprétation de Nietzsche, où, comme Alexis Philonenko, il pariait sur un rire sonore et somme toute rabelaisien, un rire déconstructeur et reconstructeur tout à la fois, sur la moquerie qui dissout les certitudes des médiocres et des conformistes. Je ne vais pas répéter aujourd’hui tout cet exposé, qu’on peut lire sur internet, mais je me concentrerai surtout sur une notion omniprésente dans les travaux de Faye, la notion cardinale de “politique”, oui, sur cette “notion du politique”, si chère au Professeur Julien Freund. L’espace du politique, et non pas de la politique (politicienne), est l’espace des enjeux réels, ceux qui décident de la vie ou de la survie d’une entité politique. Cette vie et cette survie postulent en permanence une bonne gestion, un bon “nomos de l’oikos” —pour reprendre la terminologie grecque de Carl Schmitt— une pensée permanente du long terme et non pas une focalisation sur le seul court terme, l’immédiat sans profondeur temporelle et le présentisme répétitif dépourvu de toute prospective.

Le bon “nomos” est celui qui assure donc la survie d’une communauté politique, d’un Etat ou d’un empire, qui, par la clairvoyance et la prévoyance quotidiennes qu’il implique, génère une large plus-value, en tous domaines, qui conduit à la puissance, au bon sens du terme. La puissance n’est rien d’autre qu’un solide capital de ressources matérielles et immatérielles, accumulées en prévision de coups durs, de ressacs ou de catastrophes. C’est le projet essentiel de Clausewitz, dont on fait un peu trop rapidement un belliciste à tous crins. Clausewitz insiste surtout sur l’accumulation de ressources qui rendront la guerre inutile, parce que l’ennemi n’osera pas affronter une politie bien charpentée, ou qui, si elle se déclenche quand même, fera de mon entité politique un morceau dur ou impossible à avaler, à mettre hors jeu. Ce n’est rien d’autre qu’une application du vieil adage romain: “Si vis pacem, para bellum”.

L’oeuvre immortelle de Carl Schmitt et de Julien Freund

D’où nous vient cette notion du “politique”?

Elle nous vient d’abord de Carl Schmitt. Pour qui elle s’articule autour de deux vérités observés au fil de l’histoire :

1) Le politique est porté par une personne de chair et de sang, qui décide en toute responsabilité (Weber). Le modèle de Schmitt, catholique rhénan, est l’institution papale, qui décide souverainement et en ultime instance, sans avoir de comptes à rendre à des organismes partiels et partisans, séditieux et centrifuges, mus par des affects et des intérêts particuliers et non généraux.

2) La sphère du politique est solide si le principe énoncé au 17ième siècle par Thomas Hobbes est honoré : “Auctoritas non veritas facit legem” (C’est l’autorité et non la vérité qui fait la loi/la norme). Nous pourrions, au seuil de ce 21ième siècle, qui s’annonce comme un siècle de catastrophes, tout comme le 20ième, étendre cette réflexion de Hobbes et dire : “Auctoritas non lex facit imperium”, soit “C’est l’autorité et non la loi/la norme qui fait l’empire”. Schmitt voulait dénoncer, en rappelant la science politique de Hobbes, le danger qu’il y a à gouverner les états selon des normes abstraites, des principes irréels et paralysants, parfois vecteurs de dissensions calamiteuses pouvant conduire à la guerre civile. Quelques décennies d’une telle gouvernance et les “noeuds gordiens” s’accumulent et figent dangereusement les polities qui s’en sont délectée. Il faut donc des autorités (personnelles ou collégiales) qui parviennent à dénouer ou à trancher ces “noeuds gordiens”.

Cette notion du politique nous vient ensuite du professeur strasbourgeois Julien Freund, qui était, il est vrai, l’un des meilleurs disciples de Carl Schmitt. Il a repris à son compte cette notion, l’a appliquée dans un contexte fort différent de celui de l’Allemagne de Weimar ou du nazisme, soit celui de la France gaullienne et post-gaullienne, également produit de la pensée de Carl Schmitt. En effet, il convient de rappeler ici que René Capitant, auteur de la constitution présidentialiste de la 5ième République, est le premier et fidèle disciple français de Schmitt. Le Président de la 5ième République est effectivement une “auctoritas”, au sens de Hobbes et de Schmitt, qui tire sa légitimité du suffrage direct de l’ensemble de la population. Il doit être un homme charismatique de chair et de sang, que tous estiment apte à prendre les bonnes décisions au bon moment. Julien Freund, disciple de Schmitt et de Capitant, a coulé ses réflexions sur cette notion cardinale du politique dans un petit ouvrage qu’on nous faisait encore lire aux Facultés Universitaires Saint-Louis à Bruxelles il y a une trentaine d’années: “Qu’est-ce que le politique?” (Ed. du Seuil). Cet ouvrage n’a pas pris une ride. Il reste une lecture obligatoire pour qui veut encore, dans l’espace politique, penser clair et droit en notre période de turbulences, de déliquescences et de déclin.

René Thom et la théorie des catastrophes

Comment cette notion du politique s’articule-t-elle autour de la thématique qui nous préoccupe aujourd’hui, soit la “convergences des catstrophes”? Faye est le benjamin d’une chaine qui relie Clausewitz à Schmitt, Schmitt à Capitant, Capitant à Freund et Freund à lui-même et ses amis. Ses aînés nous ont quittés : ils ne vivent donc pas l’ère que nous vivons aujourd’hui. D’autres questions cruciales se posent, notamment celle-ci, à laquelle répond l’ouvrage de Guillaume Corvus: “Le système (à tuer les peuples) est-il capable de faire face à une catastrophe de grande ampleur, à plusieurs catastrophes simultanées ou consécutives dans un laps de temps bref, ou, pire à une convergences de plusieurs catastrophes simultanées?”. Au corpus doctrinal de Schmitt et Freund, Corvus ajoute celui du mathématicien et philosophe français René Thom, qui constate que tout système complexe est par essence fragile et même d’autant plus fragile que sa complexité est grande. Corvus exploite l’oeuvre de Thom, dans la mesure où il rappelle qu’un événement anodin peut créer, le cas échéant, des réactions en chaîne qui conduisent à la catastrophe par implosion ou par explosion. On connait ce modèle posé maintes fois par certains climatologues, observateurs de catastrophes naturelles: le battement d’aile d’un papillon à Hawai peut provoquer un tsunami au Japon ou aux Philippines. Les théories de Thom trouvent surtout une application pratique pour observer et prévenir les effondrements boursiers : en effet, de petites variations peuvent déboucher sur une crise ou un krach de grande ampleur.

Corvus soulève donc la question sur le plan de la gestion des Etats voire du village-monde à l’heure de la globalisation: l’exemple de l’ouragan qui a provoqué fin août les inondations de la Nouvelle-Orléans prouve d’ores et déjà que le système américain ne peut gérer, de manière optimale, deux situations d’urgence à la fois : la guerre en Irak, qui mobilise fonds et énergies, et les inondations à l’embouchure du Mississippi (dont la domestication du bassin a été le projet premier de Franklin Delano Roosevelt, pour lequel il a mobilisé toutes les énergies de l’Amérique à l’ “ère des directeurs” —ces termes sont de James Burnham— et pour lequel il a déclenché les deux guerres mondiales afin de glaner les fonds suffisants, après élimination de ses concurrents commerciaux allemands et japonais, et de réaliser son objectif: celui d’organiser d’Est en Ouest le territoire encore hétéroclite des Etats-Unis). La catastrophe naturelle qui a frappé la Nouvelle-Orléans est, en ce sens, l’indice d’un ressac américain en Amérique du Nord même et, plus encore, la preuve d’une fragilité extrême des systèmes hyper-complexes quand ils sont soumis à des sollicitations multiples et simultanées. Nous allons voir que ce débat est bien présent aujourd’hui aux Etats-Unis.

Qu’adviendrait-il d’une France frappée au même moment par quatre ou cinq catastrophes ?

En France, en novembre 2005, les émeutes des banlieues ont démontré que le système-France pouvait gérer dans des délais convenables des émeutes dans une seule ville, mais non dans plusieurs villes à la fois. La France est donc fragile sur ce plan. Il suffit, pour lui faire une guerre indirecte, selon les nouvelles stratégies élaborées dans les états-majors américains, de provoquer des troubles dans quelques villes simultanément. L’objectif d’une telle opération pourrait être de paralyser le pays pendant un certain temps, de lui faire perdre quelques milliards d’euros dans la gestion de ces émeutes, milliards qui ne pourront plus être utilisés pour les projets spatiaux concurrents et européens, pour la modernisation de son armée et de son industrie militaire (la construction d’un porte-avions par exemple). Imaginons alors une France frappée simultanément par une épidémie de grippe (aviaire ou non) qui mobiliserait outrancièrement ses infrastructures hospitalières, par quelques explosions de banlieues comme en novembre 2005 qui mobiliserait toutes ses forces de police, par des tornades sur sa côte atlantique comme il y a quelques années et par une crise politique soudaine due au décès inopiné d’un grand personnage politique. Inutile d’épiloguer davantage : la France, dans sa configuration actuelle, est incapable de faire face, de manière cohérente et efficace, à une telle convergence de catastrophes.

L’histoire prouve également que l’Europe du 14ième siècle a subi justement une convergence de catastrophes semblable. La peste l’a ravagée et fait perdre un tiers de ses habitants de l’époque. Cette épidémie a été suivie d’une crise socio-religieuse endémique, avec révoltes et jacqueries successives en plusieurs points du continent. A cet effondrement démographique et social, s’est ajoutée l’invasion ottomane, partie du petit territoire contrôlé par le chef turc Othman, en face de Byzance, sur la rive orientale de la Mer de Marmara. Il a fallu un siècle —et peut-être davantage— pour que l’Europe s’en remette (et mal). Plus d’un siècle après la grande peste de 1348, l’Europe perd encore Constantinople en 1453, après avoir perdu la bataille de Varna en 1444. En 1477, les hordes ottomanes ravagent l’arrière-pays de Venise. Il faudra encore deux siècles pour arrêter la progression ottomane, après le siège raté de Vienne en 1683, et presque deux siècles supplémentaires pour voir le dernier soldat turc quitter l’Europe. L’Europe risque bel et bien de connaître une “période de troubles”, comme la Russie après Ivan le Terrible, de longueur imprévisible, aux effets dévastateurs tout aussi imprévisibles, avant l’arrivée d’un nouvel “empereur”, avant le retour du politique.

“Guerre longue” et “longue catastrophe”: le débat anglo-saxon

Replaçons maintenant la parution de “La convergence des catastrophes” de Guillaume Corvus dans le contexte général de la pensée stratégique actuelle, surtout celle qui anime les débats dans le monde anglo-saxon. Premier ouvrage intéressant à mentionner dans cette introduction est celui de Philip Bobbitt, “The Shield of Achilles. War, Peace and the Course of History” (Penguin, Harmondsworth, 2002-2003) où l’auteur explicite surtout la notion de “guerre longue”. Pour lui, elle s’étend de 1914 à la première offensive américaine contre l’Irak en 1990-91. L’actualité nous montre qu’il a trop limité son champ d’observation et d’investigation : la seconde attaque américaine contre l’Irak en 2003 montre que la première offensive n’était qu’une étape; ensuite, l’invasion de l’Afghanistan avait démontré, deux ans auparavant, que la “guerre longue” n’était pas limitée aux deux guerres mondiales et à la guerre froide, mais englobait aussi des conflits antérieurs comme les guerres anglo-russes par tribus afghanes interposées de 1839-1842, la guerre de Crimée, etc. Finalement, la notion de “guerre longue” finit par nous faire découvrir qu’aucune guerre ne se termine définitivement et que tous les conflits actuels sont in fine tributaires de guerres anciennes, remontant même à la protohistoire (Jared Diamonds, aux Etats-Unis, l’évoque dans ses travaux, citant notamment que la colonisation indonésienne des la Papouasie occidentale et la continuation d’une invasion austronésienne proto-historique; ce type de continuité ne s’observa pas seulement dans l’espace austral-asiatique).

Si l’on limite le champ d’observation aux guerres pour le pétrole, qui font rage plus que jamais aujourd’hui, la période étudiée par Bobbitt ne l’englobe pas tout à fait: en effet, les premières troupes britanniques débarquent à Koweit dès 1910; il conviendrait donc d’explorer plus attentivement le contexte international, immédiatement avant la première guerre mondiale. Comme l’actualité de ce mois de janvier 2006 le prouve : ce conflit pour le pétrole du Croissant Fertile n’est pas terminé. Anton Zischka, qui vivra centenaire, sera actif jusqu’au bout et fut l’une des sources d’inspiration majeures de Jean Thiriart, avait commencé sa très longue carrière d’écrivain journaliste en 1925, quand il avait 25 ans, en publiant un ouvrage, traduit en français chez Payot, sur “La guerre du pétrole”, une guerre qui se déroule sur plusieurs continents, car Zischka n’oubliait pas la Guerre du Chaco en Amérique du Sud (les tintinophiles se rappelleront de “L’oreille cassée”, où la guerre entre le San Theodoros fictif et son voisin, tout aussi fictif, est provoquée par le désir de pétroliers américains de s’emparer des nappes pétrolifières).

Aujourd’hui, à la suite du constat d’une “longue guerre”, posé par Bobbitt et, avant lui, par Zischka, l’auteur américain James Howard Kunstler, dans “La fin du pétrole. Le vrai défi du XXI° siècle” (Plon, 2005) reprend et réactualise une autre thématique, qui avait été chère à Zischka, celle du défi scientifique et énergétique que lancera immanquablement la raréfaction du pétrole dans les toutes prochaines décennies. Pour Zischka, les appareils scientifiques privés et étatiques auraient dû depuis longtemps se mobiliser pour répondre aux monopoles de tous ordres. Les savants, pour Zischka, devaient se mobiliser pour donner à leurs patries, à leurs aires civilisationnelles (Zischka est un européiste et non un nationaliste étroit), les outils nécessaires à assurer leurs autonomies technologique, alimentaire, énergétique, etc. C’est là une autre réponse à la question de Clausewitz et à la nécessité d’une bonne gestion du patrimoine naturel et culturel des peuples. Faye n’a jamais hésité à plaider pour la diversification énergétique ou pour une réhabilitation du nucléaire. Pour lui comme pour d’autres, bon nombre d’écologistes sont des agents des pétroliers US, qui entendent garder les états inclus dans l’américanosphère sous leur coupe exclusive. L’argument ne manque nullement de pertinence, d’autant plus que le pétrole est souvent plus polluant que le nucléaire. Pour Corvus, l’une des catastrophes majeures qui risque bel et bien de nous frapper bientôt, est une crise pétrolière d’une envergure inédite.

La fin du modèle urbanistique américain

Les arguments de Corvus, nous les retrouvons chez Kunstler, preuve une nouvelle fois que ce livre sur la convergence des catstrophes n’a rien de marginal comme tentent de le faire accroire certains “aggiornamentés” du canal historique de la vieille “nouvelle droite” (un petit coup de patte en passant, pour tenter de remettre les pendules à l’heure, même chez certains cas désespérés… ou pour réveiller les naïfs qui croient encore —ou seraient tentés de croire— à ces stratégies louvoyantes et infructueuses…). Kunstler prévoit après la “longue guerre”, théorisée par Bobbitt, ou après la longue guerre du pétrole, décrite dans ses premiers balbutiements par Zischka, une “longue catastrophe”. Notamment, il décrit, de manière fort imagée, en prévoyant des situations concrètes possibles, l’effondrement de l’urbanisme à l’américaine. Ces villes trop étendues ne survivraient pas en cas de disparition des approvisionnements de pétrole et, partant, de l’automobile individuelle. 80% des bâtiments modernes, explique Kunstler, ne peuvent survivre plus de vingt ans en bon état de fonctionnement. Les toitures planes sont recouvertes de revêtements éphémères à base de pétrole, qu’il faut sans cesse renouveler. Il est en outre impossible de chauffer et d’entretenir des super-marchés sans une abondance de pétrole. La disparition rapide ou graduelle du pétrole postule un réaménagement complet des villes, pour lequel rien n’a jamais été prévu, vu le mythe dominant du progrès éternel qui interdit de penser un ressac, un recul ou un effondrement. Les villes ne pourront plus être horizontales comme le veut l’urbanisme américain actuel. Elle devront à nouveau se verticaliser, mais avec des immeubles qui ne dépasseront jamais sept étages. Il faudra revenir à la maçonnerie traditionnelle et au bois de charpente. On imagine quels bouleversements cruels ce réaménagement apportera à des millions d’individus, qui risquent même de ne pas survivre à cette rude épreuve, comme le craint Corvus. Kunstler, comme Corvus, prévoit également l’effondrement de l’école obligatoire pour tous : l’école ne sera plus “pléthorique” comme elle l’est aujourd’hui, mais s’adressera à un nombre limité de jeunes, ce qui conduira à une amélioration de sa qualité, seul point positif dans la catastrophe imminente qui va nous frapper.

La “quatrième guerre mondiale” de Thierry Wolton

Pour ce qui concerne le défi islamique, que Faye a commenté dans le sens que vous savez, ce qui lui a valu quelques ennuis, un autre auteur, Thierry Wolton, bcbg, considéré comme “politiquement correct”, tire à son tour la sonnette d’alarme, mais en prenant des options pro-américaines à nos yeux inutiles et, pire, dépourvues de pertinence. Dans l’ouvrage de Wolton, intitulé “La quatrième guerre mondiale” (Grasset, 2005), l’auteur évoque l’atout premier du monde islamique, son “youth bulge”, sa “réserve démographique”. Ce trop-plein d’hommes jeunes et désoeuvrés, mal formés, prompts à adopter les pires poncifs religieux, est une réserve de soldats ou de kamikazes. Mais qui profiteront à qui? Aucune puissance islamique autonome n’existe vraiment. Les inimitiés traversent le monde musulman. Aucun Etat musulman ne peut à terme servir de fédérateur à une umma offensive, malgré les rodomontades et les vociférations. Seuls les Etats-Unis sont en mesure de se servir de cette masse démographique disponible pour avancer leurs pions dans cet espace qui va de l’Egypte à l’Inde et de l’Océan Indien à la limite de la taïga sibérienne. Certes, l’opération de fédérer cette masse territoriale et démographique sera ardue, connaîtra des ressacs, mais les Etats-Unis auront toujours, quelque part, dans ce vaste “Grand Moyen Orient”, les dizaines de milliers de soldats disponibles à armer pour des opérations dans le sens de leurs intérêts, au détriment de la Russie, de l’Europe, de la Chine ou de l’Inde. Avec la Turquie, jadis fournisseur principal de piétaille potentielle pour l’OTAN ou l’éphémère Pacte de Bagdad du temps de la Guerre froide dans les années 50, branle dans le manche actuellement. Les romans d’un jeune écrivain, Burak Turna, fascinent le public turc. Ils évoquent une guerre turque contre les Etats-Unis et contre l’UE (la pauvre….), suivie d’une alliance russo-turque qui écrasera les armées de l’UE et plantera le drapeau de cette alliance sur les grands édifices de Vienne, Berlin et Bruxelles. Ce remaniement est intéressant à observer : le puissant mouvement des loups gris, hostiles à l’adhésion turque à l’UE et en ce sens intéressant à suivre, semble opter pour les visions de Turna.

Dans ce contexte, mais sans mentionner Turna, Wolton montre que la présence factuelle du “youth bulge” conduit à la possibilité d’une “guerre perpétuelle”, donc “longue”, conforme à la notion de “jihad”. Nouvelle indice, après Bobbitt et Kunstler, que le pessimisme est tendance aujourd’hui, chez qui veut encore penser. La “guerre perpétuelle” n’est pas un problème en soi, nous l’affrontons depuis que les successeurs du Prophète Mohamet sont sortis de la péninsule arabique pour affronter les armées moribondes des empires byzantins et perses. Mais pour y faire face, il faut une autre idéologie, un autre mode de pensée, celui que l’essayiste et historien américain Robert Kaplan suggère à Washington de nos jours : une éthique païenne de la guerre, qu’il ne tire pas d’une sorte de new age à la sauce Tolkien, mais notamment d’une lecture attentive de l’historien grec antique Thucydide, premier observateur d’une “guerre longue” dans l’archipel hellénique et ses alentours. Kaplan nous exhorte également à relire Machiavel et Churchill. Pour Schmitt hier, comme pour Kaplan aujourd’hui, les discours normatifs et moralisants, figés et soustraits aux effervescences du réel, camouflent des intérêts bornés ou des affaiblissements qu’il faut soigner, guérir, de toute urgence.

L’infanticide différé

Revenons à la notion de “youth bulge”, condition démographique pour mener des guerres longues. Utiliser le sang des jeunes hommes apparait abominable, les sacrifier sur l’autel du dieu Mars semble une horreur sans nom à nos contemporains bercés par les illusions irénistes qu’on leur a serinées depuis deux ou trois décennies. En Europe, le sacrifice des jeunes générations masculines a été une pratique courante jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. Ne nous voilons pas la face. Nous n’avons pas été plus “moraux” que les excités islamiques d’aujourd’hui et que ceux qui veulent profiter de leur fougue. La bataille de Waterloo, à quinze kilomètres d’ici, est une bataille d’adolescents fort jeunes, où l’on avait notamment fourré dans les uniformes d’une “Landwehr du Lünebourg” tous les pensionnaires des orphelinats du Hanovre, à partir de douze ans. La lecture des ouvrages remarquables du démographe français Gaston Bouthoul, autre maître à penser de Faye, nous renseigne sur la pratique romaine de l’”infanticide différé”. Rome, en armant ces légions, supprimait son excédent de garçons, non pas en les exposant sur les marges d’un temple ou en les abandonnant sur une colline, mais en différant dans le temps cette pratique courante dans les sociétés proto-historiques et antiques. Le jeune homme avait le droit à une enfance, à être nourri avant l’âge adulte, à condition de devenir plus tard soldat de dix-sept à trente-sept ans. Les survivants se mariaient et s’installaient sur les terres conquises par leurs camarades morts. L’empire ottoman reprendra cette pratique en armant le trop-plein démographique des peuples turcs d’Asie centrale et les garçons des territoires conquis dans les Balkans (les janissaires). La raison économique de cette pratique est la conquête de terres, l’élargissement de l’ager romanus et l’élimination des bouches inutiles. Le ressac démographique de l’Europe, où l’avortement remboursé a remplacé l’infanticide différé de Bouthoul, rend cette pratique impossible, mais au détriment de l’expansion territoriale. Le “youth bulge” islamique servira un nouveau janissariat turc, si les voeux de Turna s’exaucent, la jihad saoudienne ou un janissariat inversé au service de l’Amérique.

Que faire ?

L’énoncé de tous ces faits effrayants qui sont ante portas ne doit nullement conduire au pessimisme de l’action. Les réponses que peut encore apporter l’Europe dans un sursaut in extremis (dont elle a souvent été capable : les quelques escouades de paysans visigothiques des Cantabriques qui battent les Maures vainqueurs et arrêtent définitivement leur progression, amorçant par là la reconquista; les Spartiates des Thermopyles; les défenseurs de Vienne autour du Comte Starhemberg; les cent trente-cinq soldats anglais et gallois de Rorke’s Drift; etc.) sont les suivantes :

- Face au “youth bulge”, se doter une supériorité technologique comme aux temps de la proto-histoire avec la domestication du cheval et l’invention du char tracté; mais pour renouer avec cette tradition des “maîtres des chevaux”, il faut réhabiliter la discipline scolaire, surtout aux niveaux scientifiques et techniques.

- Se remémorer l’audace stratégique des Européens, mise en exergue par l’historien militaire américain Hanson dans “Why the West has always won”. Cela implique la connaissance des modèles anciens et modernes de cette audace impavide et la création d’une mythologie guerrière, “quiritaire”, basée sur des faits réels comme l’Illiade en était une.

- Rejeter l’idéologie dominante actuelle, créer un “soft power” européen voire euro-sibérien (Nye), brocarder l’ “émotionalisme” médiatique, combattre l’amnésie historique, mettre un terme à ce qu’a dénoncé Philippe Muray dans “Festivus festivus” (Fayard, 2005), et, antérieurement, dans “Désaccord parfait” (coll. “Tel”, Gallimard), soit l’idéologie festive, sous toutes ses formes, dans toute sa nocivité, cette idéologie festive qui domine nos médias, se campe comme l’idéal définitif de l’humanité, se crispe sur ses positions et déchaîne une nouvelle inquisition (dont Faye et Brigitte Bardot ont été les victimes).

C’est un travail énorme. C’est le travail métapolitique. C’est le travail que nous avons choisi de faire. C’est le travail pour lequel Guillaume Faye, qui va maintenant prendre la parole, a consacré toute sa vie. A vous de reprendre le flambeau. Nous ne serons écrasés par les catastrophes et par nos ennemis que si nous laissons tomber les bras, si nous laissons s’assoupir nos cerveaux.

mercredi, 20 janvier 2010

Mars & Hephaestus: The Return of History

mars.jpgMars & Hephaestus:
The Return of History

 
Translated by Greg Johnson

Allow me an “archeofuturist” parable based on the eternal symbol of the tree, which I will compare to that the rocket. But before that, let us contemplate the grim face of the coming century.

The twenty-first century will be a century of iron and storms. It will not resemble those harmonious futures predicted up to the 1970s. It will not be the global village prophesied by Marshall MacLuhan in 1966, or Bill Gates’ planetary network, or Francis Fukuyama’s end of history: a liberal global civilization directed by a universal state. It will be a century of competing peoples and ethnic identities. And paradoxically, the victorious peoples will be those that remain faithful to, or return to, ancestral values and realities—which are biological, cultural, ethical, social, and spiritual—and that at the same time will master technoscience. The twenty-first century will be the one in which European civilization, Promethean and tragic but eminently fragile, will undergo a metamorphosis or enter its irremediable twilight. It will be a decisive century.

In the West, the nineteenth and twentieth centuries were a time of belief in emancipation from the laws of life, belief that it was possible to continue on indefinitely after having gone to the moon. The twenty-first century will probably set the record straight and we will “return to reality,” probably through suffering.

The nineteenth and twentieth centuries saw the apogee of the bourgeois spirit, that mental small pox, that monstrous and deformed simulacrum of the idea of an elite. The twenty-first century, a time of storms, will see the joint renewal of the concepts of a people and an aristocracy. The bourgeois dream will crumble from the putrefaction of its fundamental principles and petty promises: happiness does not come from materialism and consumerism, triumphant transnational capitalism, and individualism. Nor from safety, peace, or social justice.

Let us cultivate the pessimistic optimism of Nietzsche. As Drieu La Rochelle wrote: “There is no more order to conserve; it is necessary to create a new one.” Will the beginning of the twenty-first century be difficult? Are all the indicators in the red? So much the better. They predicted the end of history after the collapse of the USSR? We wish to speed its return: thunderous, bellicose, and archaic. Islam resumes its wars of conquest. American imperialism is unleashed. China and India wish to become superpowers. And so forth. The twenty-first century will be placed under the double sign of Mars, the god of war, and of Hephaestus, the god who forges swords, the master of technology and the chthonic fires.

Towards the Fourth Age of European Civilization

European civilization—one should not hesitate to call it higher civilization, despite the mealy-mouthed ethnomasochist xenophiles—will survive the twenty-first century only through an agonizing reappraisal of some of its principles. It will be able if it remains anchored in its eternal metamorphic personality: to change while remaining itself, to cultivate rootedness and transcendence, fidelity to its identity and grand historical ambitions.

The First Age of European civilization includes antiquity and the medieval period: a time of gestation and growth. The Second Age goes from the Age of Discovery to the First World War: it is the Assumption. European civilization conquers the world. But like Rome or Alexander’s Empire, it was devoured by its own prodigal children, the West and America, and by the very peoples it (superficially) colonized. The Third Age of European Civilization commences, in a tragic acceleration of the historical process, with the Treaty of Versailles and end of the civil war of 1914-18: the catastrophic twentieth century. Four generations were enough to undo the labor of more than forty. History resembles the trigonometrical asymptotes of the “theory of catastrophe”: it is at the peak of its splendor that the rose withers; it is after a time of sunshine and calm that the cyclone bursts. The Tarpeian Rock is close to the Capitol!

Europe fell victim to its own tragic Prometheanism, its own opening to the world. Victim of the excess of any imperial expansion: universalism, oblivious of all ethnic solidarity, thus also the victim of petty nationalism.

The Fourth Age of European civilization begins today. It will be the Age of rebirth or perdition. The twenty-first century will be for this civilization, the heir of the fraternal Indo-European peoples, the fateful century, the century of life or death. But destiny is not simply fate. Contrary to the religions of the desert, the European people know at the bottom of their hearts that destiny and divinities are not all-powerful in relation to the human will. Like Achilles, like Ulysses, the original European man does not prostrate himself or kneel before the gods, but stands upright. There is no inevitability in history.

The Parable of the Tree

A Tree has roots, a trunk, and leaves. That is to say, the principle, the body, and the soul.

1) The roots represent the “principle,” the biological footing of a people and its territory, its motherland. They do not belong to us; one passes them on. They belong to the people, to the ancestral soul, and come from the people, what the Greeks called ethnos and the Germans Volk. They come from the ancestors; they are intended for new generations. (This is why any interbreeding is an undue appropriation of a good that is to be passed on and thus a betrayal.) If the principle disappears, nothing is possible any longer. If one cuts the tree trunk, it might well grow back. Even wounded, the Tree can continue to grow, provided that it recovers fidelity with its own roots, with its own ancestral foundation, the soil that nourishes its sap. But if the roots are torn up or the soil polluted, the tree is finished. This is why territorial colonization and racial amalgamation are infinitely more serious and deadly than cultural or political enslavement, from which a people can recover.

The roots, the Dionysian principle, grow and penetrate the soil in new ramifications: demographic vitality and territorial protection of the Tree against weeds. The roots, the “principle,” are never fixed. They deepen their essence, as Heidegger saw. The roots are at the same time “tradition” (what is handed down) and “arche” (life source, eternal renewal). The roots are thus manifestation of the deepest memory of the ancestral and of eternal Dionysian youthfulness. The latter refers back to the fundamental concept of deepening.

2) The trunk is its “soma,” the body, the cultural and psychic expression of the people, always innovating but nourished by sap from the roots. It is not solidified, not gelled. It grows in concentric layers and it rises towards the sky. Today, those who want to neutralize and abolish European culture try to “preserve” it in the form of monuments of the past, as in formaldehyde, for “neutral” scholars, or to just abolish the historical memory of the young generations. They do the work of lumberjacks. The trunk, on the earth that bears it, is, age after age, growth and metamorphosis. The Tree of old European culture is both uprooted and removed. A ten year old oak does not resemble a thousand year old oak. But it is the same oak. The trunk, which stands up to the lightning, obeys the Jupiterian principle.

3) The foliage is most fragile and most beautiful. It dies, withers, and reappears like the sun. It grows in all directions. The foliage represents psyche, i.e., civilization, the production and the profusion of new forms of creation. It is the raison d’être of the Tree, its assumption. In addition, which law does the growth of leaves obey? Photosynthesis. That is to say, “the utilization of the force of light.” The sun nourishes the leaves which, in exchange, produce vital oxygen. The efflorescent foliage thus follows the Apollonian principle. But watch out: if it grows inordinately and anarchically (like European civilization, which wanted to become the global Occident and extend to the whole planet), it will be caught by the storm, like a badly carded sail, and it will pull down and uproot the Tree that carries it. The foliage must be pruned, disciplined. If European civilization wishes to survive, it should not extend itself to the whole Earth, nor practice the strategy of open arms . . . as foliage that is too intrepid overextends itself, or allows itself to be smothered by vines. It will have to concentrate on its vital space, i.e., Eurosiberia. Hence the importance of the imperative of ethnocentrism, a term that is politically incorrect, but that is to be preferred to the “ethnopluralist” and in fact multiethnic model that dupes or schemers put forth to confuse the spirit of resistance of the rebellious elite of the youth.

One can compare the tripartite metaphor of the Tree with that of that extraordinary European invention the Rocket. The burning engines correspond to the roots, with chthonic fire. The cylindrical body is like the tree’s trunk. And the capsule, from which satellites or vessels powered by solar panels are deployed, brings to mind foliage.

Is it really an accident that the five great space rocket series built by Europeans—including expatriates in the USA—were respectively called Apollo, Atlas, Mercury, Thor, and Ariadne? The Tree is the people. Like the rocket, it rises towards the sky, but it starts from a land, a fertile soil where no other parasitic root can be allowed. On a spatial basis, one ensures a perfect protection, a total clearing of the launching site. In the same way, the good gardener knows that if the tree is to grow tall and strong, he must clear its base of the weeds that drain its roots, free its trunk of the grip of parasitic plants, and also prune the sagging and prolix branches.

From Dusk to Dawn

This century will be that of the metamorphic rebirth of Europe, like the Phoenix, or of its disappearance as a historical civilization and its transformation into a cosmopolitan and sterile Luna Park, while the other peoples will preserve their identities and develop their power. Europe is threatened by two related viruses: that of forgetting oneself, of interior desiccation and of excessive “opening to the other.” In the twenty-first century, Europe, to survive, will have to both regroup, i.e., return to its memory, and pursue its Faustian and Promethean aspirations. Such is the requirement of the coincidentia oppositorum, the convergence of opposites, or the double need for memory and will for power, contemplation and innovative creation, rootedness and transcendence. Heidegger and Nietzsche . . .

The beginning of twenty-first century will be the despairing midnight of the world of which Hölderlin spoke. But it is always darkest before the dawn. One knows that the sun will return, sol invictus. After the twilight of the gods: the dawn of the gods. Our enemies always believed in the Great Evening, and their flags bear the stars of the night. Our flags, on the contrary, are emblazoned with the star of the Great Morning, with branching rays; with the wheel, the flower of the sun at Midday.

Great civilizations can pass from the darkness of decline to rebirth: Islam and China prove it. The United States is not a civilization, but a society, the global materialization of bourgeois society, a comet, with a power as insolent as it is transitory. It does not have roots. It is not our true competitor on the stage of history, merely a parasite.

The time of conquest is over. Now is the time of reconquest, inner and outer: the reappropriation of our memory and our space: and what a space! Fourteen time zones on which the sun never sets. From Brest to the Bering Straits, it is truly the Empire of the Sun, the very space of the birth and expansion of the Indo-European people. To the south-east are our Indian cousins. To the east is the great Chinese civilization, which could decide to be our enemy or our ally. To the west, on the other side of the ocean: America whose desire will always be to prevent continental union. But will it always be able to stop it?

And then, to the south: the main threat, resurging from the depths of the ages, the one with which we cannot compromise.

Loggers try to cut down the Tree, among them many traitors and collaborators. Let us defend our land, preserve our people. The countdown has begun. We have time, but only a little.

And then, even if they cut the trunk or the storm knocks it down, the roots will remain, always fertile. Only one ember is enough to reignite a fire.

Obviously, they may cut down the Tree and dismember its corpse, in a twilight song, and anaesthetized Europeans may not feel the pain. But the earth is fertile, and only one seed is enough to begin the growth again. In the twenty-first century, let us prepare our children for war. Let us educate our youth, be it only a minority, as a new aristocracy.

Today we need more than morality. We need hypermorality, i.e., the Nietzschean ethics of difficult times. When one defends one’s people, i.e., one’s own children, one defends the essential. Then one follows the rule of Agamemnon and Leonidas but also of Charles Martel: what prevails is the law of the sword, whose bronze or steel reflects the glare of the sun. The tree, the rocket, the sword: three vertical symbols thrust from the ground towards the light, from the Earth to the Sun, animated by sap, fire, and blood.

jeudi, 31 décembre 2009

Entretien de Robert Steuckers à "Volk in Bewegung"

vib.jpgEntretien de Robert Steuckers  à “Volk in Bewegung”

Propos recueillis par Andreas Thierry

 

Novembre 2009

 

Monsieur Steuckers, pouvez-vous expliquer à nos lecteurs, en quelques mots, quels ont été les objectifs de « Synergies Européennes » ?

 

Pour répéter en gros ce que j’ai déjà maintes fois dit dans plusieurs entretiens, l’objectif principal de « Synergies Européennes » a été de faire émerger une sorte de « Think Tank », de « Boîte à idées », où penseurs et publicistes non conformistes venus de tout l’espace culturel européen pouvaient participer à la mise en forme d’une alternative générale au système dominant. Pour nous, la différence majeure entre la fidélité conformiste au système, d’une part, et la critique non conformiste de ce même système, d’autre part, réside essentiellement dans la différence fondamentale qui existe entre 1) une pensée organique, consciente des forces à l’œuvre dans l’histoire et proches des hommes réels et 2) une pensée détachée de l’histoire, des continuités historiques, mécanique et par là même étrangère à l’homme. Cette dernière forme de pensée nous est présentée désormais comme le sommet du « Bien », comme un corpus intangible dont on ne peut mettre la validité en doute. Pour parvenir à notre objectif, nous souhaitions établir une coopération constante, bien que souple, entre publicistes de toute l’Europe, de façon à ce qu’un flot d’informations directes et permanentes, issues immédiatement des sources, puisse s’écrire, surtout par le biais de traductions et d’entretiens. C’est ce que j’ai essayé de concrétiser personnellement dans les différentes revues que j’ai patronnées ou dont j’ai assumé le secrétariat de rédaction, comme « Vouloir », « Orientations », « Nouvelles de Synergies Européennes », « Au fil de l’épée ». D’autres comme Alessandra Colla et Marco Battarra, pour la revue milanaise « Orion » ont aussi cherché à développer une stratégie similaire comme, avant eux, mais cette fois dans le cadre de la « nouvelle droite » historique, le Dr. Marco Tarchi de Florence, avec son bulletin « Diorama Letterario ». En fait, s’il fallait trouver un modèle pour ce type de stratégie métapolitique, il faudrait assurément aller le chercher auprès de l’hebdomadaire parisien « Courrier International » d’Alexandre Adler qui, comme on peut le constater chaque semaine, publie des traductions en provenance du monde entier. Cet hebdomadaire, qui a rapidement reçu des appuis considérables, est devenu entretemps l’une des revues françaises les plus lues et les mieux faites. Hélas, elle ne répand pas un européisme comme celui que nous souhaitions voir se consolider ! Mais une stratégie de même type, une sorte d’ « imitatio Adleri », est celle que j’ai toujours suggérée en vain à divers éditeurs de revues ou d’hebdomadaires, y compris en Allemagne. Personne ne semblait s’intéresser à un tel projet. C’est dommage ! Et pourtant le brillant succès d’Adler nous démontre que cela aurait bien valu la peine de réaliser et de soutenir un projet similaire.

 

L’association et le réseau « Synergies Européennes » ont été fondés en 1993. Quel bilan en tirez-vous après plus de quinze ans ?

 

Le bilan, je dois l’avouer, n’est guère satisfaisant. Entre 1993 et 2003, tout a bien fonctionné : les revues paraissaient régulièrement, les contributions rédactionnelles arrivaient du monde entier au secrétariat de rédaction, séminaires et universités d’été se succédaient sans heurts au fil des années. Ce qui a rompu cette « coulée continue », c’est l’augmentation soudaine et considérable des tarifs postaux à la fin des années 90 en Belgique, ce qui a contribué à déstabiliser totalement les finances fort précaires de l’entreprise ; il faut ajouter à cela le décès de bon nombre d’abonnés âgés, qui incarnaient une véritable culture « revuiste », et l’intérêt croissant que portaient les plus jeunes à internet. Du coup, les livres et les revues n’attiraient plus autant le chaland, surtout dans l’espace linguistique francophone ou dans la petite Belgique, néerlandophone ou francophone. Ce changement de donne a d’ailleurs entrainé la disparition de bon nombre de revues ou de bulletins similaires aux nôtres. Seules l’école des cadres de Wallonie, sous la direction de Philippe Banoy, a fonctionné sans arrêt jusqu’à aujourd’hui, en poussant des pointes en Flandre méridionale et en Lorraine, régions occupées par la France, avec, en plus, des échanges féconds avec des groupes suisses romands ou flamands. Après quelques premiers projets sans lendemains, nos deux nouveaux sites sur la grande toile donnent, depuis leur création au début de 2007, des résultats que l’on peut considérer maintenant comme satisfaisants (voir : http://euro-synergies.hautetfort.com en sept langues et alimenté chaque jour ; et http://vouloir.hautetfort.com animé depuis Paris en coopération avec d’anciens correspondants français qui se sont donné pour tâche de digitaliser et d’éditer les archives des revues francophones du groupe, comme « Vouloir », « Orientations » et « Nouvelles de Synergies Européennes », en les flanquant de textes nouveaux ou complémentaires et de bibliographies actualisées).

 

Pourquoi ne parvient-on pas, malgré les bonnes intentions, à établir une meilleure coopération entre forces non conformistes, européistes et nationalistes en Europe ?

 

Pour répondre de manière exhaustive à votre question, il me faudrait tout un livre ! La raison principale de ce manque de coopération rationnelle doit certainement être portée au compte du déclin culturel généralisé que nous subissons depuis longtemps. Jadis, pendant la « période axiale » de l’histoire des idées, de cette révolution culturelle pacifique, que l’Europe a expérimentée entre 1860 et 1914, on étudiait encore le latin et le grec ancien dans les lycées, gymnases et athénées d’Europe, ce qui facilitait l’apprentissage général des langues modernes, ou du moins leur acquisition passive. De cette façon, on pouvait lire, au-delà des frontières, livres, essais et articles. Aujourd’hui, nous avons sans doute comme « lingua franca » une langue artificielle et internationale que nous utilisons « pour faire de la communication » : c’est le « basic English » mais il ne nous permet pas grand chose, à part commander à l’étranger un sandwich ou un cappuccino, en bafouillant… Mais il n’y a plus de communication fondamentale. Dans les cercles non conformistes, cette tragédie est surtout perceptible, lorsqu’on constate l’absence totale de relations culturelles suivies et systématiques entre les mondes linguistiques allemand et italien ou néerlandais et italien. La formidable production italienne de livres, d’idées, de revues et d’initiatives de toutes sortes est purement et simplement ignorée dans nos régions nord-européennes, alors que les questions abordées et étudiées en Italie le sont de manière nettement moins confuse que chez nous et les réponses que les Italiens apportent sont généralement intelligentes, d’une intelligence que nous aurions pu faire nôtre si nous avions lu les livres et les textes venus de la péninsule apennine. Je pense surtout à la critique finement ciselée de la partitocratie mafieuse, qui aurait été bien utile en Belgique notamment et qu’on aurait pu combiner en Allemagne avec les thèses bien argumentées du Prof. Erwin Scheuch de Cologne, aujourd’hui décédé, ou de celles du politologue von Arnim.

 

Comment jugez-vous l’option pro-sioniste que propage Guillaume Faye dans « La Nouvelle Question juive » et que certains partis de droite ou d’extrême droite ont reprise à leur compte, comme par exemple, le BNP britannique ou le mouvement « Pro Köln » en Allemagne ?

 

Votre question est fort intéressante et mériterait, pour en débattre à fond, un assez long essai, car la fameuse « question juive » est de fait d’une extrême complexité. Mais, avant d’aborder le vif de ce sujet, je tiens à dire que Faye est certainement l’un de mes plus vieux amis issus du mouvement dit de la « nouvelle droite », aujourd’hui moribond ou résiduaire en France et que, malgré toutes les divergences qui pourraient éventuellement nous séparer, cette amitié demeurera. Pour être amis, il ne faut pas nécessairement partager les mêmes points de vue sur tout. Pour maintenir une amitié, il y a surtout les expériences et les déceptions communes du passé… Elles ont souvent plus de poids. Dans le lent processus de déliquescence qu’a vécu la « nouvelle droite », ses avatars et ses reliquats, Faye et quelques autres, dont moi-même, ont été, au sein du vaste camp bigarré des diverses « droites », les victimes de jalousies tenaces, des victimes certes pas toujours innocentes (car nous rendions coup de Jarnac pour coup de Jarnac, nous répondions aux sombres perfidies par des moqueries bien salées) ; ce sont surtout la force de travail de Faye et sa productivité intense qui suscitaient ces jalousies. Dans les années 80, il faut tout de même rappeler que c’était lui le moteur du « mouvement métapolitique » d’inspiration gramsciste et non d’autres, comme on l’a affirmé trop souvent à tort. Des concepts comme « le système à tuer les peuples » et, plus tard, « l’archéofuturisme » demeurent, qu’on le veuille ou non, des instruments critiques féconds pour développer une « théorie critique » alternative, qui aurait pour but, de subvertir le système dominant exactement de la même façon que la « théorie critique » de l’Ecole de Francfort avait subverti les traditions politiques classiques en Europe. Faye est l’élève de quelques personnalités importantes du monde universitaire français, ne l’oublions pas, telles Bertrand de Jouvenel, Julien Freund (le disciple alsacien de Carl Schmitt), Michel Crozier (l’observateur critique des systèmes dominants qui multiplient les blocages sociaux, un observateur qui s’inscrit dans la tradition allemande de Max Weber), Henri Lefèbvre (ancien penseur principal du PCF) et Jules Monnerot (un des plus fins analystes des processus révolutionnaires du 20ème siècle). Sur l’influence de Lefèbvre, j’ai écrit un bref article (voir : http://euro-synergies.hautetfort.com/). Sur Freund, Jouvenel et Monnerot, Faye a écrit des articles et des essais substantiels. Il n’y a encore rien sur l’influence qu’a exercée sur lui Michel Crozier.

 

Je ne qualifierais pas « La Nouvelle Question juive » d’option pro-sioniste à 100% ; ce n’est pas le cas sauf pour les simplificateurs outranciers de tous bords, qui vont sans doute interpréter le contenu de ce livre de la sorte. Malheureusement les terribles simplifications ont souvent le dessus et c’est ce qu’il convient de déplorer. Surtout que personne n’a jamais demandé à Faye de justifier la curiosité qu’est le sionisme pour tout Européen moyen ou de la suggérer comme alliée. Lorsque Faye analysait ou analyse des processus sociaux, il reste un maître, qui transmet de manière percutante et didactique les idées de ses brillants prédécesseurs et professeurs. Mais, comme n’importe quel autre intellectuel non imbriqué dans la défense d’une confession religieuse ou dépourvu de formation théologique, Faye ne peut pas se muer du jour au lendemain en un théologien judaïsant ou en un spécialiste ès questions juives. C’est ce qu’il a tenté de faire, malheureusement, en écrivant ce fameux livre qu’est devenu « La Nouvelle Question juive » ! C’est ici qu’il faut voir la faiblesse intrinsèque de cet ouvrage.  Je ne trouve pas (ou pas assez) de sources ou de références sérieuses sur l’histoire proprement dite du mouvement sioniste, comme, par exemple, les travaux de Sternhell ou de Shindler, ou encore sur l’histoire de la Palestine au 20ème siècle, comme le livre de Gudrun Krämer en Allemagne. Dans les années 20 et 30 du 20ème siècle, le mouvement sioniste, comme nous l’apprend Shindler, a d’abord été inspiré par les combattants nationalistes irlandais (Michael Collins) puis, plus tard, par ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui les « Etats totalitaires » : ces engouements venaient du fait que les militants de l’Irgoun combattaient surtout l’Empire britannique. La situation a changé au cours des deux premières années de la seconde guerre mondiale, après que les services secrets britanniques aient froidement abattu les derniers sionistes pro-allemands ou pro-italiens ! Sans arguments historiques bien étayés, tout livre demeure une compilation de vœux pieux (ou impies…), ce qui n’est ni utile ni pertinent ni scientifique.

 

La deuxième critique que j’avancerais après avoir pris acte de « La Nouvelle Question juive », c’est que je n’y ai pas trouvé d’évocation de voix critiques venues d’Israël même : en effet, la critique du sionisme à l’intérieur même de l’Etat hébreu ou dans la littérature israélienne actuelle me paraît plus pertinente et plus utile que tout ce qui se produit en dehors, dans le monde arabe, en Europe ou en Amérique et que l’on peut aisément qualifier d’ « antisémite ». L’affaire Avraham Burg vient encore de nous le prouver en Allemagne récemment. Faye, comme la plupart des intellectuels français d’ailleurs, semble ignorer tous ces débats et toutes ces critiques en provenance d’Israël même, alors que la presse allemande, par exemple, s’en fait régulièrement l’écho. Mais je voudrais poser ici une question impertinente : qu’est le sionisme, sinon un simple instrument de l’impérialisme américain, exactement comme bon nombre (mais pas tous…) de phénomènes islamistes et fondamentalistes d’inspiration sunnite ou wahhabite ? Les positions prises par Faye dans « La Nouvelle Question juive » sont finalement tributaires des thèses émises par le géopolitologue français Alexandre Del Valle. Celui-ci, dans la première phase de son œuvre, avait mis très justement l’accent sur l’alliance implicite entre les Etats-Unis et le mouvement moudjahiddin en Asie centrale. Cette alliance avait été conçue par Zbigniew Brzezinski dans le but de mettre hors jeu l’Union Soviétique dans le « rimland » d’Asie du Sud-Ouest, comme disent les Américains. Les fondamentalistes islamistes d’obédience sunnite, dans ce contexte, ont servi de bandes armées mobiles pour une « low intensity warfare », pour une « guerre de basse intensité » contre les Chiites d’Iran ou pour inciter les Tchétchènes à faire la guerre contre la Russie dans le Caucase. Ce sont là des faits que personne ne peut nier. Dans la seconde phase de ses activités para-politiques, Del Valle a effectivement parié sur une option clairement pro-sioniste, ce qui lui a permis d’écrire des articles dans des publications pro-sionistes comme, par exemple, « Israël Magazine ». Del Valle, dont la famille est originaire de la communauté européenne d’Algérie, ancienne colonie française, répète ainsi, quarante ou cinquante plus tard, l’alliance entre les colons « pied-noir » qui se dressaient contre De Gaulle, notamment au sein de cette armée secrète que fut l’OAS, et certaines forces sionistes de la diaspora juive d’Algérie, qui sera, elle aussi, expulsée après l’indépendance du pays. L’option de Del Valle s’explique mieux, si on tient compte des expériences douloureuses et traumatisantes de toutes ses familles expulsées. Bien entendu, cette expérience, aussi traumatisante qu’elle soit, ne peut que difficilement servir de modèle ou d’orientation pour le reste de l’Europe ou entrer en ligne de compte pour façonner une future géopolitique européenne, car elle est finalement un phénomène historique qui s’est déroulé en marge du noyau central de notre continent. Il faut ajouter que ces débats sur la guerre d’Algérie et ses retombées sont courants en France, parfois très vivaces et peuvent provoquer encore de virulentes querelles.

 

J’ai exprimé mon point de vue, en présence de Faye, lors d’un colloque de la « Gesellschaft für Freie Publizistik » à Bayreuth en 2006 et, ensuite, lors de conférences publiques à Genève ou dans la région lilloise en 2009. Pour « Synergies Européennes », l’Amérique reste l’ennemi principal et donc tous les satellites de Washington doivent être considérés comme des ennemis de l’Europe, ou, du moins, comme des ennemis potentiels, même s’ils ne sont que des ennemis secondaires ou des ennemis de second rang. Dans le monde actuel, les schémas binaires, noirs/blancs, ne revêtent aucune utilité pratique, même si les médias les répandent pour tromper et gruger les masses. Les services américains et leur « soft power » médiatique ont réussi à établir un système très complexe d’alliances et de contre-alliances, que l’on peut modifier à l’envi, en inventant et en fabriquant en permanence des « vérités médiatiques », forgées sur des schémas simples et donc binaires, de manière à mieux pouvoir lancer des campagnes de haine contre n’importe quel ennemi désigné. Le « soft power » et les agences médiatiques fabriquent donc des faux amis et des faux ennemis, comme l’attestent l’histoire récente de l’Iran ou la guerre Iran/Irak, où, tour à tour, Bagdad et Téhéran ont été amis ou ennemis. Cette stratégie permet de dissimuler plus facilement les véritables intérêts impérialistes des Américains. Au Proche-Orient et au Moyen-Orient, il s’agit de maintenir aussi longtemps que possible le chaos et c’est à cela que servent les querelles permanentes entre sionistes, sunnites et chiites : la seule chose qu’il faut éviter, c’est le retour au pouvoir de nationalistes arabes laïques, inspirés par les actions et les idées de Michel Aflaq ou de Gamal Abdel Nasser, qui mettraient fin au chaos. Dans ce contexte, j’aimerais aussi rappeler que les frères musulmans sunnites d’Egypte ont été les pires ennemis de Nasser et, ainsi, des alliés implicites d’Israël et des Etats-Unis !

 

Faye, comme la plupart de nos concitoyens aujourd’hui, est aussi, dans ce contexte bigarré, chaotique et incompréhensible pour le commun des mortels, une victime du « soft power » omniprésent, justement parce que les mass médias ne donnent plus un accès immédiat à du savoir historique substantiel, quand ils commentent l’actualité au jour le jour. Faye avait soif de clarté, une clarté à mon sens mal comprise et par trop simplificatrice, ce que je ne peux accepter sur le plan intellectuel. Dans cette quête de clarté, il a opté pour un schéma anti-islamiste, tandis que son ancien compagnon de combat, Alain de Benoist, a opté, lui, pour un schéma pro-islamiste et pro-iranien, tout aussi inacceptable pour un européisme raisonné et raisonnable. Seule une étude en profondeur des grands courants de l’histoire turque, ottomane, arabe et iranienne peut nous aider à forger un instrument infaillible pour comprendre la situation qui agite l’Asie Mineure, le Moyen-Orient et l’Asie centrale.

 

Je ne crois pas non plus que « la Nouvelle Question juive » ait véritablement influencé le BNP britannique ou le mouvement « Pro Köln » en Allemagne, parce que, tout simplement, ce livre n’a jamais été traduit et a eu, en apparence, moins d’influence que les autres écrits de Faye. En Flandre et en Hollande, par exemple, ce sont d’autres voix, dans les reliquats du mouvement de Pim Fortuyn ou dans le parti actuel de Wilders, qui donnent le ton en matière d’hostilité à l’islamisme ; cette lame de fond hostile à l’islam des populations immigrées est partout perceptible dans ces « Bas Pays » de Par-Deça.  Signalons notamment les écrits et discours d’un professeur hollandais, le Dr. Hans Jansen (cf. « Vrij Vlaanderen », Bruxelles, n°1/2009), qui est l’une des figures de proue de l’anti-islamisme dans l’espace culturel néerlandophone, tandis que Faye, lui, y est isolé et inconnu. Je formulerai une dernière remarque : pour développer en Europe des argumentaires anti-impérialistes ou anti-américains, il me paraît dorénavant plus judicieux de se tourner vers l’Amérique latine et ses corpus doctrinaux indigénistes, bolivariens, péronistes et castristes ; le continent ibéro-américain recèle des potentialités beaucoup plus intéressantes que le monde arabo-musulman aujourd’hui, surtout parce que Chavez au Venezuela et Lula au Brésil ont inauguré une diplomatie alternative aux perspectives fécondes. Mais cette riche veine potentielle d’arguments pertinents et de réalisations pratiques demeure ignorée dans le camp des « droites », des nationalismes ou autres mouvances identitaires. Nous considérons, dans les cercles de « Synergies Européennes », que notre devoir est de faire connaître toutes ces thèses et ces thèmes. Raison pour laquelle il convient de consulter régulièrement : http://euro-synergies.hautetfort.com/ La plupart des argumentaires latino-américains, qui sont parus sur notre site, y figurent en langue espagnole. Mais que ceux qui ne sont pas hispanophones ou hispanistes se consolent : il existe aujourd’hui d’excellents logiciels de traduction !

 

Q. : La survie des peuples européens est menacée aujourd’hui plus que jamais. Quelles chances de survie l’homme blanc a-t-il encore au 21ème siècle ?

 

Je repère dans le ton de votre question l’influence claire et nette du dernier ouvrage de Peter Scholl-Latour, paru début novembre en Allemagne. Oui, c’est un fait, que sur les plans démographique et purement quantitatif, l’Europe ne signifie plus autant que jadis. L’Europe a été profondément affaiblie par les deux conflagrations mondiales qui ont ravagé son territoire au 20ème siècle. L’histoire européenne nous a cependant appris que les Européens, souvent, ne réagissaient qu’à la toute dernière minute, comme à Vienne en 1529, 1532 et 1683 ou dans l’espace méditerranéen à Lépante en 1571, sans pour autant disposer, à ces moments cruciaux, de la supériorité quantitative. La quantité n’est pas aussi importante que la qualité. La tâche première des forces non conformistes d’Europe, et c’est là une tâche extrêmement ardue, sera d’éveiller à nouveau le sens de la qualité, car la qualité implique l’action, tandis que la quantité, par sa masse, implique la passivité. C’est ce que nous enseignait Michel Crozier dans « L’acteur et le système » : l’homme ou les peuples sont paralysés dans le système dominant, que ce soit par le truchement d’un quiétisme à la hippy ou par celui de l’hyperconsommation. Si tel est le cas, ils ne sont plus « acteurs » dans leur propre système politique, sclérosé et bloqué, et leur liberté de façonner leur vie politique leur est ôtée. La tâche difficile est donc de retransformer les petits moutons passifs en loups actifs, dans l’espoir que les autres, pendant ce temps, étouffent sous le poids de leur propre masse, de leur propre quantité ou tombent exténués parce qu’ils n’ont cessé d’agir avec trop de fébrilité et de frénésie. Ce travail ne sera pas achevé demain ni après-demain. Nos petits-enfants, eux aussi, devront encore monter au créneau.

 

(rédigé à Forest-Flotzenberg, les 25 et 26 novembre 2009 ; version française : décembre 2009).

 

 

 

vendredi, 11 décembre 2009

Guillaume Faye: Pour en finir avec le nihilisme

b_nihilisme.jpgArchives de SYNERGIES EUROPEENNES

Guillaume FAYE:

POUR EN FINIR AVEC LE NIHILISME



I. METTRE LA PENSÉE EN ROUTE


Pour bon nombre de ses commentateurs, à l'exception notable de Jean-Michel Pahnier (1), Heidegger fut un métaphysicien donc l'ouvrage essentiel, Sein und Zeit (traduit en français par L'être et le temps), aurait tenté, en construisant une “phénoménologie de 1'òntologie” (2), de réfuter la tradition métaphysique par le langage métaphysique lui-mente et, partant, ne se serait pas exclu lui-même de la métaphysique. Dernier métaphysicien peut-être, mais métaphysicien quand même. Henri Arvon, de son été, écrit: “Le premier souci de Heidegger est moins l'établissement d'une ontologie formelle et matérielle que l'élaboration d'une ontologie fondamentale qui, à travers l'existence humaine, cherche à percer jusqu'à l'étre”. Il ajoute: “L'édifice doctrinal qu'il élève (..) constante une réponse de portée exceptionnelle à l'appréhension d'une époque éprise de rigueur scientifique qui, désespérée de voir s'estomper l'être, voudrait ramener celui-ci en pleine lumière” (3). Ce langage, en apparente si obscur, n'a certes pas servi Heidegger dans les milieux positivistes et rationalistes, qui ne voient en lui qu'un philosophe abscons ou, dans le meilleur des cas, un poète...


En fait, il semble bien qu'il y avait plusieurs lectures possibles de Heidegger. Dans Sein und Zeit, ouvrage où culmine la première étape de sa pensée, Heidegger nous dévoile les clés de son vocabulaire et l'orientation de sa réflexion. Mais, on le sait, celle étape a été suivie d'une seconde, à la suite d'un célèbre “tournant” (Kehre), qui a commencé de se manifester dans le courant des années trente. Notre lecture sera surtout rentrée sur ce “second” Heidegger, dont les préoccupations apparaissent dans tonte leur ampleur avec les écrits sur Hölderlin et sur Nietzsche. Toutefois, celle lecture ne sera pas purement “philosophique” - au sens classique de ce terme -, tant les horizons que nous dévoile Heidegger en appellent à tous les aspects de la vie et, mieux encore, à ce qu'il conviens de nommer notre destin. Heidegger, plus précisément, sera considéré par nous comme le penseur de la modernité. L'auteur des Holzwege s'est en effet attaché à penser l'essence des temps modernes, en partant du mot de Nietzsche: “Dieu est mort”. Or, la mort de Dieu, c'est la mort des valeurs. En sorte que l'on peut avancer que Heidegger termine la pensée métaphysique. La portée fondamentale de son oeuvre vient, en partie au moins, de ce qu'au XXème siècle, il a été le seul à poser et à répondre à la question capitale : “Quelle est l'essence des temps modernes?” (4). Qu'est-ce en effet que la “modernité”? D'où venons-nous? Que sommes nous advenus? Où pouvons-nous aller, nous, hommes et peuples du XXème siècle ? Telle nous semble être la problématique centrale posée par le “penseur-bûcheron”. Elle sente nous éclaire et nous permet d'expliquer quelques uns de ses thèmes et de ses idées que l'hypothèse métaphysique masque complètement.

Dans cette perspective, L'être et le temps, publié en 1927, ne constitue pas un ouvrage centrai ni définitif, mais un travail préliminaire, nécessaire à la compréhension de la suite de ouvre, une sorte de bilan introductif méthodologique à un “message” qui n'existait encore qu'à l'état de projet et de virtualité en 1927, alors que Heidegger n'avait que trente-neuf ans. En d'autres termes, L'être et le temps forme, non pas une somme de “phénoménologie existentielle”, somme 1'Université l'enseigne encore trop souvent (5), mais un exposé de concepts, de modes de pensée et d'un langage, qui ne prendront tout leur sens et leur portée qu'avec les ouvrages essentielles que sont, de notre point de vue, et dans un ordre d'importante croissante, les deux volumes consacrés à Nietzsche, publiés en 1961, le recueil intitulé Holzwege (“sentes de bûcheron”, traduit en français, en 1962, sous le titre Chemins qui ne mènent nulle part), paru en 1950, les textes divers, établis à partir de cours et de conférence, rassemblés en 1954 sous le titre Vorträge und Aufsätze (traduction en 1958, dans le volume Essais et conférences), enfin Die Frage nach der Technik, publié en 1962.


Dans L'être et le temps, livre qui fit grand bruit à l'époque, Heidegger pose les fondements de son langage et établit son champ conceptuel, les deux ne faisant d'ailleurs qu'un et constituant les deux faces d'un même outil intellectuel. Pour Heidegger, la pensée et le langage existent en effet en symbiose: qui saisit la clé de la langue peut de ce fait pénétrer dans son content ; la forme est déjà le fond. L'être et le temps nous initie dans au style heideggérien, qui se caractérise par trois traits principaux: le recours au langage poétique, l'utilisation de la philologie et de l'étymologie grecque, et le retour (le “retournement”, comme un laboureur retourne sa terre et de ce fait la redécouvre et la rend plus féconde) au sens originel de la langue allemande. Torturant, questionnant les mots, Heidegger s'offre comme un poète, dans l'acception hellénique du terme, c'est-à-dire comme un créateur de formes. L'effet de surprise et d'illumination, né du choc de ce langage étymologique” germano-grec et d'un style d'une modernité sans réserve, ne doit rien à une gratuité d'esthète: la langue heideggérienne est belle parce que dense; elle est signifiante parce que poétique, c'est-à-dire créatrice (6). Heidegger est de ceux qui, au détour d'un raisonnement difficile, l'interrompt pour l'illuminer d'une phrase telle que celle-ci: “Debout sur le roc, l'œuvre qu'est le tempe ouvre un monde et, en même temps, le réinstalle sur la terre qui, alors seulement, fait apparition comme le sol natal” (Chemins qui ne mènent nulle part, op. cit., p. 32). Voilà donc ce à quel nous accoutume L'être et le temps: à une parole aristocratique, qui ne se contente pas de nous expliquer une idée par la raison intellectuelle (Geist), mais entend nous la faine éprouver par la sensibilité poétique (Seele).

Le recours à l'étymologie indo-européenne, actualisée dans les langues grecque et allemande, n'est pas neutre: cette méthode renvoie à la volonté de Heidegger de réenraciner l'histoire moderne dans l'aurore grecque. Le verbe heideggérien, expérimenté dans L'être et le temps, est censé provoquer un “choc culturel” dans le lecteur.

Heidegger entend renouer avec un style et, au-delà, avec une vue du monde qui formerait le prélude a une régénération, sous une autre forme, d'un mode d'être et de périr “grec”, c'est-à-dire non-socratique et a-chrétien. Après Nietzsche, Heidegger se pensait comme un Dichter (poète, “in-dicateur”), annonçant un monde à venir, un monde virtuel, qui renouerait, sous une nouvelle forme “historienne”, avec ce qui constitue, pour nous Européens, notte aube : la vue du monde grecque, aujourd'hui paradoxalement “présente mais tombée dans l'oubli”. La Dichtung (le dict, la parole) de Heidegger nous provoque (provocare, en latin, signifie “appeler”) à “sortir de I'oubli”, à faire ressurgir au niveau de l'autoconscience, une vue du monde que nous avons héritée des Anciens et à l'asseoir au sein même du monde moderne. De cette rencontre, “quelque chose” naîtra.


En dehors de la présentation de la “parole grecque”, L' être et le temps présente un corps conceptuel qui restera inchangé tout au long de I'œuvre du penseur, et qui nous indique quel sens il nous faudra donner - et ne pas donner - à la “question de l'être” (Seinsfrage), qui est l'un des thèmes centraux de la pensée heideggérìenne. L'être et le temps expose que cette “question” est demeurée dans 1'oubli, qu'elle est tombée en déchéance (Verfall) depuis l'aube grecque de la pensée occidentale. Toute la métaphysique occidentale depuis Platon, Plotin, Aristote et Thomas d'Aquin, a envisagé la “question de l'être” comme un acquis. Elle a cru que l'être existait “en soi” et a cherché à révéler set “être en soi” comme une essence absolue en partant, selon l'induction platonicienne, de ses modalités “inférieures”, c'est-à-dire de l'étant. Ce faisant, l'étant, autrement dire le réel, demeure méconnu. “Il y a une invasion de l'étant non pensé en son essence”, écrit Heidegger. Le penseur se dégage ainsi de la vision du monde liée à la métaphysique monothéiste et impose une “anti-métaphysique” où la question de l'être est recentrée sur le Dasein, 1' “être-là” - renouant par là avec la conception des Grecs présocratiques pour qui, face au destin (Moïra), l'homme était la “loi du monde” (anthropos o nomos tou kosmou). Ainsi l'“oubli de l’être” est-il l'oubli de la réalité du monde, de “la différenciation ontologique, ce qui sépare l'étant de l'être”. La métaphysique platonicienne, puis chrétienne, est une “pensée déchue” qui se réfugie dans la philosophie des valeurs, qui élève une morale absolutiste, une idée au-dessus de l'être, autrement dit, qui dévalue la vie en “inventant”, au-dessus du réel, des catégories absolues, fallacieusement appelées “être”. Nietzsche, lui aussi, parte de la “séparation socratique de la pensée et de la vie”. Mais, grâce à la méthode phénoménologique, Heidegger va plus loin. Il démonte la mécanique de la métaphysique occidentale et prépare un dessein “scandaleux”, impensable pour l'humanisme traditionnel embué de “transcendantalisme moral”, consistant à valoriser le Dasein et à apporter de la spiritualité au sein de l'immanence du monde, selon le vieux projet inachevé du paganisme grec et présocratique.


L'être et le temps se contente donc de poser cette problématique. Nous voyons la preuve de la justesse de cette interprétation dans les explications fournies plus tard par Heidegger lui-même dans sa Lettre sur l’humanisme (op. cit.). Il nous semble donc impossible de ne voir, dans L'être et le temps, à l'instar d'Emmanuel Levinas (En découvrant l'existence avec Husserl et Heidegger, Vrin, 1949), qu'une continuation de la pensée de Husserl ou qu'une tentative de “retrouver l'être” et d'établir une “métaphysique épurée”, comme l'imagine en général la tradition universitaire française. (On n'encense d'ailleurs bien souvent, dans l'Université, œuvres de Heidegger que pour en occulter radicalement la signification).

Plus que Husserl, qui ne lui a fourni que des outils conceptuels, utilisés d'ailleurs au rebours des principes du vertueux phénoménologue, le vrai “maître” de Heidegger est Nietzsche. Heidegger s'impose, non comme le “disciple”, mais comme le continuateur de Nietzsche, ce qui ne l'empêche d'ailleurs pas de faire une critique, parfois vive, de la pensée de l'auteur du Zarathoustra. Heidegger, en fait, reprend la question des valeurs là où Nietzsche I'avait laissée, mais il la “traite” avec des outils plus raffinés, qui sont précisément ceux dont L’ être et le temps a jeté les bases. Désormais, on ne pourra plus lire Nietzsche sans recourir ensuite à Heidegger, ni entendre Heidegger sans s'être d'abord familiarisé avec le projet de l'homme de Síls-Maria. (Le philosophe néochrétien Maurice Clavel ne s'y était d'ailleurs pas trompé).


Deux oeuvres de Heidegger sont ici surtout concernées: le livre sur Nietzsche, déjà cité, et surtout l'essai intitulé Nietzsche Wort “Gott ist tot” (traduit sous le titre Le mort de Nietzsche: “Dieu est mort”) (7), texte étable après la seconde Guerre mondiale à partir du content des cours sur Nietzsche prononcés à l'université de Fribourgen-Brisgau entre 1936 et 1940.


Arrêtons-nous d'abord à une métaphore empruntée à l'introduction du recuiel intitulé Holzwege (op. cit.). Heidegger y écrit énigmatiquement: “... Dans la forêt, il y a des chemins qui, le plus souvent, se perdent soudain, recouverts d'herbes, dans le non-frayé. On les appelle Holzwege (8). Chacun suit son propre chemin, mais dans la même forêt. Souvent, il semble que l'un ressemble à l'autre. Mais ce n'est qu'une apparente. Bucherons et gardes s'y connaissent en chemins. Ils savent ce que veut dire s'engager sur un Holzweg”. En effet, ceux qui se soucient de la forêt, ceux qui 1'habitent, ceux qui ont rebours à elle, ne s'égarent pas quand ils empruntent un tel sentier; celui-ci les conduit tout droit au lieu de leur travail. Par contre, tous ceux à qui la forêt est étrangeté, tous ceux pour qui elle est un obstacle, les marchands, par exemple, qui doivent la contourner en allant de ville en ville, ceux-là craignent par-dessus tout de s'engager sur un Holzweg, où ils ne pourraient que s'égarer. Cette métaphore de la forêt nous semble essentielle pour comprendre le processus d'élaboration de la conception du monde inaugurée par Nietzsche, continuée par Heidegger, et toujours ouverte aujourd'hui du faire même de son inachèvement. Nietzsche, dirons-nous, est celui qui a compris que l'on ne doit ni contourner la forêt ni la traverser de part en part, mais au contraire s'y perdre par une sente de bûcheron, afin de s'y retrouver dans la clairière où s'accomplit le “travail”, Heidegger nous disant, lui, quel sentier prendre.


II. L'APOGÉE DU NIHILISME


« Dio è morto. Muette est devenue la confiance dans les lois éternelles des dieux. Les statues sont maintenant des cadavres dont l’âme s'est enfuie, les hymnes sont des morts que la fin a quittes » (Hegel, Phénoménologie de l'esprit).

D'après Heidegger, l'œuvre de Nietzsche clôt la métaphysique occidentale. Le mot fondamental de Nietzsche, "Dieu est mort", nomine la destinée de vingt siècles d'histoire occidentale. Cette destinée doit être interprétée somme la lente et inexorable montée du nihilisme, c'est-à-dire la mort de toute valeur. On petit discuter sur la question de savoir si Heidegger a eu ou non raison de voir en Nietzsche le dernier des métaphysiciens (9).

Mais ce qui importe, c'est de reconnaître que la lecture heideggérienne de Nietzsche, la reconnaissance de la signification historienne de son oeuvre, sont les seules possibles.

Dans Le gai savoir, au paragr. 125, intitulé “Le forcené”, Nietzsche signe l'un de ses textes les plus importants. Il y reconnaît, le premier, l'événement considérable qui termine un processus entamé avec Platon: le meurtre de Dieu. “Où est allé Dieu? Je vais vous le dire, hurle le forcené. Nous l'avons tué”. Il poursuit: “Ne sentons nous toujours rien de la décomposition divine? Car les dieux aussi se décomposent (...) Quels jeux sacrés nous faudra-t-il désormais inventer ? La grandeur de cet acte n'est-elle pas trop grande pour nous? Ne sommes nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux? (...) Il n'y eut jamais acte plus grandiose, et ceux qui pourront naître après nous appartiendront, à cause de cet acte, à une histoire plus élevée que ne le fut jamais tonte histoire”.


Nietzsche est ici l'annonciateur de cette autre histoire, qui peut s'interpréter comme la virtualité d'un surhumanité. Heidegger, lui, est le premier philosophe à pénétrer dans cette autre histoire, le premier, après la découverte du cadavre de Dieu, à en tirer les conséquences. “Je viens trop tôt, disait le forcené. Mon temps n'est pas encore advenu. Cet événement est encore en route. 11 n'est pas encore parvenu jusqu'aux oreilles des hommes”. La mort de Dieu doit ainsi se comprendre, non comme un “événement philosophique”, mais comme un phénomène historique qui pénètre l'ensemble des sociétés occidentales, un événement qui transformera la vie au sens le plus authentique du terme. La mort de Dieu, processus d'achèvement, d'arrivée à terme d'une vue du monde, doit s'interpréter comme “la fin du monde suprasensible, du domaine des idées et des idéaux”. Heidegger précise: “Depuis Platon, et plus exactement depuis l'interprétation hellénistique et chrétienne de la philosophie platonicienne, ce monde suprasensible est considéré comme le vrai monde, le monde proprement réel. Le monde sensible, au contraire, ne sera plus qu'un ici-bas, un monde changeant, donc purement apparent et irréel. L'ici-bas est une vallée de larmes. (...). Ainsi, le mot “Dieu est mort” signifie: le monde suprasensible est sans pouvoir efficient. Il ne prodigue aucune  vie. La métaphysique, c'est-à-dire la philosophie occidentale comprise comme platonisme, est à son terme”.

La mort de Dieu désigne aussi l'impossibilité de croire aux idéaux absolus, que ceux-ci soient ou non liés à une “divinité”. Elle ne peut donc s'interpréter sous l'angle restreint d'un déclin des sentiments religieux. Elle sedia en fait la phase ultime du nihilisme. “Le nihilisme, le plus inquiétant de tous les hôtes, est devant la porte”, dit Heidegger. Le nihilisme marque la fin de la possibilité de toute valeur. L'humain est placé face au néant, privé “d'un monde suprasensible à pouvoir d'obligation”. “Le nihilisme est un mouvement historique. Il meut l'histoire à la manière d'un processus fondamental à peine reconnu dans la destinée des peuples d'Occident (...) Ni phénomène historique parmi d'autres, ni courant spirituel qui se rencontrerait à côté d'autres courants spirituels (...) le nihilisme est bien plutôt, pensé en son essence, le mouvement fondamental de l'histoire en Occident. Il manifeste une telle importance de profondeur que son déploiement ne saurait entraîner d’autre chose que des catastrophes mondiales. Le nihilisme est le mouvement universel des peuples de la terre engloutis dans la sphère de puissance des temps modernes (...) I1 appartient au caractère inquiétant de ce plus inquiétant des hôtes de ne pas pouvoir nommer sa propre origine (...) Il est la destination de notre propre histoire” (10). Heidegger reconnaît dans Nietzsche celui qui a mis au jour ce processus historique en acte depuis des millénaires: l'agonie des valeurs, la lente perte de sens des idéaux spirituels.

Il ne faut surtout pas croire, comme on l'enseigne dans nos facultés de philosophie, que Heidegger condamne le nihilisme. Heidegger semble au contraire se féliciter de cette remontre des temps modernes et du nihilisme, d'où seule pourra natter un nouveau projet. I1 accepte pleinement les temps modernes comme nihilistes: “Nietzsche se rend compte que, malgré la dévalorisation des plus hautes valeurs pour le monde, ce monde lui-même continue, et que, ainsi dépourvu de valeurs, il tend inévitablement à une nouvelle institution de valeurs (...) Pour fonder la nouvelle institution de valeurs en tant que mouvement contre les anciennes valeurs, Nietzsche donne également le nom de nihilisme (...) Ainsi, le terme de nihilisme désigne d'abord le processus de dévalorisation des anciennes valeurs, mais, en même temps aussi, le mouvement inconditionnel contre la dévalorisation (...) Nietzsche alors accepte le nihilisme et le professe comme inversion de la valeur de toutes les valeurs antérieures”. Nietzsche se place à la charnière de deux mouvements historiens, l'un en achèvement, l'autre virtuel. Il annonce l'apogée, donc le mouvement terminal du nihilisme, tandis que Heidegger, par son oeuvre, inaugure l'après-nihilisme.


Le nihilisme ne peut se limiter à l'affaissement de la foi chrétienne ou à la généralisation d'un vulgaire athéisme. Le christianisme lui-même, dans tonte l'explosion de sa foi triomphante, fut une phase du nihilisme. Ce dernier est l'engeance de la métaphysique platonicienne et chrétienne, où il résidait, virtuellement présent, dès sa fondation. Toute la métaphysique occidentale portait avec elle, sans s'en douter, le nihilisme. Ainsi, si l'opinion chrétienne (ou humaniste) ne prend pas conscience du nihilisme dont elle est porteuse - en tant que devenir (Werden) -, elle ne saisit pas non plus que ce principe nihiliste, qui constitue son essence, sera celui-là même qui permettra d'en finir avec la métaphysique chrétienne ou les valeurs athées de l'humanisme qui sont, au fond, une seul et même chose. Les “valeurs” christiano-platoniciennes, mortes-vivantes aujourd'hui, ont porte en élis leur propre principe de mort (11). Pourquoi ? Ecoutons la réponse de Heidegger: “Les valeurs suprêmes se dévalorisent déjà, dans la mesure où l'on commence à entrevoir que le monde idéal n'est guère susceptible d'être jamais réalisé dans le monde réel et sensible”. La conception du monde qui, en rupture avec l'aurore grecque, a séparé la pensée (noésis) de la nature vivante (physis), et celle-ci de l'action (poiésis), a virtuellement dévalorisé les principes qu'elle posait. Ces principes (Dieu, le Beau, le Vrai, le Bien), qui, de la théologie à l'humanisme socialiste, représentent des principes fixes et supérieurs, d'essence suprasensible, ont été depuis toujours condamnés à périr, dans la mesure même où ils se dé-réalisaient en se présentant comme des essences. Avec quelle jubilation, alors, ne doit-on pas constater ce mouvement historique du nihilisme, principe en acte contre lui-même, antidote posé par la vie contre la métaphysique et la morale qui, à leur insu, vont mourir de ce combat qu'elles ont voulu livrée contre le monde sensible! Ce monde sensible des passions et des guerres, ce “théâtre” de la “folie humaine” que Platon nous décrit comme une “caverne d'ombres” (aggalmata), finira par avoir raison des principes et des universaux, figés dans i'absolutisme de pseudo-valeurs qui n'ont pas su se conformer à la vie et qui, de ce fait, sont devenues, elles, des ombres.


Le nihilisme doit être ainsi considéré avec un sentiment à la fois triomphal et tragique. Il n'a rien d'une décadence. Il est la « loi même de notre histoire ». Même si nous savons que nous devons le dépasser, une telle entreprise surhumaniste a besoin que la mort de toutes les valeurs arrive à son terme. Heidegger s'engage déjà, en éclaireur - c'est-à-dire par la pensée, avant que n'advienne la phase “épochale” de l'action -, sur les sentes de l'après-nihilisme, alors que les temps modernes, toujours en apparence attachés aux principes traditionnels, accomplissent, dans les faits, la période ultime du nihilisme. Les principes et les valeurs, devenus résidus, sont bien morts puisqu'on n'y croit plus, mais personne n'ose encore aller enterrer le cadavre.


Heidegger s'oppose donc à l'humanisme traditionnel, non seulement sous la forme rationaliste et optimiste que les XVIIIème et XIXème siècles lui ont donnée, mais à jamais sous sa forme dogmatique d'affirmation de valeurs stabilisées. La norme des valeurs ne devrait pas relever d'une essence, mais de “l'inachèvement de l'existence humaine”, de son “dévoilement créateur”. C'est le Dasein humain qui doit se reconquérir comme mâitre des valeurs, indépendamment des “vérités” universelles exposées par les religions monothéistes et la métaphysique de Platon. A la suite de Nietzsche, Heidegger ne volt en fait, dans l'humanisme, que la présence d'une morale absolutiste où l'homme, pensé comme norme suprême, ne recèle aucune valeur mobilisatrice. Métaphysique déchue dans l'ici-bas, mais métaphysique tout de même, l'humanisme qui a cours en Europe depuis le XVIIIème siècle, avec sa cohorte de bons sentiments, marque le début de l'apogée du nihilisme. Cet humanisme, dit Heidegger, nous trompe, car il occulte le tragique de tonte existence; consolateur, il nie l'angoisse et, par la, rend impossible “le courage, l'audace et la lucidité”. “L'angoisse de l'audacieux, écrit Heidegger dans Qu'est-ce que la métaphysique?, ne souffre pas qu'on l'oppose à la joie, ni même à la jouissance facile d'une activité paisible”. Sentis un désirs d'éthique, issu d'une re-création volontaire de valeurs serait adapté à notre époque technique.


“L'homme de la technique, écrit Heidegger à Jean Beaufret, livré à l'être de masse (Massenwesen), ne peut plus être ramené à une continuité star et stable que s'il rassemble et coordonne la totalité de ses plans et de ses actes conformément aux exigences de cette technique”. Il faut rétablir un “tien éthique” entre l'aire humain pris dans son essence (Menschenwesen) et son monde, non plus selon des principes d'ordre universel et des absolus moraux, mais à partir d'une véritable “planification” de valeurs en rapport étroit avec le monde technique. Ces valeurs “éthiques” seront ouvertes, déplaçables, conformément aux qualités de l'existence humaine : l'inachèvement, qui caractérise le Dasein, et le dévoilement créateur de toute action, aujourd'hui porte par la technique.

Comme Sein und Zeit s'élève contre l'humanisme, explique Heidegger, certains craignent que ce livre ne soit une défense de l'inhumain et une glorification de la brutalité barbare (...) Mais la pensée opposée aux valeurs n'affirme pas que toutes les valeurs habituellement professées comme telles, la “culture”, “l'art” (...) la “dignité humaine” et “Dieu” sont dépourvues de valeur. Il s'agit au contraire de comprendre enfin que c'est le faire même d'être qualifiées de valeurs qui dévalorise les objets de cette évaluation”. Autrement dit, en é-valuant les valeurs, on les ravale au rang de “logique”; on ne les vit plus. L'humanisme fait alors disparaître tonte valeur, selon un processus inauguré par les métaphysiciens: il proclame Dieu ou la dignité humaine comme valeur suprême incréé dans une hiérarchie rationnelle absolue, enferme l'humain dans un carcan et dévalorise tout sacré comme vécu. “Etre contre les valeurs, ajoute Heidegger, ne signifie pas être pour l'absence de valeurs et la nullité (Wertlosigkeit und Nichtigkeit) de l'étant, mais être contre la subjectivisation de l'étant qui ravale ce dernier au rang de single objet”.


Plutôt que de construire, par le logos, une morale reposant sur un systèm de valeurs comprises comme impératifs absolus, sans aucun “lien” avec l'“essence du monde”, il s'agit de planifier, d'organiser et de vivre une éthique volontariste. Le sacre et l'affectivité mobilisatrice du muyhos - opposée au logos des métaphysiciens - se retrouveront, parce que les valeurs implicites ne seront plus des mots, mais des comportements. Ceux-là devront s'enraciner dans un projet, en accord avec le monde et l'histoire. Un tel mouvement marquerait le passage de l'humanisme à ce que l'on pourrait qualifier de surhumanisme. Les valeurs seraient désormais vécues comme existence et non plus comme essence. Das Wesen des Daseins liegt in seiner Existenz, écrit Heidegger - phrase difficilement traduisible, car calquée sur le grue, mais que t'on peut rendre par “la spécificité fondamentale de l'être et du devenir humain, son essence, réside dans son existence” (12). Au plus profond de lui-même, l'humain est envol, transgression. L'homme est le transgresseur des normes: l'Existenz, ou, selon les conventions du traducteur, l'existence, traduit le concept latin exister, “vivre en se dégageant”. Les valeurs d'existence doivent être comprises, non plus comme des normes intellectuelles, mais comme des formes de vie (Lebensformen), jamais figées, perpétuellement évolutives, rigoureuses parce que volontairement instaurées et susceptibles à tout moment d'être dépassées. L'éthique de la transgression (de l'homme par lui-même) succède à la morale de la transcendance (de l'homme par des principes). Le terme nietzschéen de “surhurnanisme” peut alors se comprendre comme le moment “épochal” où l'homme se reconnaît, enfin, comme un transgressant. Et c'est dans cette perspective qu'il faut entendre le meurtre de Dieu, annoncé par le “forcené” du Gai savoir.


La mort de Dieu coïncide avec le “commencement du néant”, c'est-à-dire “l'absence d'un monde suprasensible à pouvoir d'obligation”. Partir Heidegger, l'autorité disparue de Dieu succède celle du rationalisme et de la morale. Mais ceux-qui ne savent donner de sens à 1'existence. Le christianisme, surtout dans sa version humaniste, dévoile alors - événement considérable - qu'il n'était qu'un athéisme déguisé. C'est le platonisme qui a fini par avoir .raison du sacré: en repoussant celui-ci hors de la nature, dans le lointain d'une métaphysique hautaine, il a épuisé ce sentiment de lien religieux que les peuples préechrétiens éprouvaient au contact du monde. “Le but d'une félicité éternelle dans l'au-delà, écrit Heidegger (13), se change en celui du bonheur pour tous, dans l’ici-bas”. Or, ce nihilisme recèle aussi la virtualité de son propre dépassement, puisque “1'acte créateur - autrefois, le propre du Dieu biblique -; devient la masque distinctive de l'activité humaine”. Ce ne fut pas le christianisme qui donna l'impulsion originelle au nihilisme: ce fut la vision du monde métaphysique platonicienne. Les historiens corroborent cette analyse: le platonisme constitua le “filtre” philosophique qui fit admettre un certain monothéisme biblique et conforma les structures mentales du christianisme occidental. “Le christianisme lui-même fut une conséquence et une forme du nihilisme”. Dans le christianisme, le suprasensible suit un processus de décomposition (Verwesung) et les “Idées, Dieu, l'Impératif Moral, le Progrès, le Bonheur pour tous, la Culture et la Civilisation perdent successivement leur pouvoir constructif pour tomber dans le nihilisme”. Le fait de poser ces valeurs en tant qu'abstractions, et le fait de poser Dieu comme valeur suprême les dévalorise déjà. Aussi, ne doit-on pas comprendre le nihilisme comme le résultat du seul monothéisme hébraïque (14), mais plutôt comme le refus de tout panthéisme manifesté par le platonisme comme par l’hébraïsme le sacré relégué loin du monde “naturel” et humain.


Heidegger essaie alors de répondre à la question de Nietzsche: quelles nouvelles tables de valeurs instituer? Mais avant de formuler une réponse, il lui a fallu préciser ce que nous devions entendre par cette tâche à entreprendre “1'inversion de la valeur de toutes les valeurs” (Umwertung aller Werte). Il ne s’agita pas en effet d'instituer de “nouvelles idoles”, de nouvelles valeurs abstraites. Le nihilisme actuel devra être accompli jusqu'à son terme pour que les nouvelles tables de valeurs naissent précisément là où les canons moraux contemporains voient le pire danger. Cette attitude est qualifiée par Nietzsche de pessimisme de la force. Nous entrons alors dans une période transitoire, ainsi décrite par Heidegger: “C'est le commencement d'une situation intermédiaire, où il devient manifeste que, d’une part, la réalisation des valeurs jusqu'ici reconnues comme suprêmes ne s'accomplit pas. Le monde semble dépourvu de toutes valeurs. D'autre part, cette prise de conscience dirige l'intelligente vers la source d'une nouvelle instauration de valeurs sans que, pour cela, le monde recouvre sa valeur”. Nous vivons ainsi dans l'interrègne, celui de la double conscience et de I'apogée du nihilisme les hommes de la première forme de conscience s'attachent toujours à leurs idéaux décomposés ; ceux de la sur conscience. héritiers lucides du nihilisme, annoncent une aube encore non advenue.

Cette aube sera-t-elle celle d'un nouveau dieu? L'originalité de Nietzsche est de répondre négativement. Dieu est mort: non seulement son trône est vide, mais l'idée même de trône est dévalorisée. Il ne s'agit pas tant de remplacer des valeurs que de trouver un autre lieu éthique où elles puissent s'exprimer. Ce lieu, on ne pourra le trouver que là où la métaphysique et la morale, là où le christianisme et l'humanisme voient une dévalorisation absolue. “Là”, c'est-à-dire au bout de ce que Nietzsche appelait le nihilisme complet, en ce lieu même où le néant est devenu absolu. Se contenter de “renouveler” les valeurs relève du nihilisme incomplet, ainsi comme par Heidegger: « Le nihilisme incomplet remplace les valeurs anciennes par des valeurs nouvelles, mais il continue à les placer au vieil endroit, qu'on réserve en quelque sorte comme région idéale du suprasensible. Un nihilisme complet, par contre, doit supprimer le lieu même des valeurs, le suprasensible en tant que région et, par conséquente, poser les valeurs autrement, c'est-à-dire inverser leur valeur », Ce nihilisme complet qui apparaîtra tel aux hommes de la conscience métaphysique et humaniste, sera déjà, pour ceux de la “sur conscience”, un anti-nihilisme. Ce qui, du point de vue de la première conscience, est néant, sera très exactement fondement de valeur pour la deuxième conscience. Mais où réside ce néant? Autrement dit, où résidera ce lieu de 1'inversion de la valeur des valeurs? Autrement dit encore, quel est le fondement du nouvel endroit des valeurs, qui est Aussi l'aboutissement du nihilisme complet? Répondre à cette question ne nous amènera pas non plus à parler de nouvelles valeurs. Lorsque, plus loin, nous les évoquerons, nous nous garderons de les nommer. Il s'agira bien plutôt d'inciter à les vivre, car, nous le verrons, ces valeurs-là ne sont pas intellectuellement nommables, puisqu'elles ne sont pas d'essence abstraites et suprasensibles.

Quel est donc l'endroit des nouvelles valeurs virtuelles? Avant de donner une réponse, il convient d'écouter la formulation que Heidegger a donné à cette question, non plus à la suite de Nietzsche, mais de Hölderlin.


Commentant l'hymne inachevé intitulé Mnémosyne, Heidegger en donne l'interprétation suivante dans Pour- Quoi des poètes ? “Long est le chemin de détresse de la nuit du monde. Celle-ci doit d'abord, longuement, accéder à son propre milieu”. (Cette nuit est celle de la progression historique du nihilisme). Il poursuit: “Au milieu de la nuit, la détresse du temps est la plus grande”. (Il s'agit de notre époque). “Alors l'époque indigente ne ressent même plus sa indigente”. (C'est là “l'oubli”, - (Vergessenheit) -, qui constitue la plus grande détresse de toutes les détresses). “La nuit du monde reste néanmoins à penser comme un destin qui nous advient endenté à du pessimisme et de l'optimisme, Peut-être la nuit du monde va-t-elle maintenant vers sa mi-nuit”. (C'est -a-dire vers le creux le plus profond, qui sera à la fois une cassure historique et un “départ”, - Aufbruch -, vers le post-nihilisme). “Peut-être cet âge va-t-il devenir pleinement temps de détresse”.

C’est donc à notre époque que se sine l'instant de la mi-nuit. De cet instant, s'il est reconnu, peut surgir la fondation de nouvelles valeurs. Hölderlin, comme Nietzsche, nous pose la question: où, à quelle croisée des chemins - pour reprendre le mythème de l'Oedipe de Sophocle à la poursuite de son destin -, en quel endroit historien de détresse absolue ou de nihilisme complet, trouverons-nous le chemin de la sortie? Où la nuit va-t-elle basculer vers le matin? Quelle est cette nuit du monde? La “minuit” recouvre ce que Nietzsche désigna pax fois, par antithèse, sous le nom de Grand Midi: la Volenté de puissance, et avec elle la Vie. Cette Vie qui cherchait précisément à fuir, au temps de sa jeunesse, de son non-accomplissement, le judéo-christianisrne. Cette vie, comme violente et comme volonté, qui explose dans les temps modernes : la non-valeur absolue, mais en mémé temps la table de nouvelles valeurs.


La métaphysique, anti-vitale sur le pian intellectuel, dès qu'elle posa des valeurs, fut soumise au devenir du vivant. Nietzsche et Heidegger comprennent ainsi ce processus de retournement dialectique: la métaphysique, bien que ses valeurs aient dévalorisé la Volonté de puissance et la vie, en constituait à sa insu une manifestation. Elle devait alors déboucher concrètement sur ce qu'elle refusait intellectuellement. La Volonté de puissance, comme nouvelle institution de valeurs, doit être comprise à la fois comme produit et comme inversion absolue de la métaphysique. Heidegger précise: “Le devenir, c'est, pour Nietzsche, la Volonté de puissance (...) qui est le trait fondamental de la vie (...) Le vivant se concentre en diverses formes, à chaque fois durables, de la Volonté de puissance”. Par suite, ces concentrations sont des “centrales de domination (...) La Volonté de puissance se dévoile comme ce qui pose des points de vue (...) Les valeurs sont les conditions de la Volonté de puissance, posées par la Volonté de puissance elle-même (...) La Volonté de puissance, en tant que principe reconnu est donc voulu, devient en même temps le principe d'une nouvelle institution de valeurs”. C'est la Volonté de puissance voulue, comme telle, conscience d'elle-même, qui constitue le nouveau fondement d'un mouvement historique de valorisation. Dans la mesure où cette Volonté de puissance coïncide avec le trait fondamental de la vie - le devenir risqué et changeant -, elle constitue pour la métaphysique un repoussoir intellectuel et correspond, dans la perspective christiano-humaniste, au néant. Cependant, cette même métaphysique, par sa recherche de valeurs essentialistes - indépassables et immuables - a charrié sans le vouloir la Volonté de Puissance, préparant inexorablement, selon ce processus du devenir vital qu'elle prétendait nier mais auquel elle se conformait, son destin, c'est-à-dire sa mort. La Volonté de puissance, ajouterons-nous, avant d'être voulue (condition pour de nouvelles tables de valeur), doit accéder à l'auto conscience. Or, nous le verrons plus loin, il ne suffit pas que la Volonté de puissance soit consciente pour qu'elle soit voulue. Depuis Heidegger, certains ont accédé à cette prise de conscience, mais ont reculé devant le stade du vouloir. Le chrétien, l'humaniste sincère, le socialiste moral, qui n'en sont qu'au “nihilisme incomplet”, n'ont pas atteint le niveau de conscience “historial” où ils reconnaîtraient la présence, en eux, comme dans les temps modernes sous une autre forme, de la Volonté de puissance.


Ainsi les anciennes valeurs manifestaient une Volonté de puissance inconsciente, qui les avait fondées, puis menées au nihilisme. Les “nouvelles institutions” de valeur seront radicalement autres, puisque, cette fois, elles procéderont d'une Volonté de puissance voulue et consciente. Cette nouvelle typologie de valeurs mènera-t-elle aussi à un nouveau nihilisme? C’est probable, et c'est ce qui fait la grandeur de l'Eternel retour de l'identique. Nietzsche et Heidegger, fidèles à la vue héraclitéenne du monde, ne prétendent pas se soustraire définitivement au nihilisme. Le devenir est perpétuel: après le nouveau “matin”, la conscience historiale trouvera le destin d'un autre “soir”, puis d'une nouvelle “nuit”. Mais nous ne pouvons en imaginer les modalités. Perpétuel est le processus de retournement dialectique (Umkehrung) des valeurs, non pas selon l'inapparente et peu paradoxale linéarité d'un cercle, mais à la manière inquiétante d'une spirale. (“Inquiétante”, car nous ne savons pas si la spirale est ascendante ou plongeante) (15).


Inquiétant aussi est le fondement voulu des nouvelles valeurs: la Volonté de puissance. Comme la Vie, elle s'ordonne constamment vers plus de puissance. Rien ne limite sa tension vers l'auto-croissance. Comme Oedipe, elle ira jusqu'au bout du destin. “Elle est ordre, écrit Heidegger, et, en tant qu'ordre, se donne le plein pouvoir pour dépasser dans la puissance tout niveau de puissance atteint (...) La Volonté de puissance est l'essence de la puissance (...) et l'essence de la Volonté de puissance est, en tant qu'essence de la volonté, le trait fondamental de l'ensemble du réel (...) La Volonté de puissance n'a pas sa fondement dans la sensation d'un manque: elle est elle-même le fondement de la vie la plus riche”.


La question qui se pose aux temps modernes, dès qu'une telle volonté est “historiquement” reconnue somme telle, est de savoir elle réside. Où trouver cette Volonté de puissance qui marquera l'achèvement de la métaphysique, fondera une typologie de valeurs absolument contraire à celles de I'humanisme contemporain et sera, à ce titre, porteuse de sens? La réponse est simple. Ce sera là où réside le plus haut nihilisme, où la valorisation intellectuelle et métaphysique du monde a été poussée jusqu'à son terme, non seulement jusqu'a le nommer, mais jusqu'a se donner la possibilité de le détruire et de le métamorphoser matériellement: dans le règne scientifique de la puissance technique.


III. A LA RECHERCHE DE L'ESSENCE DE LA TECHNIQUE


Il ne faut donc plus chercher Dieu, ni substituer, à cette vaine quête des valeurs dans le suprasensible, une glorification de la raison ou de la morale, Ces chemins qu'emprunte l'humanisme ne nous ont mené qu'au nihilisme, et ils ne sauraient conduire plus loin les temps modernes. Notre époque est appelée par Heidegger à abandonner le “chemin des marchands” qui, “raisonnablement”, mène quelque part, c’est-à-dire vers ce que nous pouvons métaphoriquement qualifier de bourg, Le “chemin qui mène quelque part”, qui ne fait que contourner ou traverser, en l'ignorant, l'inquiétante forêt, nous ne savons que trop où il nous conduit: vers l’auberge du bourg où l'on se repose, où l'on dérobe à la vie quelques instants de bonheur, c'est à dire précisément vers le type (anti-)historique bourgeois. Nietzsche nous a dit, au contraire, qu'il fallait emprunter un de ses « chemins qui ne mènent nulle part »  et qui sont aventureux, c'est-à-dire à la fois chargés de sacré et d'advenant - d'avenir -, un de ces Holzwege qui nous conduiront au cœur de la forêt, où nous attend, non pas le repos et le bonheur du bourgeois, mais notre travail. Nietzsche n'a pas indiqué quelle sente emprunter, parmi toutes celles qui sont possible Il a posé la question “Quelle valeur pour de nouvelles valeurs?” C'est-à-dire: quel type d’ « aventure » pour les temps modernes? Mais Nietzsche n'était pas, au stade de la culture européenne où il se trouvait, en état de répondre.


Heidegger, lui, inaugure la réponse. Il indique quelle sente emprunter et s'y engage lui-même. Mais le choc de sa réponse est si fort que peu, pour l'instant, ont su ou ont voulu en dévoiler et en reconnaître la portée.


Nous avons dit que la forêt appelait au travail, celai du bûcheron, dont la figure fascinante traverse l'oeuvre de Heidegger. A quoi renvoie le travail, en ces temps modernes ? Certainement pas à la vision réactionnaire, et donc nihiliste elle aussi, du modèle de l'artisan, mais à la technique moderne. Où trouver une nouvelle table des valeurs, interroge Nietzsche. Dans la technique moderne, répond Heidegger.


Pour comprendre comment la technique peut constituer un élément fondamental de réponse à la question des valeurs, Heidegger nous invite à méditer sur l'essence de la technique (“essence” étant entendue ici dans l'acception de “sens cache”). L'essence de la technique, précise-t-i1, n'a rien de technique. Nous, hommes des temps modernes, sommes “enchaînés” à la technique et, faussement, nous la croyons “neutre”. Alors nous demeurons aveugles face à la nature de notre civilisation technique: “Nous lui sommes livrés de la pire façon”. Nous ne saisissons de la technique moderne que son “aspect instrumental”, nous n'y voyons qu'un “ensemble de moyens réunis pour des fins”. Pour Heidegger, il s'agit là d'une conception vulgaire, “exacte mais non vraie” de la technique. Ce n'est donc pas la civilisation technique en elle-même que déplore Heidegger, mais cette perception que 1'on s'en fait, perception à cause de laquelle la technique nous aliène et nous “échappe”, en se retournant contre nous, en nous mécanisant et en nous réifiant. Il nous appartient donc de nous réapproprier la technique, d'en réinsérer la richesse dans notre monde. Et pour cela, une fois encore, il nous faut “retourner” aux Grecs.


Dans la Grèce antique, écrit Heidegger, téchnè ne désigne pas seulement le “faire” de l'artisan, mais aussi l'art au sens élevé du mot. La téchnè fait partie du pro-duire, de la poiésìs. Une “production technique” n'est pas seulement, alors, un processus instrumental et trivial. La pro-duction est l'acte par lequel le technicien-poète “fait voir au jour” (produire, producere : “faire venir”) un sens. La poiésis technique, que ce soit celle du savetier ou du sculpteur, se trouve en conformité avec la nature, avec la physis, qui, elle aussi, est une “production”. “La fleur, dit Heidegger, s'ouvre dans la floraison”. “Produire” signifies donc bien “faire venir” (veranlassen), “faire avancer du non-présent dans la présence” (hervorbringen). De son côté, la poiésis est marquée par la physis, en ce sens qu'en grec ancien, physein signifie aussi “se rendre présent”. La production technique doit donc aussi être interprétée comme l'art de cueillir, dans la matière, un non-sens pour le faire advenir en tant que sens: pro-duire, c'est recueillir, et aussi se recueillir. Enfin, pro-duire (her-vorbringen), revient à accomplir un acte qui présente (bringt vor) un “état caché” du monde et le dévoile. La production technique des Grecs doit donc s'entendre finalement comme dévoilement. “Les Grecs, écrit Heidegger, ont pour dévoilement le nom d'aléthéia, que les Romains ont traduit par veritas (...) Nous demandions ce qu'est la technique et sommes maintenant arrivés devant l'aléthéia, devant le dévoilement. En quoi l'essence de la technique a-t-elle affaire avec le dévoilement? Réponse: en tout. Car tout “produire” se fonde dans le dévoilement (...) Ainsi, la technique n'est pas seulement un moyen, elle est un mode de dévoilement, c'est-à-dire de la vérité” (Wahrheit).


Arrêtons-nous un instant. Heidegger nous invite à comprendre que les mots traduisent une vue du monde. Pour les anciens Grecs, le mot veritas, au sens universaliste de “certitude” que nous entendons aujourd'hui, était inconcevable. Le vrai, c'était, dans une perspective déjà “nominaliste”, le dévoilement par l’homme. L'aléthéia désigne ce qui est “tiré de l'oubli”. (Souvenons-nous du Léthé, le fleuve Oubli). Heidegger écrit: “La téchnè est un mode de l'alétheuein. Il ajoute cette proposition fondamentale: “Elle dévoile ce qui ne se produit pas soi-même”. Qu'est-ce que cela veut dire? Alétheuein, verbe qui caractérise l'activité technique, signifie à la fois “faire apparaître comme vérité”, “être vrai” et “faire advenir au jour par dévoilement”. La technique est donc ici pensée comme vérité du-monde. Pour les Grecs, le monde n'est pas “vrai” hors de l'activité productrice. La “vérité du monde” ne réside pas dans son “essence”, mais dans l'acte pro-ductif de la technique qui crée et dévoile un sens. Nous saisissons alors ce que Heidegger entend par: “La technique dévoile ce qui ne se pro-duit pas soi-même”. De lui-même, le monde ne pro-duit, ne dévoile, ne révèle aucune valeur. Une telle vue du monde s'oppose radicalement à celle qui prévaudra plus tard et qui, à la suite de la métaphysique, mettra la valeur, le sens, la vérité, dans le monde en soi. L'activité technique sera alors dépouillée de sa connotation créatrice et poétique. Elle sombrera dans la pure instrumenta lité, et le mot “technique” ne sera plus synonyme d'art. La vérité, en passant de l'“art technique”, conçu par les Grecs comme dévoilement volontaire du monde, dont de sens, au “monde en soi” de la métaphysique occidentale, contribuera à la dévalorisation du réel - de l'étant - au profit du suprasensible, et à la vulgarisation du travail technique sur lequel pèsera la chappe de la mauvaise conscience.


Chez les Grecs, l'acte humain de production technique était seul porteur de vérité: il était seul “porteur de lumière” (lucem ferre). La technique était religieuse dans le paganisme grec: 1'àme et la spiritualité ne résidaient pas dans l'intellectualisme métaphysique, mais, plus fortement, au cœur du monde, dans le marbre « charnel » des temples ou dans l'évocation “érotique” de la statuaire. C'est que la technique était pensée, nous l'avons dit, comme profondément reliée à la nature, à la physis, source religieuse de tonte vie. L'acte technique était vécu comme une transposition du devenir-de-la-nature. Aujourd'hui encore, la floraison, les saisons, nous montrent qu'il n'y a pas d’ « être » naturel, mais un dévoilement et une production de formes (16). La technique est à la fois continuation de la nature et combat contre elle: d'où son caractère religieux. Elle s'envisage comme un mode de la nature et une meta-nature. La physis dévoile une forme, la poiésis de la technique dévoile de surcroît un sens. Le degré de “vérité”, par la technique, s'accroît. Il est frappant de constater à quel point cette conception du monde s’apparente à ce que nous enseigne la physique moderne sur 1'inanité de tonte “vérité du cosmos” ou sur l'illusion de pouvoir percer le secret d'une “essence du réel”, ce dernier n'étant lisible qu'en fonction de points-de-vue, de niveaux d'interprétations de projets techniques différents (17).


Heidegger nous insiste donc à tirer de l'oubli cette conception de la technique et à en revenir aux sources grecques, afin de comprendre à nouveau la vérité comme un acte de dévoilement du monde, de “désabritement (Entbergen) risqué”. Que les temps modernes se réinspirent de cette conception à la fois nominaliste et religieuse de la technique, et celle-ci pourra redevenir ce qu'elle fut à l'origine: poésie. Or, l'humanisme occidental, même à travers le rationalisme “scientiste”, aujourd'hui révolu, n'a évidemment jamais pensé de la sorte la technique. Dans le scientisme, cette dernière n'est perçue que comme un instrument du “progrès”, lequel s'apparente à la recherche humanitaire du bonheur - et notre époque se réfère toujours, plus ou moins consciemment, à certe conception dévalorisante de la nature, et donc de la technique. La nature comme réel (l'étant) est rejetée au profit d'un “monde” conçu comme loi, comme principe - métaphysique ou moral - trouvant la réalité de son essence indépendamment de la vie et de 1'action humaine. “L'Ancien Testament, qui rejette tonte philosophie, ne connaît pas la “nature”, remarque Daniel Bell (...) La religion biblique est basée sur la révélation, non sur la nature, et la morale sur la Halakha, c'est-à-dire sur la Loi” (18). Toute la conception “occidentale” de la technique, fondée sur cette lecture de la Bible, concevra à sa suite l'activité technique comme profane. On “subira” la technique; le travail technique sera conçu comme une souffrance, une obligation pénible (mais aussi rédemptrice), tandis que, dans la pensée grecque, ajoute Daniel Bell, “la nature (physis) est antérieure à la loi formelle (nomos). La nature est cachée et il faut la découvrir ; la loi doit prendre la nature pour guide”.

Découvrir” la nature, la “dévoiler”, telle nous apparaît donc la mission de la technique. Mais “dévoiler” la nature, faire sortir de l'abri sa “vérité”, qu'est-ce que cela peut signifier, puisqu’aucune lui suprême, aucune vérité, aucun “bonheur” ne peuvent être mécaniquement découverts? La technique, en produisant à partir de la nature, va-t-elle en extraire quelque chose ? Quel sens la volonté technique va-t-elle créer et faine surgir? A ces questions, la notion de force va permettre de répondre.


Nous devons alors quitter les Grecs, et abandonner le domaine de la technè, pour entrer dans celui, beaucoup plus inquiétant, de la technique moderne, celle que Jünger avait appelé la technique planétaire. En effet, l'essence de la technique ne réside pas tout entière dans la «poiésis de la production dévoilant». Elle comporte les qualité de la téchnè, mais elle cache en elle bien plus encore. Et alors que les Grecs, dont la technique était quantitativement moindre que la nôtre, savaient la vivre, nous, hommes des temps modernes, qui détenons cette «technique motorisée», nous la profanons, nous la subissons comme un poids, nous passons à côté de sa richesse et de son mystère.

«C'est elle, précisément, la technique moderne, et elle seule, écrit Heidegger, qui est l'élément inquiétant qui nous pousse à demander ce qu'est la technique. On dit que la technique moderne est différente de toutes celles d'autrefois, parce qu'elle est fondée sur la science moderne, exacte, de la nature». Or, ajoute-t-il, «qu'est-ce que la technique moderne? Elle aussi est un dévoilement. Le dévoilement, cependant, qui régit la technique moderne ne se déploie pas en une pro-duction au sens de la poiésis. Le dévoilement qui régit la technique moderne est une pro-vocation (Heraus-fordern) par laquelle la nature est mise en mesure de livrer une énergie qui puisse, comme telle, être extraite (heraus-gefördert) et accumulée». Heidegger énonce ainsi l'idée d'un passage «historique» de la domestication de la «matière vivante» à la «matière-énergie». Le moulin à vent, l'éleveur ou l'agriculteur confient, par la technique, une production aux forces croissantes de la nature. Ils ne la pro-voquent pas, ne s'approprient pas son énergie. La technique moderne, au contraire, prend la nature dans «le mouvement aspirant d'un mode de culture (Bestellen) différent, qui requiert (stellt) la nature (…) Le «requérir» qui provoque les énergies naturelles est un avancement (ein Fördern). La technique moderne imprime à la nature un mouvement, dans lequel se lit le projet d'une volonté: l'énergie, dispersée à l'état naturel, est extraite, puis stockée, puis encore enfermée, pour se voir commise». Ainsi, la centrale électrique mise en place sur le Rhin. Ce dernier somme de livrer sa pression hydraulique, qui, à son tour, somme les turbines de tourner. «Le fleuve Rhin apparaît, lui aussi, comme quelque chose de commis. La centrale n'est pas construite dans le courant du Rhin comme le vieux pont de bois qui depuis des siècles unit une rive à l'autre. C'est bien plutôt le fleuve qui est muré dans la centrale d'énergie. Ce qu'il est aujourd'hui comme fleuve, il l'est de par l'essence de la centrale».


Afin de voir et de mesurer, ne fût-ce que de loin, l'élément qui domine ici, arrêtons-nous un instant sur l'opposition qui apparaît entre ces deux intitulés: «le Rhin mûré dans l'usine d'énergie» et «le Rhin», titre d'un hymne de Hölderlin. Heidegger signifie clairement ici que la technique moderne, parce qu'elle commet - plus que «domestique» - l'énergie naturelle, acquiert la prévalence sur la nature. Il s'agit là d'un événement d'une portée considérable, d'une rupture «historiale» (Zeit-Umbruch) que notre époque n'a pas encore comprise et admise. La force énergétique de la nature devient en effet de la volonté humaine. Inversement, la nature est transformée en technique. Le Rhin, comme l'électron, se confond avec la machine qui le commet. La technique ne «domestique» pas la matière-énergie naturelle, mais, bien plus, elle la fait advenir et se l'approprie jusqu’a se confondre avec elle. L'instrument mécanique se confond avec son objet «naturel». Dans la bombe atomique, ce qui, comme un soleil artificiel, explose, ce n'est pas l'uranium 235, mais bien l'hybride uranium-machine, cette machine qui finit par devenir l'énergie naturelle elle-même. Nous dirons alors que la technique moderne est devenue l'essence de la nature. Pour la première fois dans I'histoire, la poiésis (au sens d'action) s'est faite physis. La nature est rendue par la technique. Mais elle n'est pas rendue «transparente», car elle nous demeure toujours aussi obscurément mystérieuse. Elle n'est pas non plus «vaincue», comme le croit un scientisme vulgaire, car sa force est inépuisable. Elle est rendue plus présente. La présence de la nature «se rapproche» de nous et, avec elle, sa connotation sacrée. Paradoxe de la technique moderne: semblant nous «couper» de la nature, elle nous en rapproche, car elle nous rapproche de son énergie. En grec ancien, energeia voulait d'ailleurs dire «présence». L'énergie cachée dans la nature est «libérée, transformée, accumulée, répartie et commuée». La technique analysée comme un dévoilement qui provoque, est placée sous le signe de la «direction» et de l'assurance.


Mais ce «dévoilement de l'énergie», quelle est son essence? Que va receler, en son abîme, cette pro-vocation accomplie par la technique? Ce qui va apparaître, ce qui va sourdre, sous des déguisements divers, au cœur de cette «requête assurée» du monde naturel à laquelle se livre la technique moderne, n'est-ce pas ce qui, depuis des siècles, attendait d'apparaître, ce qui, à travers la métaphysique, s'était manifesté de manière refoulée et codée, ce que les Grecs eux-mêmes n'avaient pas su faire ad-venir à la présence, pour cause de limitation matérielle de leur propre téchnè? N'est-ce pas ce que Nietzsche avait découvert, exhumé de I'obscurité des siècles chrétiens, ce qu'il avait décelé dans la tragédie sous la forme mythique de Dionysos gouverné par Apollon, et qui, maintenant, pour la première fois dans 1'«ordre du temps» (tou chronou taxis), surgit physiquement et non plus symboliquement? N'est-ce pas la Volonté de puissance ?

Nous devons, dès à présent, nous demander comment la pensée de Heidegger en est arrivée à reconnaître, au cœur de la technique moderne, la Volonté de puissance. Répondre à cette question revient en effet à montrer ce qu'il ne faut pas entendre par «Volonté de puissance», à savoir une domination brutale ou une volonté d'asservissement. La technique, dit Heidegger, stabilise le monde qu'elle commet. Elle le place dans la position stable d'un fond (Bestand), d'un objet qui se tient «comme au garde à vous» face à l'ordre technique (Gegenstand). Hegel, en son temps, voyait dans la machine un «instrument indépendant», à l'instar d'un instrument artisanal. Heidegger, parlant de l'avion, en constate au contraire 1'«absolue dépendance» l'avion «tient son être uniquement d'une commission donne à du commissible». La nature se conçoit comme pourvoyeuse de capital. Ce qui signifie que, pour «donner du sens« et conférer de la valeur à la nature, voire du sacré, nous devons le faire selon des types de valeur radicalement nouveaux. Or, la nature a été désacralisée. Notre époque n'a pas su inventer une nouvelle forme de sacré, accordée à l'essence de la technique. La technique n'a pourtant rien d'une substance autonome. «Qui accomplit, demande Heidegger, l'interpellation pro-vocante, par laquelle ce qu'on appelle le réel est dévoilé somme fond? L'homme, manifestement». Mais l'homme, lui aussi, est objet de pro-vocation: «Ne fait-il pas aussi partie du fond, et d'une manière plus originelle que la nature ? La façon dont on parle couramment de «matériel humain» le laisserait penser (...) Le garde forestier est commis par l'industrie du bois. Il est commis à faire que la cellulose puisse être commise et celle-ci, de son côté, est provoquée par les demandes de papier pour les journaux et les magazines illustrés. Ceux-ci, à leur tour, interpellent l'opinion publique pour qu'elle absorbe les choses imprimées, afin qu'elle-même puisse être commise à une formation d'opinion dont on a reçu la commande. Mais justement, parce que l'homme est pro-voqué d'une façon plus originelle que les énergies naturelles, à savoir au commettre, il ne devient jamais pur fond».


L'homme est donc à la fois fond et non-fond. Comment cela est-il possible ? L'homme, à l'ère technique, serait-il coupé en deux, en même temps sujet et objet de la technique ? Mais s'agit-il du même homme? Rapprochons la dernière phrase citée de Heidegger de 1'énoneé suivant: «Le dévoilement (du réel parla technique) n'est pas le simple fait de l'homme (...) mais d'une parole à lui adressée, et cela d'une façon si décidée qu'il ne peut jamais être homme, si ce n’est comme celui auquel cette parole s'adresse (...) Il ne fait que répondre à un appel». Nous commençons alors d'entrevoir quelque chose d'« inhumain» pour l'opinion courante. Heidegger scinde l'humain en deux: en tant qu'objet d'un appel, d'une commission, 1'humain est un fond pour la technique. Mais il est aussi celai qui formule cet appel. La phrase «il ne peut jamais être homme si ce n'est comme celui auquel cette parole s'adresse» signifie: le propre de l'humain est d'obéir, et plus aujourd'hui qu'avant. Mais quelle est cette commission, cette parole, à laquelle il faut obéir? C'est le Surhumain, Et c'est ainsi qu'il faut lire la phrase de Heidegger : «La technique moderne, en tant que dévoilement qui commet, n'est pas un acte purement humain». L'humain, par la technique moderne, s'appelle lui-même à se dépasser, et se commet lui-même comme fond à commettre le réel. L'appel vient de sa nature, et c'est ce qui confère à la civilisation technique son ambivalence, son risque. Notre époque, dit Heidegger, rend l'homme esclave de lui-même par l'intermediaire de la technique et inaugure deux nouvelles classes d'hommes : les «commis », assimilés à un fond, et les personnalités commettantes. Dès lors, soit l'on «refuse» cet état de fait, et l'on régresse dans l'infra-humain; soit l'on se refuse simplement à l’admettre - attitude humaniste -, et la civilisation technique est réellement vécue comme esclavage, comme soumission à la «dictature de l'an-organique», soit encore, troisième voie, on l'accepte au prix d'un changement auto-conscient de l'humain et des valeur «humaines«, et à cette condition, la civilisation technique ne doit pas plus représenter un «esclavage» pour l'homme moderne que, dans le passé, la révolution néolithique n'en a impliqué un pour les peuples européens.


Bien entendu, c'est cette troisième hypothèse qui, nous le verrons, peut se déduire de la pensée de Heidegger. Mais avant d'aborder cette question, il nous faut chercher à percer la nature de ce que nous voyons surgir dans et par la technique moderne : cette «pro-vocation qui met l'homme en demeure de commettre le réel comme fond». Quelle est la nature de cette pro-vocation? Heidegger répond : «Cet appel provocant qui rassemble l'homme autour de la tâche de commettre somme fond ce qui se dévoile, nous l’appelons I'arraisonnement (Gestel)». Et c'est dans ce mot que réside l'essence de la technique moderne.


«L'arraisonnement, expose Heidegger, n'est rien de technique, il n'a rien d'une machine. Il est le mode suivant lequel le réel se dévoile comme fond». il n'est pas assimilable à un acte humain ni à un acte situé hors de l'humain. Sa place est du côté du Surhumain, c'est à dire d'un nouveau mode «historial» d'être-au-monde, accompli grâce à la technique moderne et dont les hommes de ce temps n'ont pas encore pris conscience. Cette «inconscience» est d'ailleurs la cause du malaise de la civilisation technique, qui ne pense l'humain, dans l'humanisme, qu'au travers des modalités d'être-au-monde de l'époque pré technique.


Avec l'arraisonnement, le Dasein change de nature. Pour comprendre le processus de l'arraisonnement, on doit observer que, dans le mot Gestell, on trouve l'idée de rassemblement: la volonté rassemble le fond humain et naturel des commis. Mais si le radical Ge indique cette idée de rassemblement, inspirée du terme jüngerien de Mobilmachung, Heidegger va plus loin que Jünger. L'arraisonnement par la technique est plus qu'une «mobilisation». Le verbe stellen nous indique l'idée d'arrêter quelqu'un ou quelque chose pour lui demander des comptes, pour lui faire rendre raison, pour l'obliger à rationem reddere. D'où, en français, le recours au terme d'«arraisonnement», grâce auquel on comprend parfaitement que la volonté technique prend d'assaut (aspect à la fois guerrier et dionysiaque) et metà la raison le réel (aspect apollinien). Jean Beaufret écrit d'ailleurs: «La technique arraisonne la nature, elle l'arrête et l'inspecte, et elle l'arraisonne, c'est-à-dire la met à la raison (...) Elle exige de tonte chose qu'elle rende raison. Au caractère impérieux et conquérant de la technique s'opposeront la modicité et la docilité de la «chose»...» Cet imperium surhumain, lisible dans l'arraisonnement, nous rapproche de la valeur qu'il recèle: la Volonté de puissance en acte. Aussi, previent Heidegger, la conception purement instrumentale, purement anthropologique de la technique devient-elle caduque dans son principe. La technique est en effet et bien devenue le lieu d'un appel: elle est ce «mode» par lequel et dans lequel l'humain est appelé, pro-voqué, commis par sa nature à devenir surhumain, c'est-à-dire à commettre à son tour, à «appeler» la nature et à se pro-voquer lui-même, ou plutôt à pro-voquer cette part de lui-même qui en est restée au niveau de l'humain.


Nous devons alors découvrir ce que recèle «l’appel pro-vocant» et où il va entraîner l'humain. Bien que la technique moderne doive utiliser la science exacte de la nature, elle n'a rien de commun avec «de la science naturelle appliquée», écrit Heidegger. Ce ne sont pas ici les lois de la nature qui sont utilisées, mais bien les lois des machines et des instruments. «Le réel, partout, devient fond, ajoute Heidegger (...) L'essence de la technique met l'homme sur le chemin du dévoilement (...) Mettre sur le chemin se dit, dans notre langue, «envoyer». Cet envoi (schicken) qui rassemble et qui, seul, peut mettre I'homme sur le chemin du dévoilement, nous le nommons destin (Geschiek). C'est à partir de lui que la substance en devenir (Wesen) de toute histoire se détermine».

Ainsi, l'essence de la technique, qui, répétons-le, n'a rien de technique par elle-même, non seulement n'apparaît pas forcément au moment «épochal» de la civilisation technique moderne, mais provient de racines historiques antérieures. L'essence de la technique est un devenir «historial», un destin, un devenir au monde collectif, et non pas seulement une réalité sociologique contemporaine et synchronique. Pour Heidegger, la poiesis de la production technique des Anciens constituait aussi un destin. C'est donc toute l'histoire des mentalités inconscientes et de l'être-au-monde d'une civilisation qui se trouve charriée par I'arraisonnement de la technique. Celui-ci était déjà en oeuvre avant «l'électrotechnique et la technique de I'atome», dans cet esprit de recherche décelable en Europe dès les mathématiciens grecs. Il n'adviendra cependant au dévoilement, à la prise de conscience qu'après 1'époque de la jeunesse de la civilisation moderne.


L'arraisonnement traduit alors une vue du monde en rupture complète avec la métaphysique. Le monde objectif n'existe pas. La nature n'est pas considérée dans sa nature  mais seule compte, pour I'homme de la technique européenne, I'extraction d'une énergie qu'il transforme en puissance humaine. Contrairement à ce qui se dit couramment, la science est au service de la technique, et cette dernière constitue un destin historique, dont I'objet n'est pas la connaissance mais l'action. Par l'essence de la technique, se manifeste un trait «historial» de la civilisation européenne : dominer est plus important que connaître.


Heidegger ne succombe toutefois à aucun déterminisme historique. Le «destin» peut à tout moment se refuser. Nous ne lui sommes pas enchaînés. Heidegger promise: «Ce n'est jamais la fatalité d'une contrainte. Car l'homme, justement, ne devient libre que pour autant qu'il est inclus dans le domaine du destin et qu'ainsi, il devient un homme qui écoute, non un serf que l'on commande (ein H6render nidi/ aberein Hóriger) (...) L'arraisonnement nous apparaît dans un destin de dévoilement (...) Il est un élément libre du destin qui ne nous enferme aucunement dans une moindre contrainte, qui nous forcerait à nous jeter tête baissée dans la technique ou, ce qui reviendrait au mente, à nous révolter inutilement contre elle et à la condamner comme oeuvre diabolique».


Que l'on accepte - et c'est ce que propose Heidegger - ou que l'un refuse la technique, il faudra le faire consciemment, après avoir perçu son essence d'arraisonnement du monde et après l'avoir envisagée comme destin. Le refus ou l'acceptation seront alors des actes historiques accomplis par une conscience ««historiale» en situation (geschichtliches Dasein), une sur-conscience. Mais les adversaires primaires de la technique, tout somme ceux qui s'y précipitent tête baissée, sont incapables de parvenir à une telle conscience historique. Ils en sont incapables parce qu'ils ne sont pas libres. La «liberté», pour Heidegger, n'est «ni la licence ni l'arbitraire», ni «la soumission à de simples lois», mais «le domaine du destin», c'est-à-dire un choix volontaire éclairé par la perception du destin.

Perçue comme destin de dévoilement du monde, la technique devient un danger voulu et désiré comme tel : «La puissance de la technique fait partie du destin. Placé entre ces deux possibilités (accepter ou refuser le danger), l'homme est exposé à une menace partant du destin». Déjà, quand le Dieu des chrétiens avait été «dévoilé» par ceux qui le nommaient comme causa efficients du monde, il avait perdu son mystère et était devenu le Dieu des philosophes. Dès lors, le nihiliste commençait. Le dévoilement de la nature par l'arraisonnement semble autrement plus considérable pour la bonne raison que la nature, elle, est notre milieu, et que nous ne doutons pas d'elle comme des dieux.


«Le danger, poursuit Heidegger, se montre à nous de deux côtés différents (...) L'homme suit son chemin à l'extrême bord du précipice, il va vers le point où lui-même ne doit plus être pris que comme fond (...) Tout ce que l'un rencontre ne subsiste qu'en tant qu'il est le fait de l'homme (...) Il nous semble que partout l'homme ne se rencontre plus lui-même». Heidegger, qui s'inspire ici des vues de Werner Heisenberg, veut dire que «si l'homme ne rencontre plus rien à travers l'arraisonnement du monde, c'est qu'il ne se rencontre plus lui-même en vérité nulle part, c'est-à-dire qu'il ne rencontre plus nulle part son être-devenir (Wesen)». Quant au second danger, il tient au fait que l'arraisonnement, en nous plongeant dans l'immédiateté de la puissance mécanisée, risque, non seulement d'occulter le pro-duire (mode précédent de dévoilement du monde), mais aussi de s'occulter lui-même comme destin. La technique risque en effet de nous cacher ce que nous sommes et ce qu'elle est, de nous voiler qu'elle se donne comme destin et que nous pouvons exister en tant qu’êtres doués de destin.


Autrement dit, la technique moderne, dont l'essence est l'arraisonnement qui pro-voque le monde avec une puissance inouïe, peut nous faire perdre, dans ce tourbillon même, dans set «envoi» (schicken) par lequel nous sommes jetés sur la terre, la conscience de notre destin (Geschick). «L'homme se conforme d'une façon si décidée a la pro-vocation de l'arraisonnement qu'il ne perçoit pas celai ci comme un appel exigeant, qu'il ne se voit pas lui-même comme celui auquel cet appel s'adresse». La contrepartie de ce risque, impliqué par la liberté humaine, est que l'homme peut aussi prendre conscience de l'arraisonnement et l'assumer: «Il faut que ce soit justement l'essence de la technique qui abrite en elle la croissance de ce qui sauve».


L'arraisonnement, en effet, constitue à la fois 1'«extrême péril» et 1'«acte qui accorde». Heidegger, dans La question de la technique, précise: «L'arraisonnement pousse l'homme vers le danger qu'il abandonne son être libre ; (mais) e'est précisément dans cet extrême danger que se manifeste l'appartenance la plus intime, indestructible, de 1'homme à «ce qui accorde..» Il ajoute: «Contrairement à tonte attente, l'être de la technique recèle en lui la possibilité que ce qui sauve se lève à notre horizon (...) Aussi longtemps que nous nous represénterons la technique comme instrument, nous resterons pris dans la volonté de la maîtriser». Cet accord dont parte Heidegger, opposé diamétralement au «discord» qui sépare l'existence de la conscience, la pensée de la vie, les valeurs nommées des valeurs vécues, sera trouvé lorsque nous ne considérerons plus la technique comme une instrumentalité rationnelle, lorsque nous ne chercherons plus à la «dominer» au sens où le potier des temps anciens dominait son tour. Ce qu'il faut, c'est nous «donner» à la technique, en tant qu'elle s'avère porteuse de notre propre Volonté de puissance. C'est au sein même du dévoilement que la technique moderne opère sur le monde, qu'elle fondera sa propre justification éthique, qu'elle se posera comme vérité - au sens grec d'aléthéia.

La technique pourrait alors retrouver, selon un sens diffèrent de celui que lui donnaient les Grecs, la force de mobilisation de ce que l'on nomine improprement un art. En Grèce, on le sait, la technique était un dévoilement pro-ducteur. Aujourd'hui, pour reprendre un sens, elle doit devenir un dévoilement pro-vocant. Entre les deux, la matérialité de l'arraisonnement est apparie, mais le dévoilement, lui, reste identique. L'homme, en soulevant le voile du monde, retrouve, par ce geste que ne guide aucun pragmatisme, du sens. Le dévoilement nous jette, loin de la quotidienneté insipide et programmée della «technique confortable», vers l'aventure. Cette «aventure», nous n'en prendrons toute la mesure que lorsque nous aurons bien saisi, pour nous en stimuler ou nous en effrayer, en quelle époque nous vivons. Cette aventure sera celle des temps modernes, que la conscience occidentale n'a pas encore intégrés et qui n'en sont qu'à leur aurore, qu'à l'orée de leurs possibles.


IV. L'AURORE DES TEMPS MODERNES


Heidegger tient un double discours sur la métaphysique et la technique. C'est ce qui rend sa lecture difficile. La métaphysique apparaît d'abord comme étant l'histoire occidentale elle-même, atteinte à ce titre par la mors dont parlait Nietzsche, ce qui nous incite à penser que nous vivons une fin de l'histoire. Mais la métaphysique se présente aussi sous l'aspect d'un fleuve qui viendrait mourir dans l'océan de la technique moderne, et dont ce dernier procèderait. Quant à la technique, elle est pensée comme apogée de ce nihilisme que lui aurait légué la métaphysique mourante, mais aussi comme rupture radicale avec elle, et comme l'aube d'un «salut». Comment débrouiller cet écheveau?

Pour Heidegger, la métaphysique ne se confond pas avec l’œuvre de ce que l'on a coutume de norme les «métaphysiciens». La métaphysique englobe cette vue-du-monde, exprimée par l'ensemble des philosophes, qui pénétra les sociétés occidentale depuis Platon et les débuts du christianisme et selon laquelle le monde réel de la vie se doublerait d'un univers supérieur des essences qu'il serait donné à l'homme de pouvoir connaître. Cette vue-du-monde comporte un double destin, contradictoire: d'une part elle fut marquée, dès le départ, du sceau du nihilisme, c'est-à-dire de la dévalorisation de ses propres valeurs; mais ce nihilisme ne vint au jour que lentement. D'autre part, la vue-du-monde métaphysique fut porteuse, sans le savoir, de la Volonté de puissance: penser le monde sous le rapport de l'universalisme des essences, c'était manifester une prodigieuse volonté de l'arraisonner et de le dominer; toutefois, cette volonté ne parvenait au clair entendement que dans la mesure où l'homme ne s'avouait pas comme 1'élément dominateur et conférait cette qualité à Dieu ou à un tout autre que lui.


Avec 1'arrivée de la technique moderne, un «passage de relais» s'effectue. La technique moderne recueille l'héritage - déjà contradictoire - de la Volonté de puissance et du nihilisme. Elle marque en ce sens une rupture, puisque le nihilisme éprouve la technique de manière matérialiste, qu'il est vécu comme une détresse consciente, alors que la civilisation de l’âge métaphysique ne prenait pas consciente de la montée sourde de ce nihilisme, dont le processus était philosophique. En d'autres termes, la technique a hérité de la métaphysique, car la Volonté de puissance, dont cette dernière était grosse, a été l'élément provocateur de la science et de la technique moderne. Mais cette Volonté de puissance qui, par la technique, est passée du stade psychique au stade matériel, n'est toujours pas complètement consciente d'elle-même. Ou plutôt, elle commence seulement à le devenir, et c'est pourquoi nous vivons une époque de crise.


heidegger_index.jpgNotre époque est celle de I'apogée du nihilisme, ce que Heidegger, empruntant à Hölderlin, nomme «la minuit du monde». Ce nihilisme provient d'abord de la déchéance de la métaphysique, commencée des Platon et qui a trouvé son achèvement dans la morale humaniste, le christianisme laic et d'autres avatars; c'est que Heidegger appelle l'athéisme. Ce nihilisme qui aboutit à la dévalorisation du monde et qui se confond avec I'époque du «dernier homme» annoncée par Zarathoustra, est, d'autre part, renforcé par le fait que la technique moderne a, elle aussi, hérité du nihilisme de la vue-du-monde métaphysique.

C'est là où la lecture de Heidegger devient extrêmement complexe. Ce dernier exprime, par allégorie, l'idée suivante : la technique est la continuation de la métaphysique, car elle vise à satisfaire la même pulsion, la Volonté de puissance. Or, puisque le nihilisme vécu du monde technique est le successeur du nihilisme philosophique de la vue-du-monde métaphysique, c'est bien la Volonté de puissance elle-même, philosophique, puis matérialisée, qui est «responsable» de ce nihilisme. Comment, alors, cette Volonté de puissance peut-elle constituer un élément salvateur, comment peut-elle. après avoir porté le nihilisme, le combattre, dans un nouveau cycle «historial»? Heidegger répond: en devenant autoconsciente. La Volonté de puissance changerait alors de nature; de dévalorisante, elle deviendrait valorisante. C'est pourquoi, il ne faut voir chez Heidegger aucun rationalisme logique, mais une pensée a-logique, conforme à la vie, où l'on n'est jamais acculé à se prononcer contre (la métaphysique, le nihilisme, etc.), mais au-delà: post-nihiliste, post-chrétien etc. Heidegger renoue ainsi avec la pensée du devenir des présocratiques, selon cette parole de Hölderlin qui constitue une clé: «Mais là où est le danger; là aussi croit ce qui sauve». (Cette forme de pensée avait été incomplètement retrouvée par Hegel. Celui-ci, en effet, ne concevait le devenir que comme l'antécédent provisoire d'un arrêt de l'histoire par advenance de la raison à la conscience).


C'est donc bien par l'essence même de la technique, par l'arraisonnement, qui exprime la Volonté de puissance dont l'ascension dans 1'histoíre fut conjointe de celle du nihilisme, que ce dernier pourra se voir dépassé. La venue à la consciente de la Volonté de puissance, qui, seule, serait susceptible d'affirmer d'autres typologies de valeurs, ne peut s'accomplir que dans la civilisation de la fusée et de l'électron. Pourquoi? Parce que la Volonté de puissance trouve dans la technique moderne et planétaire un meilleur support que dans la métaphysique : vécue, éprouvée, elle est «au bord» de la conscience. La manifestation de l'Eternel retour de l'identique apparaît clairement: ce qui, à la fin du «monde grec», avait inauguré le nihilisme, c'est-à-dire le fait de «nommer les valeurs», de désigner l'ètre, le logos, est aussi appelé a devenir, mais sous une autre forme historiale, celle, apollinienne, de la conscience, ce qui inaugurera un autre cycle des valeurs, un «après-nihilisme».


Notre époque se caractérise donc par la séparation, le discord («nous sommes à l'ère de 1'assomption du discorde, avait coutume de dire Heidegger), entre une métaphysique déchue, privée du principe vital de Volonté de puissance, et une technique qui a recueilli cette dernière sans le savoir. La morale et la civilisation sont en contradiction. Les valeurs affirmées par l'ancienne conception du monde commune sont mortes par rapport à la nature profonde de la civilisation technique. Il existe deux moyens de résoudre cette contradiction : le premier, préconisé par Heidegger, est de faire assumer consciemment, par la civilisation technique, cette Volonté de puissance - comme un «orgueil». C'est par un projet «orgueilleux» de monde hyper technicisé et se voulant tel, et non par la régression vers une civilisation non technique, que l'Europe, pour Heidegger, redonnera un sens à son existence «historiale». Une spiritualité immanente prendra alors le relais d'une spiritualité transcendante devenue impossible parce qu'épuisée. Mais un autre chemin est également possible, en notre époque de rupture : celui d'un refus conscíent de la Volonté de puissance. Un certain nombre d'auteurs 1'expriment aujourd'hui fort bien dans le courant de ce qu'il est convenu d'appeler la «nouvelle gauche», notamment à propos du débat sur l'idéologie du travail, lorsque celui-ci est interprété intrinsèquement comme aliénation, alors que le marxisme classique ne posait comme aliénantes que les conditions (capitalistes) du travail. La technique est alors perçue comme le lieu de cette aliénation. On retrouve là une transposition du thème biblique du travail-punition.


On commence donc à percevoir que la technique moderne, même si son projet formulé est le «bonheur», exprime en son essence cette même Volonté de puissance que n'a jamais admise, depuis le mythe de la tour de Babel, la vue-du-monde biblique. C'est pourquoi les héritiers de cette vue-du-monde refusent si souvent la technique. Eux aussi ont vécu l'événement colossal qu'est la prise de consciente de la technique moderne comme réceptacle de la Volonté de puissance; eux aussi y ont vu une contradiction totale avec la conception du monde héritée de l' humanisme occidental et de la métaphysique platonicienne de la «recherche du souverain bien» (agathos). Si le stade de la sur-consciente peut conduire à vouloir la technique, il peut donc aussi amener à la refuser avec angoisse. Naît ainsi un nouveau clivage, issu de conceptions du monde opposées. La guerre des dieux, prédite par Nietzsche, est commencée.


La Volonté de puissance, lorsqu'elle s'exprimait dans la métaphysique, demeurait «innocente». Elle n'avait pas atteint la maturité de l'âge d'homme. Les temps modernes, au contraire, créent la première configuration «historiale» où, dans l'essence de la technique, le vieux rêve helléno-européen de désenchaîner Prométhée devient possible. Les temps modernes inaugurent, entre deux minorités conscientes, une guerre fondamentale: les humanistes universalistes, adeptes d'une opinion «chrétienne avancée» qui n'a plus rien de religieux, s'opposent au surhumanisme tel que Nietzsche I'avait inauguré. C'est la lutte du «vieux monde» contre les temps modernes ; des Occidentaux contre la «nouvelle Grèce de l'Hespérial»; de 1'idée de bonheur, que soutient le principe de raison, contro 1'idée de puissance comme spiritualité immanente. Il s'agit bien de la même guerre qui, sous une autre forme, opposa le monothéisme chrétien aux dieux grecs. Aujourd'hui, le retour d'Apollon s'accomplit sous une forme bien différente de celle des cultes pythiens, des superstitions delphiques ou même des beaux-arts. Apollon est (peut-être) de retour, mais pas sous une forme innocente et rassurante. Il est de retour au sein même de l'inquiétance de la technique moderne. Dans le tonnerre des moteurs, dans la sorcellerie des laboratoires et des cyclotrons, dans l'ascension profanatrice des fusées spatiales, se creuse le tombeau de la Raison.


Cette «déclaration de guerre», nul doute que Heidegger en eut une claire conscience. La fin du texte sur Le mot de Nietzsche «Dieu est Mort » s'achève ainsi: «La pensée ne commencera que lorsque nous aurons appris nette chose tant magnifiée depuis des siècles: la raison est la contradiction la plus acharnée de la pensée». Heidegger apparaît donc bien comme l'authentique fossoyeur (et le successeur) de la métaphysique. A la volonté de puissance noétique (nous, «esprit») de la métaphysique, il oppose le chemin vers une volonté de puissance poiétique. Parvenir à la spiritualisation consciente et organisée, apollinienne, de la volonté de puissance dionysiaque en oeuvre dans la technique, tel est très exactement le sens du chemin qu'il nous indique chemin qui «ne mène nulle part», en ce sens qu'il ne conduit à aucun repos, à aucune fin de l'histoire dans le «bonheur», mais débouche sur un combat en perpétuel devenir. Le. sens de la «civilisation hespériale» redevient grec dans l'acception héraclitéenne: le destin historique voulu comme guerre en éternel inachèvement.


Le combat entre les tenants de cette philosophie de l'existence et les «derniers hommes» de la morale et de la raison, tout aussi conscients Ies uns que les autres, ressemblera, paradoxalement, à un affrontement entre la religiosité et la non-religiosité. Les «hommes du bonheur» ne peuvent en effet que se choisir un destin non religieux: leurs normes humanistes et leurs universaux ont été une fois pour toutes dé spiritualisés. Ils se privent par ailleurs de la seule forme virtuelle de spiritualité moderne la Volonté de puissance en acte dans I'arraisonnement technique. Ils savent, bien qu'ils soient encore peu à le formuler, qu'une «technique sans volonté de puissance» n'est pas envisageable. Déjà, plusieurs tenants de l'Ecole de Francfort, ainsi qu'un Ivan Illich, ont formulé le refus, motivé et conscient, de la technique comme «tentation de puissance». Leurs thèses ne sont pas intellectuellement critiquables : ils font une lecture correcte de Nietzsche et de Heidegger. La «guerre» se passe, en fait, à un niveau beaucoup plus fondamental. Elle oppose des valeurs existentielles. Elle porte sur cette question capitale: comment vivre, et selon quel sens ?


Ainsi, le paysage des temps modernes s'éclaire. Trois types d'humanité coexistent. Viennent d'abord les hommes de la simple conscience, qui vivent encore innocemment la technique sans la percevoir en contradiction avec leur morale, et qui constituent un «fond» pour les deux autres types. Viennent ensuite les «derniers hommes», les humanistes qui ont pris conscience du nihilisme de leur vue-du-monde, mais qui n'entendent pas s'en défaire, car l'«après»» les terrorise. Ceux-là se réfugient dans une sorte de morale du plaisir. Leur «subversion» est paradoxalement placée sous le signe de la douceur bourgeoise. Ils n'ont pas abandonné leur quête de la raison, mais ils savent maintenant que toute raison est incompatible avec la technique, c'est-à-dire que la technique, au-delà de ses aspects superficiels, est porteuse de dé-raison. Dès lors, ils refusent tonte spiritualité qui équivaudrait à une glorification de la puissance, et, poussant le rationalisme jusqu'a son terme, redécouvrent la morale, après avoir constaté le divorce de la technique et de la raison. Enfin, on trouve les hommes du «troisième type»: ceux qui entendent soumettre les forces matérialistes de la technicité moderne à l'irrationalité «sage» - au sens grec de sophia, «clarté volontaire de l'entendement» - de nouvelles valeurs. Et c'est à la pensée de Heidegger qu'ils se rattachent..


Dans L 'époque des conceptions du monde, texte d'une conférence prononcée en 1938 sous le titre de Die Begriindung des neuzeitlichen Weltbildes dureh die Metaphysík («Le fondement de la conception du monde des temps modernes à travers la métaphysique»), Heidegger précise, comme nulle part ailleurs, son analyse de la modernité. Il y pose, en particulier, la question de l'essence des temps modernes.

Cinq phénomènes caractérisent les temps modernes. Le premier, nous l'avons vu, touche à l'envahissement de la «technique mécanisée comme prolongement de la métaphysique». On doit entendre par là, quoique Heidegger ne l'ait jamais formulé clairement, que la technique prolonge la métaphysique, dans la mesure où elle reprend à son compte la pulsion de la Volonté de puissance. Deuxième caractéristique des temps modernes: l'art (Kunst) cesse de se confondre avec la téchné pour «entrer dans l'horizon de l'esthétique» et de ce fait, s'objective Troisième caractéristique: le fait que l'activité humaine soit désormais comprise et accomplie en tant que «civilisation » (Kultur). La civilisation, écrit Heidegger, prend conscience d’elle-même, en tant que mitre des préoccupations détrônant les querelles religieuses». Quatrième caractéristique: le «dépouillement des dieux, (Entgötterung), par lequel, précise Heidegger, «d'un côté l'idée générale du monde (Weltbild) se christianise, et de l'autre, le christianisme transforme son idéal de vie en une vision du monde (la vision chrétienne du monde)». Le dépouillement des dieux, ajoute Heidegger, c'est l'état d'indécision par rapport à Dieu (...) Le christianisme est le principal responsable de son avènement (...) Quand les choses en viennent là, les dieux disparaissent.. Le vide qui en résulte est alors comblé par l'exploration historique et psychologique des mythes». Le christianisme, en d'autres termes, même s'il doit être abandonné et dépassé, a eu, dans notre destin, cette fonction fondamentale (et inconsciente) de donner à l'homme la possibilité de se doter d'une conception du monde planifiée et cohérente. Heidegger, plus qu'un antichrétien ou un non chrétien, s'affirme ici comme un post-chrétien, qui entend, à ce titre, en finir avec la tradition chrétienne afin de la dépasser.


La cinquième caractéristique des temps modernes est sans doute la plus fondamentale: elle constitue, précisément, ce qui, dans un mouvement dialectique de «contradiction-depassement», permettrait d'établir consciemment une conception du monde post-chrétienne. Il s'agit de la perception du monde à travers la science. Heidegger demande: «Sur quoi repose l'essence de la science moderne?» Il écrit aussi qu '«il est possible d'entrevoir l'essence propre de tous les temps modernes». Outre L'époque des conceptions du monde, un autre texte doit être interrogé pour formuler une réponse. C'est celai de la conférence Science et méditation, prononcée à Munich en 1953. Levons tout d'abord quelques équivoques. «Pas plus que l'art, la science ne se réduit à une activité culturelle de l'homme», dit Heidegger. Il ajoute: «La science est un mode, à vrai dire décisif, dans lequel tout ce qui est s'expose devant nous». Plus qu'un trait culturel, la science doit être interprétée comme le regard même, par lequel les temps modernes, et pas seulement «les scientifiques», s'approprient le monde et te font devenir comme réel. La perception scientifique du monde n'est pas «le monde perdra comme exactitude»: elle se confond avec la réalité du monde. Ainsi que le vit aussi Werner Heisenberg, le point de vue scientifique sur le monde, que partage, comme un destin sur lequel on ne revient pas, tonte notre civilisation, n'apporte aucune «certitude» sur une illusoire objectivité du réel; ce point de vue fait lui-même partie, tout simplement, de « notre monde». Autrement dit, la science moderne ne se caractérise pas, par rapport à la doctrina médiévale ou à l'épistémè grecque, par sa plus grande exactitude, mais par son projet. «L'essence de ce qu'on nomme aujourd'hui science, c'est la recherche», dit encore Heidegger, qui précise «L'essence de la recherche consiste en ce que la connaissance s'installe elle-même, en tant qu’investigation, dans un domaine de l'étant, la nature ou l' histoire (...) Le processus de la recherche s'accomplit par la projection d'un plan déterminé (...) d'un projet (Entwurf) de reconnaissance investigatrice».


Les sciences, par exemple, utilisent les mathématiques, qui pénètrent d'ailleurs aujourd'hui dans toutes tes activités sociales. Or, ta mathèmata, en grec, signifiait: «les choses connues d'avance». La science, en effet, anticipe à sa façon ce qu'elle découvrira dans la nature. Elle ne vise pas à en dé-celer les secrets; elle sait d'avance ce qu'elle y trouvera: non pas le «réel », mais un projet technique de mobilisation. L'aérodynamicien ne «recherche» pas les arcanes des flux aériens ; il ne vise même pas, à proprement parler, à les «comprendre», mais à formuler mathématiquement «quelque chose à propos d'eux», afin de parvenir à un objectif qu'il connaît déjà: faire manœuvrer de façon optimale un chasseur à réaction à haute vitesse. De même, les mathématiques ne «décrivent» rien de la nature, mais sont l'expression d'une visée humaine sur la nature. La science procède par «détermination anticipée» d'un projet de ce qui sera désormais la nature. La rigueur et l'exactitude ne se trouvent pas dans les sciences, ni dans le regard que celles-ci jettent sur la nature, mais dans la détermination du projet lui-même. La science peut alors se définir comme «recherche par le projet qui s'assure lui-même dans la rigueur de l'investigation». La méthode expérimentale découle, non de la «raison», mais de cette psychologie de la recherche combative. «Ni la doctrina médiévale, ni l'épistémè grecque ne sont des sciences au sens de recherche, il n'y a pas piace en elles pour une expérience scientifique», souligne Heidegger.


Plus précisément, Heidegger distingue trois «niveaux» historiques d'expérience «exploratrice». Le plus bas, celui des chrétiens, est l'argumentum ex verbo: «la discussion des paroles et doctrines des différentes autorités» a transformé les philosophies antiques, ouvertes (Platon et Aristote eux-mêmes n'étaient pas dogmatiques), en dogmes fermés et en dialectiques scolastiques, «La possession de la vérité a été proprement transportée dans la foi, c'est-à-dire dans le fait de tenir pour vrai la parole de l'Ecriture et le dogme de I'Eglise». La recherche se ramène alors à l'exégèse. L'humain est dépossédé de tout projet. Le deuxième palier de la recherche est celui de l'antiquité païenne, remis en honneur par Roger Bacon au XIVeme siècle: « La discussion des doctrines est remplacée par 1'observation des choses elles-mêmes (argutnentum ex re}, c'est-à-dire l'empeira aristotelicienne ». Enfin, le troisième stade de la recherche, celai de la science moderne, perd toute «humilité» devant les choses. La nature devient dans sa corporalité - le lieu du projet planifié, et non plus le but d'investigation pour la connaissance. La science moderne prend pour visée la technique, et non plus l'être de la nature.


La spécialisation scientifique n'est pas la conséquence, mais la raison du progrès de la recherche. C'est parce que la nature a été, des le départ, conçue comme «spécialisée » à l'image de la spécialisation du mouvement technique, que la recherche a été possible. La science moderne est elle-même déterminé par le «mouvement de l'exploration organisée» (der Betrieb). En procédant, métabiologiquement, par accumulation organisé de ses propres résultats, elle suit la vie de l'investigation progressante. De ce fait, le «procédé» acquiert la primauté sur l'étant, c'est a dire sur la nature et l’histoire.


« Ce déploiement de la recherche, prévient Heidegger, est {...) le signe lointain et encore incompris, indiquant que la science moderne commence à entrer dans la phase décisive de son avènement». Par le procédé scientifique, le réel tombe sous le coup de la sécurisation (Sicherstellung), c'est-à-dire de l'objectivation maximale. Pour Heidegger, le savant, le littérateur, le professeur, sont aujourd'hui relayes par le chercheur engagé dans des programmes. L'Université, en tant qu'institution fixe de recel du savoir, s'efface devant les centres de recherches dont les projets tombent sous le coup du devenir. «Le chercheur, écrit Heidegger, n'a plus besoin de bibliothèque, il est en routa. Et de fait, les «banques de données» ne sont plus des bibliothèques, puisqu'elles évoluent constamment, non pas à la façon de stocks remis à jour périodiquement, mais en tant qu'instruments cammis par un projet impérieux, qui les «saccage » et les re-compose sans cesse.


«L'organisation de l'exploitation scientifique», mobile, spécialisée, ne tolère pas les recherches hors programme. «projet et rigueur, procédé et organisation des diverses centres, constituent, dans leur interaction continuelle, l'essence de la science moderne». Nous pouvons alors parler d'objectivation de l'étant: la nature est «forcée», 1'histoire arrêtée»,  l‘« être de l'étant» perd tout attrait. Seul compte le fait que nature et histoire nous deviennent objets. «La vérité est devenue, précise Heidegger, certitude de la représentation». Depuis que Descartes osa douter de la nature et la déduire de son entendement, c'est-à-dire la subordonner à sa perception, la conception scientifique du monde est née.


Avec les temps modernes, le monde devient dont pour la première fois une «image conçue». «L'essence de l'homme change dans la mesure où l'homme devient sujet ». Le cosmos, la nature et l'histoire n'existent plus qu'en référence avec le «sujet central». L'étant (ou le monde) se transforme en un monde-conçue, plus exactement en une Weltbild, c'est-à-dire en une image conçue du monde ou, plus simplement, en une «conception du monde». Telle est la caractéristique «historiale» de notre époque, qui la sépare de toutes les précédentes. Heidegger écrit, en résumé: «Les locutions comme conception du monde des temps modernes et conception moderne du monde disent deux fois la même chose, et supposent ce qui n'a jamais été possible auparavant, à savoir une conception du monde médiévale et une conception du monde antique (...) Que le monde comme tel devienne une image conçue, voilà qui caractérise et distingue le règne des temps modernes.


L'étant et le monde n'existent aujourd'hui que pour autant qu'ils sont l'objet d'une visée, qu'ils sont «arrêtés pour l’homme dans la repréntation et la production». Pour le Moyen Age chrétien, au contraire, ils ne tiraient lette existence que du fait d'une «production divine»: le monde était l’ens creatum, «ce qui est créé». Pour les Grecs, le monde était le contenant de l’homme. L'homme grec est l'«entendeur de l'étant», «le monde de l’hellénité ne saurait devenir mage conçue», Heidegger ajoute: «L'homme est regarde par l'étant, par ce qui s'ou re a la mesure de la présente autour de lui rassemblée ».


La pensée de Heidegger nous force ainsi à sortir de la logique rationnelle. Heidegger entend à la fois revenir au monde grec et avaliser la Weltbild moderne - après avoir montré que cette dernière ne procède pas de l'hellénité, puisque l'homme grec se pensait « partie du monde» et ne se l'appropriait pas comme une «image» extérieur. Rappelons-nous que le déterminisme linéaire de la causalité n'entre pas dans la conception heideggerìenne da temps; ce monde envisagé comme visée, donc comme non-monde, marque en mense temps l'apogée d'un processus de dévalorisant nihiliste et une virtualité de re-valorisation.

Nous disions plus haut que c'était le christianisme, par l'intermédiaire de la métaphysique platonicienne, qui avait inauguré cette possibilité de représentation eidétique du monde: en effet, «pour Platon, écrit Heidegger, l’etantité de l’étant se détermine comme eidos (ad-spect, «vue »). Voilà la condition lointaine, historiale, souveraine, dans le retrait d'une secrète méditation, pour que le monde (Welt) ait pu devenir image conçue (Bild) ». Nous sommes les héritiers de cette repraesentatio. Re-presenter signifie ici: faire venir devant sol, en tant qu'obstant (entgegenstehendes). Le paradoxe peut alors se formuler ainsi: quoique nous entendions le dépasser, l'héritage platonicien doit être assumé. Dévalorisant une valeur, le monde, devenu « image» métaphysique, théologique, puis scientifique, en crée virtuellement une outre: le sujet, qui devient par là la «mesure de toutes choses ». Cotte re-création virtuelle d'une autre typologie de valeurs s'opère aussi bien dans le platonisme que dans le christianisme. Quoique Heidegger ne le précise pas, c'est la Volonté de puissance qu'il faut voir à l’œuvre à travers ce processus de représentation du monde. Celle-ci porte en elle un double mouvement: accouplée la métaphysique, elle produit, par dévalorisation du monde, le nihilisme. Mais, dès que l'époque technique s'inaugure, cette volonté de concevoir le monde, jusque-là intellectuelle, se dévoile crinale réalité : l'humain prend alors la mesure de sa force et peut se poser en valeur.


De nouvelles valeurs apparaissent par le fait que l'homme «se met lui-même en scène». De ce fait, deux possibilités se présentent ou bien, de ce nihilisme «sauverain», va surgir l'inauthentique, ou bien, procédant exactement du même processus, va pouvoir s'opérer un mouvement «historia.», radicalement opposé, de re-valorisation. De la situation de l'homme (Stellung) peuvent aussi bien naître l'humanisme dévalorisant que le surhumanisme re-valorisant, qui scellera un retour (mais sous une autre forme, celle précisément d'une « conception du monde») à l'hellénité.


Comment ce «monde devenu image conçue pour l'homme» peut-il donner lieu à deux phénomènes divergents, l'un de déclin, l'autre de renaissance? C'est que l'homme moderne, en se re-présentant le monde, l'amène devant lui, «se» le ramène (vor sieh hin und zu sich her Stellen). A partir de là, deux virtualités se dressent, parfaitement repérées par Heidegger dans cette proposition fondamentale: «Ce n'est que là où l'homme est déjà, par essence, sujet qu'est donnée la possibilité de l'aberration dans l'inessentiel, du subjectivisme au sens de l'individualisme». Telle est la première possibilité, celle qui, jusqu'a présent, l'a emporté. Le règne du sujet débouche sur le «subjectivisme» et le règne de l'homme sur l'humanisme moral et individuel. Mais écoutons la deuxième partie de la phrase: «C'est également là où l'homme reste sujet que la lutte contre l'individualisme et pour la communauté, en tant que champ et but de tout effort et de toute espèce d'utilité, a seulement un sens». Reprenons maintenant les deux hypothèses. Première possibilité: l'humanisme moral, qualifié de «repli dans l'anhistorial», utilise le règne de l'homme pour construire une «anthropologie esthético-morale» centrée sur l'idéal social individuel, la «théorie du monde» de la métaphysique s'étant changée, à partir des XVIIème et XVIIIème siècles, en «théorie de 1'homme» (19), exactement de la même façon que l'égalitarisme religieux s'était métamorphosé en égalitarisme social à la même période. Deuxième possibilité: toujours dans le cadre de ce «processus fondamental des temps modernes de conquête du monde en tant qu'image conçue», une autre conception du monde se fait jour, radicalement opposée, bien qu'héritée de la même prise de conscience «historiale». Contrairement à l'humanisme moral, qui conserve des valeurs métaphysiques désacralisées, elle pose des valeurs immanentes sacralisées, et brise le nihilisme.

Le contraste entre l'humanisme moral et ce que nous appelons le surhumanisme, est alors saisissant: Heidegger parle de «lutte entre visions du monde». Cette lutte «par laquelle les temps modernes entrent dans la phase décisive de leur avènement» et que Heidegger estime à son début, opposera en effet deux types d'hommes, qui donneront à la même question, au même appel du destin, deux réponses bien différentes. Heidegger, lapidairement, formule le dilemme: «Ce n'est pas parce que - et dans la mesure où - l'homme est devenu, de façon insigne et essentielle, sujet, que par la suite doit se poser pour lui la question expresse de savoir s'il veut et doit être un moi réduit à sa gratuité et lâché dans son arbitraire, ou bien un nous de la société; s'il veut et doit être seul ou bien faire partie d'une communauté». Les deux possibles sont donc «entrelacés». Dans le premier cas, l'individualisme, attitude «inauthentíque», se réfugiera dans la reconstruction de pseudo-valeurs, imitations des noumènes métaphysiques; l'homme, isolé dans l'individu, «existera comme humanité». Dans le deuxième cas, il existera comme «Etat, nation et peuple».


La nouvelle typologie des valeurs commence alors à se préciser. Le cadavre de Dieu peut être enterré, et les idoles, pour reprendre l'expression de Nietzsche, c'est-à-dire les idéaux dévalués de l'humanisme, «entrent dans leur époque crépusculaire». Les temps modernes peuvent éprouver du même coup, en tant que valeurs, et non plus seulement comme réalité sociétaire ou comme sous-valeurs déduites d'idéaux supra-sensibles, la destinée humaine sous sa forme la plus concrète: le devenir dans l'histoire des peuples vécus comme communautés de destin. L'humain est placé, au même titre que dans la tradition hellénique, mais sous un mode différent, au sommet de la pyramide des valeurs, alors que, dans l'humanisme, l'humain était toujours soumis à des abstractions: la morale, le bonheur individuel, les principes humanitaires, les normes du «bien» et du «mal» de la société bourgeoise, normes inauthentiques parce que dépourvues de sacré. Ces valeurs humaines ne se réclament d'aucun sens ultime. La communauté historique du peuple, affirmée par Heidegger comme nouvelle typologie de valeurs, ne trouve d'autre justification qu'elle-même. De cette manière s'opère un retour aux Grecs: dans la mesure où la communauté s'enracine dans l'éue-au-monde «physiologique» du peuple, la nature est retrouvée du même coup, la séparation entre la conscience et la nature, entre la pensée et la vie, se trouve surmontée. Les temps modernes, par la science et la technique qui les innervent et Ies pénétrant d'une Volonté de puissance effective, matérielle, sont susceptibles de conférer aux valeurs de la communauté historique du peuple Ieur auto-justification. Par la puissance matérielle mise à notre disposition, le «gigantisme», dit Heidegger, «fait son apparition». Ce gigantisme ne conduit pas nécessairement au quantitativisme ni, pour employer 1'expression de Georg Lukàcs, à la «réification». «On pense trop court, souligne Heidegger, quand on s'imagine avoir expliqué le phénomène du gigantisme à laide du seul mot d'américanisme. Car le gigantisme est bien plutôt ce par quoi le quantitatif devient une qualité propre, et ainsi un mode insigne du Grand (...) Le gigantisme devient 1'Incalculable». Autrement dit, c'est du nihilisme calculateur et de la finitude quantitative que surgit la valorisation in-calculable.


On peut dire de cette époque qu'elle est incontestablement «ombreuse», dans la mesure où te quantitativisme y provoque l'esprit de calcul et le matérialisme, mais aussi qu' « elle annonce autre chose, dont la connaissance nous est présentement refusée». Heidegger vilipende ici ceux qui en restent, comme son «disciple» Marcuse, au refus réactionnaire de la modernité technique : «Le repli sur la tradition, frelatée d'humilité et de présomption, n'est capable de rien par lui-même, sinon de fuite et d'aveuglement devant l'instant historial». Les valeurs de peuple et de communauté ne sont admissibles que si elles sont reliées au «gigantisme» que nous apporte la puissance scientifique et technique; elles n'apparaissent susceptibles de modifier les mentalités qu'au travers de la grandeur décelable dans la modernité. La «tradition», l'«enracinement», s'ils sont entendus en opposition avec celle modernité, s'ils se conçoivent indépendamment de la volonté de puissance technique, constitueront des pseudo-valeurs, porteuses d'un nihilisme absolu.

Le peuple et la modernité technique constituent ainsi deux sens de vie fondamentaux. La mort des anciennes valeurs, provoquée par l'objectivation métaphysique puis scientifique du monde. se trouve dépassée. Là où gisait la fin de tout espoir de redonner un sens à l'existence, dans « l’oubli de l'être», dans la dévalorisation quantitative (intellectuelle, puis matérielle) de toutes choses, en ce lieu même surgit ce que Heidegger nomine un questionnement créateur. Les peuples peuvent alors créer une valeur par ce même processus qui a anéanti l'ancienne typologie des valeurs: «l'objectivation de l’étant». Cette objectivation, poussée jusqu'a son paroxysme par I'arraisonnement technique, débouche - comme par exemple la physique nucléaire - sur la perfection du monde, non plus comme objet, mais comme rien. Ce rien ne se confond en aucune façon avec le «nul» du nihilisme: il change l'humain de sens, et confère au sujet agissant le monopole de la valeur. Devenu « rien», le monde retrouve son mystère, non «par lui-même», mais en tant que lieu inconnaissable d'un combat de l'homme contre lui-même, de la Volonté de puissance contre toute limitation de cotte puissance. Concrètement, il est alors donné aux peuples la possibilité d'accomplir leur destin «historial» par la Volonté de puissance scientifique et technique. Le sens de l'existence est retrouvé; Heidegger le propose à ceux qui auront la force et le courage de le supporter. Il écrit, annonçant en quelque sorte un «troisième homme» : «L'homme futur est transposé dans cet Entre-Deux (...) Ce n'est que là où la perfection des temps modernes les fait atteindre à la radicalité de leur propre grandeur, que l'histoire future se prépare». Reconnaître et assumer pour nous, en tant que peuples doués de Volonté de puissance, notre grandeur dans la grandeur de notre modernité : c'est accomplir le désenchaînement de Prométhée. Et pour que nul ne se trompe sur ses intentions, Heidegger cite, à la fin de son essai sur l'époque des conceptions du monde, ce poème de Hôlderlin intitulé Aux Allemands :


«Bien étroitement limité est le temps de notre vie
Nous voyons et comptons le nombre de nos ans
Mais les années des peuples,
Oeil morte les vit-il jamais ?»

V. VERS L 'AGE APOLLINIEN


«Comment quelqu'un peut-il se cacher devant ce qui ne sombre jamais?» (Héraclite, Fragments).


Parmi les nouvelles valeurs inaugurées à mots couverts par Heidegger, on trouve, nous l'avons vu, l'idée d'un dédoublement de l'humain entre une humanité connue comme fond au même titre que la phusis, et une « surhumanité», pour reprendre l'expression de Nietzsche, qui ne se différencierait absolument pas de la première sur le plan physique, anthropologique ou social, mais sur celui de la conscience et de la fonetion historique, et dont les représentants ne seraient commis par nul autre qu'eux-mêmes. Ces derniers seraient les «diseurs de parole», les ordonnateurs de la Volonté de puissance technique. Heidegger n'a évidemment jamais imaginé, sur le pian politique, les implications de ce nouvel état historique des valeurs. I1 ne cherche toutefois pas à en dissiper l'inquiétude - lui qui pense précisément le monde contre royaume de l'inquiétante, et I'homme comme l'inquiétant par excellence. Mais, d'autre part, il nous indique aussi d'autres chemins à suivre, en particulier ceux qui ont trait à sa conception de l'histoire. Le premier après Nietzsche, Heidegger a en effet proposé une conception non segmentaire de l'histoire, notamment dans son Introduction à la métaphysique. Cette conception débouche sur une «indication de valeur» : la recherche pour l'homme d'une communauté de destin impliquant la re-création de liens de nature spirituelle entre I'individu et son peuple, entre le Dasein et le Volk. C'est cette démarche intellectuelle que nous voudrions examiner maintenant.

L'existence (Dasein) nous fait «être dans le monde» (in der Welt sein) ; elle nous fait, par là, «sortir de nous mêmes». Le monde, en effet, n'est pas seulement déchiffrable comme «monde objet» (Dingwelt) ou comme monde utilitaire (le Zeugwelt des scientistes). Heidegger regarde le monde-pour-l'homme comme «monde-avec-soi» (Mitwelt). Exister, c'est être dans le monde, et donc d'abord vivre avec autrui (Dasein ist Insein-Mitsein). Mais comment être-avec-autrui ? Certainement pas en considérant autrui comme l'humanité. Dans L'être et le temps, le Mitsein s'accomplit dans le travail pour la communauté. Dans Les commentaires sur la poésie de Hölderlin, publiés en 1944, le Mitsein prend une connotation irrationnelle: il est fonde sur la «révélation affective» (Befindlichkeit). Celle-ci ne peut naître qu'entre des individus qu'unissent un même passé et un même projet historique. L'intelligence rationnelle apparaît donc inapte à réaliser le Dasein humain. Mais ce dernier, que seul peut combler la «révélation affective», se trouve face à un autre problème, tenant au fait que la «révélation affective», parce qu'elle est plus réaliste que la raison, nous met en face du tragique et nous fait prendre conscience de notre déréliction (Geworfenheit). Trois voies s'ouvrent alors: soit l’ivresse consolante de la facticité, et c'est le nihilisme du monde moderne; soit l'angoisse poignante de celui qui a cru et ne serait plus, parce qu'il a pris conscience de la réalité des choses; soit enfin l'attitude guerrière et volontaire du Dasein qui «se prend en charge», qui se saisit de lui-même comme projet (Entwurf).


Ce «projet» ne doit pas se comprendre comme une visée personnelle, mais comme la participation à un Dasein collectif et historique, nécessairement lié à un peuple. «Habiter» et «bâtir» constituent pour Heidegger deux fonctions-clés du Dasein, qui entend assumer son destin d'avoir été «jeté au monde» et qui decide d'échapper à la «déchéance» (Verfallen). Notre civilisation souffre de cette déchéance. Elle est soumise à la domination du « on» (Man)». An-historique, elle poursuit une nouveauté superficielle ; atteinte de néophilie pathologique, elle est rétive au devenir. La soif de sécurité n'est pas une antidote contre l'angoisse. Cette angoisse apporte à I'homme contemporain l'expérience du «nul», qui ne porte pas seulement sur le monde, mais sur lui-même. Il éprouve sa propre nullité. Heidegger estime que notre civilisation expérimente le néantissement (Nichtung). Mais il y a pire: étrangere à tout sentiment tragique, cette civilisation ne comprend pas l’angoisse qu'elle ressent. Au lieu de l'assumer et de la sublimer dans un projet, elle tente de la fuir. Nihiliste et humaniste, elle refuse le tragique et son «étrangeté inquiétante» (Unheimlichkeit). Elle se réfugie alors dans le pire des refuges : le petit familier, le bonheur de l'immédiateté individuelle. Le Dasein, appauvri, mutilé, ne meurt mémé plus d'angoisse ou de déréliction, mais il se recroqueville et s’évanouit. Le destin se résorbe dans la subjectivité de l'atomisation individuelle. Les peuples s'endorment, puis meurent. Cette déchéance repose sur une conception inauthentique de la temporalité (Zeitlichkeii), provoquée par la métaphysique déchue de l'humanisme. L'homme refuse d'erre ce qu'il est, un être-pour-la-mort (Sein zum Tode), et s'étourdit dans l'illusion d'un désir d'éternité qu'il croit trouver dans la mondanité quotidienne. Une telle conception du temps repose sur une vulgarisation de la temporalité, et sur des idées de «fin de la mort» et de fin linéaire de 1'histotre comparables à celles que I'on trouve dans les philosophies du «progrès». Tout projet historique de devenir est alors rejeté comme «angoissant», pare qu'il implique que l'homme regarde la mort en face.


Heidegger_01.jpgRejetant la conception segmentaire du temps qui précipite l'homme vers le «repos» et la fin de tonte angoisse, Heidegger présente un autre type humain. Ce type caractérise l'homme qui, consentant à la mort, «prend une décision anticipante» résolue et va «au devant de la mort sans pour autant renoncer à son projet d'existence. L'existence (Dasein) est alors acceptés tragiquement mais sans équivoque comme souci (Sorge); l'activité humaine est assumée comme «vie soucieuse» (Fürsorge). L'authenticité de l'existence individuelle consiste à dépasser la mort individuelle, à admettre que l'avenir se confond avec l'advenir à soi, c'est-à-dire l'avancée vers sa propre mort. Or, seule la mobilisation du Dasein dans une communauté, dans un peuple, seul l'altruiste affectif trouvé par le don de soi à l'Autre est susceptible de surmonter le tragique de l'existence individuelle. Heidegger n'hésite d'ailleurs pas à parler d'«amour», mais en un sens autrement plus concret, plus réel que l'amour chrétien, où 1'on est seulement sommé d'aimer tout le monde - c'est-à-dire personne.


Le Dasein, chez Heidegger, est entraîné sur le fleuve du devenir. Toute illusion sur un arrêt des temps, sur une immobilisation des instants, sur une récompense finale, est dissipée. Bien supérieur au modèle chrétien d'existence, le Dasein n'a pas besoin du mythe mensonger de la victoire sur la mort pour agir. Il est d'une nouvelle façon pleinement et authentiquement humain, c'est-à-dire, par rapport à la conscience chrétienne qu'il dépasse comme la dépassait déjà en humanité la conscience grecque, qu'il se pose comme sur-humain.


La conception heideggérienne de la temporalité historique apparaît alors en toute clarté. L'homme-existant, le Dasein, totalise dans son présent t'«ayant-été» (Gewesenheit), qu'il assume, et !e «projet» (Entwurf) dont il participe en lien avec les siens. La conjonction du passé et du projet «ad-venir» rend présent le passé. Celui-ci, comme l'avenir, est rendu présent dans le maintenant. L'existence individuelle confond sa temporalité «subjective» avec l'histoire de sa communauté. La temporalité, qui est toujours vécue au niveau de la conscience individuelle, devient historicité. L 'avenir, la dimension ca pitale, incite le Dasein à faire retour au passé, rendant par là signifiant le maintenant qui se confond avec l'existence humaine. Heidegger qualifie lui-même cette conception du temps, que l'on trouve exposée notamment dans l'Introduction à la métaphysique, de «tridimensionnelle», par opposition aux conceptions uni- ou bidimensionnelles du temps linéaire, cyclique ou segmentaire. Cette conception est héritée, non pas de Nietzsche, mais de Sophocle et des poètes tragiques grecs, auprès desquels Nietzsche était d'ailleurs allé la puiser.

Pour Heidegger, Nietzsche a scellé la fin de la métaphysique, mais sa pensée elle-même appartienne encore à la métaphysique. «Que Nietzsche, écrit Heidegger, ait interprété et perçu sa pensée la plus abyssale à partir du dionysiaque tend à prouver qu'il a dû encore la penser métaphysiquement et qu'il ne pouvait la penser autrement. Mais (...) cette pensée la plus abyssale cache en elle quelque chose d'impensé, qui est en même temps fermé à la pensée métaphysique». Heidegger, nous l'avons dit, dépasse Nietzsche, exactement au sens où Zarathoustra appelait ses disciples, pour le suivre, à «dépasser jusqu'aux Grecs». Nietzsche ayant constitué l'intermède dionysiaque de la pensée occidentale, Heidegger inaugure l'ère apollinienne de ceste pensée, elle-même prélude annonciateur d'une ère apollinienne de l'action.


En quoi Heidegger ouvre-t-il la possibilité d'un âge apollinien - terme qui, reconnaissons - le, ne se trouve pas dans son œuvre? La position de Heidegger sur la métaphysique et la technique est trompeuse. Elle abuse les exégètes qui ne savent voir en lui qu'un adversaire de la technicité et un «chercheur de l'être». Le fait qu'il se lamente sur l'uniformité «diabolique» du monde moderne n'est pas, nous l'avons vu, contradictoire avec sa glorification de l'essence de la technique. C'est ainsi que, dans son essai sur Le dépassement de la métaphysique, il écrit: «L'usure de toutes les matières, y compris la matière première homme, au bénéfice de la production technique (...) est déterminé par le vide total où 1'étant, où les étoffes du réel, sont suspendues». Par ces mots, la civilisation de l'économie et de la marchandise se trouve analysée, bien plus profondément que ne le feront plus tard les «situationnistes», comme la «mise-en-ordre entendue comme la forme sous laquelle l'action sans but est mise en sécurité». L'étant, c'est-à-dire le monde réel, se trouvant dévalorisé au terme du processus métaphysique du nihilisme qui s'achève dans l'humanisme, il ne reste plus aux hommes qu'à l'organiser mécaniquement. La technique, envisagée comme technique-pour-l'économie, comme instrument d'ordre heureux, n'est plus que le moyen de «mise à sac de la terre». «Ce cercle de l'usure pour la consommation, écrit encore Heidegger, est l'unique processus qui caractérise l'histoire d'un monde devenu non-monde (Unwelt)». Ce monde de la dévalorisation du réel et du mésemploi de la technique, c'est-à-dire son emploi nihiliste humaniste, son emploi absurde comme l'instrument d'une métaphysique dévaluée (la recherche de la morale du bonheur), aboutit «à I'exclusion de ce facteur essentiel, les distinction de nations et de peuples». Heidegger ajoute: «De mémé que la distinction de la guerre et de la paix est devenue caduque, de même s'efface aussi la distinction du national et de l'international. Qui pense, aujourd'hui, en "Européen" n'a plus à craindre qu'on lui reproche d'être un internationaliste. Mais il est vrai aussi qu'il n'est plus un "nationaliste" puisqu'il n'a pas moins d'égard au bien des autres "nations" qu'au sien propre».


Cette usure de l'étant, selon Heidegger, doit s'entendre, non pas tant comme 1'àge de l'égalitarisme que comme le règne de l'uniformité: «Avant toutes les différences nationales, cette uniformité de l'étant entraine l'uniformité de la direction, pour laquelle toutes les formes politiques ne sont plus qu'un instrument de direction parmi d'autres. La réalité consistant dans l'uniformité d'un calcul traduisible par des plans, il faut que l'homme, lui aussi, entre dans cette uniformité s'il veut rester en contact avec le réel. Un homme sans "uni-forme", aujourd'hui, donne déjà une impression d'irréalité, tel un corps étranger dans notre monde. L'étant s'étend dans une absence de différence qui n'est plus maîtrisée que par une action et une organisation régies par le "principe de productivité". Ce dernier parait entraîner un ordre hiérarchique, mais, en réalité, il est fondé sur 1'absence de toute hiérarchie (...) vu que le but de la production n'est rien de plus que le vide uniforme (...) l'absence de différence qui accompagne l'usure totale provient d'une "volonté positive" de n'admettre aucune hiérarchie, conformément au primat du vide de toutes les visées».

Heidegger oppose donc la volonté positive de 1'àge nihiliste à la Volonté de puissance, qui, elle, est salut, parce qu'elle comporte un projet et un dessein hiérarchisant. La simple volonté qui gouverne, rationnellement, economiquement, notre monde appartient au domaine de l'inauthentique recherche d'une stabilité heureuse. La Volonté de puissance relève au contraire du devenir. Heidegger précise: «La terre apparaît comme le non-monde de l'errante. Du point de vue de l'histoire de l'être, elle est l’astre errante ». Or, c'est ici qu'il est  aisé de se faire un contresens. Car Heidegger condamne et glorifie en mente temps la technique - de mente qu'il oppose la Volonté de puissance à la volonté positive, appelée aussi «volonté sans visée». Comparons, pour aliène comprendre, deux citations de Heidegger. La première est celle-ci: «Le bouleau ne dépasse jamais la ligne de son possible. Le peuple des abeilles habite dans son possible. La volonté seuls, de tour cotés s'installant dans la technique, secoue la terre et l'engage dans les grandes fatigues, dans l'usure de l'artificiel (...) Les pratiques qui organisent cette contrainte et la maintiennent dominante, naissent de l'essence de la technique qui n'est autre chose que la métaphysique en train de s'achever. L'uniformité complète de toutes les choses humaines de la terre, sous la domination de la volonté de volonté, fait ressortir le non-sens d'une action humaine posée comme absolue». Nous sommes parti, apparemment, devant une condamnation, un rejet de la technique. Et de fait, pour ceux qui, dans leur lecture, en restent à ce stade, il semble bien que Heidegger s'inquiète de cette époque de domination de la terre où, comme le disait Hegel dans la Phénoménologie de l'esprit, «la conscience absolue de soi même devient principe de la pensée». Mais voyons maintenant notre deuxième citation. Dans La question de la technique, Heidegger déclare : «La technique n'est pas ce qui est dangereux. Il n'y a rien de démoniaque dans la technique, mais il y a le mystère de son essence. C'est l'essence de la technique, en tant qu'elle est un destin de dévoilement, qui est le danger (...) La menace qui pèse sur l'homme ne provient pas des rnachines». L'idée, cette fois, est tout-à-fait différente. Le danger, entendu par Heidegger à la tois criminel un péril et une noblesse, provenaient en effet du processus historique de l'arraisonnement. C'est pourquoi Heidegger ajoute, citant Hölderlin: «Mais là où il y a le danger, là aussi croît ce qui sauve».


Ce qui «sauve» est donc aussi ce qui constance le «danger». L 'élément salvateur, tout comme l'élément menaçant réside dans l'essence de la technique, autrement dit dans la volonté de puissance devenue conscience voulue. «Là où il y a le danger...», c'est-à-dire au cœur du processus technique de l'arraisonnement de l'humain et de la terre, «là aussi...», c'est-à-dire en ce lieu même où se déchante la technique, «croit ce qui sauve», c'est à dire s'observe, en devenir virtuel, ce qui imposera des nouvelles valeurs. La Volonté de puissance, latente et «inconsciente» dans la technique, présente mais occultée dans l'arraisonnement, peut devenir auto-conscience et prendre en charge l'arraisonnement. A la volonté-sans-visée peut succéder la volonté douée de projet. Et puisque l'essence de la technique, l'arraisonnement, se confond avec le déclin de la métaphysique, cette essence a nécessairement hérité de ce qui gisait, de ce qui serpentait souterrainement dans la métaphysique occidentale, à savoir la Volonté de puissance. Le troisième âge sera alors celui où la Volonté de puissance pourra éclore, éclater au plein jour de la claire conscience. Occulte, métaphysicienne ou chrétienne, dans son premier âge, la Volonté de puissance ne s'exprimait que dans le logos. Dionysiaque dans son deuxième âge, celui de la technique moderne de l'époque nihiliste actuelle, elle peut désormais s'assumer comme tel, se reconnaître comme acte planifié de puissance, dans ce que nous avons appelé l'age apollinien. (Car Apollon est celui qui maîtrise, par l'ordonnance planifiée et rigoureuse de t'entendement, mais qui, en métro temps, donne sens et valeur, qui rend religieux le monde organisé).


Du nihilisme lui-même renaissent ainsi des valeurs. Comment la parole cité plus haut de Hölderlin, Heidegger écrit dans La question de la technique: «Sauver (retten) est reconduire dans l'essence (au sens de "nature profonde") afin de faire apparaître celle-ci pour la première fois, de la façon qui lui est propre. Si l'essence de la technique, l’arraisonnement, est le péril suprême (...) alors, il faut que ce soit justement l'essence de la technique qui abrite en elle la croissance de ce qui sauve».


Quelles valeurs la Volonté de puissance devenue consciente va-t-elle alors «présenter»? Pour répondre à cette question, Heidegger procède par allusions poétiques et mythiques. Enfermer les nouvelles valeurs dans une définition «rationnelle», ce serait en effet, par avance, les dé-florer, les tuer «dans l'œuf» et, déjà, jeter les bases d'un autre nihilisme. Aussi Heidegger se borne-t-il, retrouvant un geste de souveraineté immémoriale, à designer le chemin, en nous disant que la sente des nouvelles valeurs conduit vers une nouvelle Grèce, à laquelle il donne le beau nom d'Abend-Land, terme qu'on ne saurait traduire par «Occident» et que l'on a remarquablement rendu par le néologisme franco-grec d'«Hespérie» (du grec hespera «le soir»), dans lequel nonne le Leitmotiv de l'espérance. Dans le texte Pourquoi des poètes, Heidegger écrit: «Ceux qui risquent le plus... ils apportent aux mortels la trace». Ceux qui risquent : nous avons vu que le risque était de subire le chemin de l'arraisonnement technique en le rendant conscient de la Volonté de puissance. La trace c'est la sente forestière où nous pouvons choisir de nous enfoncer. Mais où mène cette trace? Qui donc y poursuivons-nous? Vers quel monde nous porte-t-elle ? Heidegger répond: «Ceux qui risquent le plus... ils apportent aux mortels la trace. La trace des dieux enfuis dans l'opacité de la nuit du monde».


VI . L'HESPERIAL


«Aucune méditation sur ce qui est aujourd'hui ne peut germer et se développer, à moins qu'elle n'enfonce ses racines dans le sol de notre existence historique par un dialogue avec les penseurs grecs (...) Ce qui à l'aube grecque a été pensé ou dit, vient sur nous. Pour éprouver cette présence de l'histoire, nous devons nous détacher de la représentation historique de l'histoire» (Heidegger, Science et méditation).


Aussi gênant que cela puisse paraître aux yeux de certains, c'est bien aux dieux grecs que pense Heidegger lorsqu'il évoque la « trace » de ce qui doit être retrouvé et que la Volonté de puissance doit pouvoir restituer comme valeurs aux Européens. C'est donc bel et bien une sorte de «paganisme» que Heidegger assigne aux temps modernes. Au monde désespéré de l'humanisme rationnel, il oppose l'ad-venance, au cœur de la civilisation technique moderne, du sacre (das Heilige). Il l'appelle de ses voeux en puisant dans les ouvres de Hölderlin et de Rilke, poètes de l'essence et du retour des dieux. Les textes sont clairs: le salut, pour Heidegger, procédera d'un recommencement grec, c'est-à-dire des retrouvailles, de l'accord, sous une forme historiale différente, du sacre et de la technique, exactement comme à l'aube des temps helléniques. Ainsi pourra s'accomplir l'Eternel retour de l'identique, que Nietzsche avait pressenti sans pouvoir lui conférer un contenu. Accoupler l'irrationnel du sacré et l'immanente matérielle de l'arraisonnement technique, la rationalité planifiée de la mobilisation de la terre et l'inspiration «romantique» que peut susciter la renaissance du sentiment religieux grec, voilà quelle visée Heidegger entend donner à la Volonté de puissance.


L'Hespérie, la «terre du couchant» (Abend-Land), marque alors ce que doit devenir l'Occident, ce vers quoi il doit se nier et se dépasser en se niant, pour reproduire, sous une autre forme, celle de l'immanence sacrée des valeurs terrestres et techniques, la vue du monde de cette aurore que constitua J'hellénisme pré-platonicien. Ainsi cette même Grèce qui, à la suite du platonisme, acclimata en Europe la métaphysique et le judéo-christianisme, est-elle destinée, dans notre présent, à en surmonter la mémoire. C'est en poursuivant, à la trace, les dieux grecs, que nous avions oubliés en tant que passe, mais qui sont appelés maintenant à surgir dans nutre avenir, métamorphosés, que nous régénèrerons notre histoire.

Dans Pourquoi des poètes, Heidegger cite l'Hymne des titans de Hölderlin :
«... et pourquoi des poètes en temps de détresse ?
«Mais ils sont, dis-tu, comme les prêtres sacrés de Bacchus
«Qui de pays en pays, errent dans la nuit sacrée».

Le poète, comme le penseur, au milieu de la nuit, à l'apogée du nihilisme et de l'oubli, annonce le matin. «Dieu est mort», disait Nietzsche. «Il faut retrouver les dieux», répond Heidegger, mais en donnant à ce terme un sens bien différent de celui qu'entendaient les Grecs. Les dieux, ici, signifient la ré-advenance du sacré, à la fois mythique et conscient, destiné à fonder une régénération de l'histoire. Heidegger est contraint de s'exprimer par allégorie puisque, à ce degré de la pensée, il sort du logos et donne à sa propre parole le statut de mythe fondateur: «Le dieu du cep (Dionysos) sauvegarde (...) le lieu férial de l'union des dieux et des hommes. Ce n'est que dans la région d'un tel lieu, si tant est qu'il y en ait un, que peuvent rester des traces des dieux enfuis, pour les hommes dépouillés de dieux (...) Les poètes ressentent la trace des dieux enfuis et tracent aux mortels, leurs frères, le chemin du revirement (...) voilà pourquoi, au temps de la nuit du monde, le poète dit le sacré (...) A nous autres d'apprendre à écouter le dire de ces poètes».


Cette régénération de l'histoire, à laquelle Hölderlin, à travers Heidegger, nous appelle, est risquée. Mais ce risque va de pair avec le caractère inquiétant (unheimlich) de l'humain. Or, pour les Grecs, l'humain n'est pas seulement inquiétant (deinon); il tend vers le surhumain, et c'est en cela qu'il est «le plus inquiétant» (to deinotaton). Heidegger cite le fragment 52 de Héraclite: «Le temps du monde est un enfant, jouant au tris-trac; d'un jeu d'enfant, il est le règne». Il le commente en les termes : «Au risque appartient le projet dans le péril». C'est que le retour des dieux ne doit pas se comprendre comme une «fuite vers les dieux de la Grèce antique», paganisme de pacotille dont se moque Heidegger, en l'assimilant à l'inanité contemporaine des «croyances religieuses». Ce «retour» sera le recommencement grec, la réconciliation entre la «science» et la «philosophie», entre la technique planétaire et la «poésie», entre l'instrumentalité et la spiritualité, entre la subjectivité aux prises avec la matière et le sacré. Cetre réconciliation, opérée au sens de la Volonté de puissance, nous remettra dans une situation destinale identique à celle de l'aurore fondatrice grecque (mais non dans une situation semblable, puisque, entre-temps, la conscience européenne a accédé au stade épochal de la conception du monde).

La trace des dieux enfuis, inquiétante poursuite, nous mène donc à un recommencement qui n'a rien d'un retour en arrière vers le passé connu, mais qui s'enfonce résolument vers ce qu'il y a de plus risqué dans la modernité. Dans une de ses conférences, Heidegger précise quel pourrait être l'augure de ce recommencement: utilisant le terme de volonté, il place celle-ci, par l'intermédiaire de la «science», comme «gardienne du destin du peuple», comme «volonté d'une mission spirituelle et historique de notre peuple». Ainsi, le recommencement grec peut-il inaugurer la présence (Anwesenheit) du sacré dans la conscience historique et l'advenance du peuple - et non plus de l'atome individuel - comme mode de la subjectivité. Le surgissement «hespérial» de cette «nouvelle Grèce» est pensé comme une rupture historique (Aufbruch), comme une sortie violente (Ausbruch) de la modernité inauthentique du nihilisme humaniste, mais aussi cormme irruption (Einbruch) de l'avenir risqué dans notre présent confortable où la science est voulue comme «instrument du bonheur». Cette irruption ne peut s'accomplir que sous les traits de la violence, d'un «brisement» (Zerbrechen) inquiétant et non paisible, et c'est ainsi qu'elle nous fera rentrer dans l'histoire dont nous sommes sortis. Portée par le fleuve du devenir, la conscience qui aura vécu ce recommencement grec, devra comprendre le monde comme «défrichement» (Umbruch), comme travail d'abattage.


Nous retrouvons ainsi la métaphore mythique de la forêt et le bûcheron. Déjà, nous avons dit que suivre le Holzweg nous mènerait dans la forêt, «au cœur de notre travail». Et c'est bien d'un travail de bûcheron qu'il s'agit. Le risque de l'histoire se compare au labeur des bûcherons: rompre (brechen) les arbres et survivre au danger de leur chute. Où nous mène la sente forestière? Elle nous mène à la cité des bûcherons, qui vit sous le signe de la «mixture» (Bruch). Rappelons-nous alors la sentence héraclitiennee panta rei (tout coule en rythme, tout coule en se brisant), dont la véritable signification n'est autre que: «Le monde s'écoule par ruptures successive».


Mais quel sera le premier travail du bûcheron, celui qui accompagnera le défrichement? Ce sera la dislocation (Auseinanderbrechen) du monde ancien. Cette destruction visera une certaine vision que nous avions de notre passé. Le recommencement grec suppose en effet d'abord la destruction d'un passé et le choix d'un autre. Mais ce «nouveau passé» ne saurait étre considéré dans une temporalité antécédente, située derrière nous, comme picuse «mémoire»; son caractère de nouveauté provient de ce qu'il surgit, par notre volonté, devant nous. « Devant », c'est-à-dire qu'il doit être compris sous le mode du «faire-surgir» (er-springen) (somme la «cité des bûcheron» surgit devant les pas de 1'aventureux marcheur forestier) et du «pro-venir» (geschehen). Ainsi seulement, le passé grec sera «histoire», c'est-à-dire provenance advenance (Geschichte).


Dans l'une de ses conférences, Heidegger déclare: «Le commencement est encore là. il n'est pas derrière nous somme ce qui a été il y a longtemps, mais il se tient devant nous. Le commencement a fait irruption (Einbruch) dans notre avenir, il dresse au loin, comme une disposition lointaine à travers nous, sa grandeur qu'il nous faut rejoindre (...) Nous nous voulons nous-mêmes. Car la force jeune du peuple, sa force la plus jeune qui est au-delà de nous, s'empare de la route, celle-là en a décidé déjà. La splendeur et la grandeur de ce départ qui est rupture, nous le comprenons pleinement si nous portons en nous le sang-froid profond et vaste que l'antique sagesse grecque a exprimé par cette parole: Toute grandeur est dans l'assaut».


La conscience contemporaine et ses philosophies ne sont pas encore parvenues à en finir avec l'humanisme. Son cadavre se décompose en humanitarisme. Mais le lancinant discours moral de notre temps, son conformisme carcéral, sonne comme un discours crépusculaire. Nous somme loin des claironnements optimistes des idéologies humanitaires du progrès. Les idéologies et les intellectuels, toujours attachés aux problématiques de l'idéal moral, sont à la fois conscients de s'y trouver enfermés et qu'en sortir leur serait insupportable (car cela es obligerait à suivre l'angoissante ruée de la philosophie nietzschéenne par-delà le bien et le mal). L'attachement à la morale humanitaire, en philosophie des valeurs comme en politique, prend alors tout son sens : celui d'une conscience malheureuse, déçue, geignante, spectatrice coléreuse et larmoyante de l'évaporation de ses utopies. En termes heideggériens, cette attitude de la conscience contemporaine peut être analysée somme une incapacité «historiale» à franchir un nouveau palier d'existence. Au contraire, écrit Heidegger, «l'homme dont l’essence est celle qui est voulue à partir de la Volonté de puissance, voilà le surhomme (Uebermensch), celui qui doit détenir l'irrésistible puissance (Uebermacht) pâtir accomplir sa souveraineté» (Chemins qui ne mènent nulle part, op. cit.). La conscience humaniste est condamnée à vivre avec son inessentielle (Unwesen), qui provient du fait qu'elle gît en déphase par rapport au devenir «historial» des temps modernes, lequel dévoile l'essence de la Volonté de puissance.


La nécessite se déploie, écrit encore Heidegger, d'aller au-delà de nomine ancien, de le surpasser (...) L'homme ancien voudrait continuer d'être 1'homme ancien ; en même temps, il est déjà le consentant de l'étant, de cette étant dont l'être commence à se manifester comme Volonté de puissance» (ibid.) - c'est-à-dire de ce monde rend conscience d'elle-même la Volonté de puissance comme principe de son devenir. L’homme ancien se subit lui-même ; il est comme atteint de schizophrénie. Refusant de renoncer à la modernité, il n'entend pas admettre pour autant l'installation de la Volonté de puissance. Sa position est intenable. La physique nucléaire ou I'ingénierie génétique heurtent sa conscience, mais il n'a ni la force ni la volonté de les abandonner. Alors, ces techniques le dirigent. Ils devient leur commis. Il se place lui-même plus bus que les machines et les techniques.


Heidegger installe donc dans une subjectivité entendue somme destin d'un peuple et d'une communauté le «lieu du  vouloir du surhomme». Ces deux éléments, la Volonté de puissance et la définition de son lieu d'accomplissernent, ne sont toutefois jamais présentés en même temps, et c'est en comparant les textes que 1'on obtient la clé de la pensée de Heidegger : le nouveau lieu des valeurs sera l'ordre conscient d'une Volonté de puissance utilisant la science et la technique à travers un autre niveau «historial» de la conscient humaine.


La lutte pour le «règne de la terre» est désormais seul susceptible de fonder de nouvelles tables de valeurs et de redonner un sens sacré à l'existence de la conscience. Suprême ironie de l'histoire en reléguant le sacré hors du monde, la métaphysique a dévalué le lieu où elle posait et nommait ses valeurs - le supra-sensible. Du même coup, elle a, sans le vouloir, contribué à libérer dans le monde la Volonté de puissance et à faire revenir, avec une force virtuelle bien plus considérable qu'aux temps païens, le sacré à son lieu d'origine: la conscience humaine comme partie indétachable de la nature. Commentant ce processus, Heidegger peut écrire:  «La terre devient le centre de toute position et de tout débat, objet d'un assaut permanent» - ce qui corrobore la prédiction faille dans le Gai savoir : «Le temps viendra où la lutte pour le règne de la terre sera menée, et elle le sera au nom de doctrines philosophiques fondamentales».


Le surhomme, l'homme de l'auto-conscience qui a objectivé le monde, ne devient surhomme que s'il veut cet acte comme tel, que s'il prend la responsabilité du meurtre de Dieu, que s'il l'assume «historialement». «Par cette mise à mort», précise Heidegger, «l'homme devient autre. Il devient celui qui supprime l'étant (das Seiende) au sens de 1'étant en soi (das Seiend)». Et il ajoute, ce qui n'est compréhensible que si l'on saisit la double signification, dialectique et «hístoriale», du nihilisme «L'essence du nihilisme réside en l’histoire (...) Si la métaphysique est le fond historial de l'histoire mondiale déterminée occidentalement et européennem ent, alors cette histoire est nihiliste en un sens tout nouveau (...) Ni les perspectives politiques, ni les perspectives économiques, ni les perspectives sociologiques, techniques ou scientifiques, pas mense les perspectives religieuses et métaphysiques, ne suffisent pour penser ce qui advient en ce siècle du monde (...) Dans quelle mesure l'homme est-il forcené? Il est for-cené, c'est-à-dire hors du sens. Car il est sorti du plan de i'homme ancien. Cet homme, de la sorte déplacé, n'a pour cette raison rien de commun avec le genre des voyous publics, avec ceux qui ne croient pas en Dieu».


Que ceux qui ont des oreilles entendent.

Guillaume FAYE


1 Jean-Michel Palmier, Les écrits politiques de Heiddeger, L’Herne, 1968.

2 C’est-à-dire une description phénoménale de la pensée de l’être.

3 Henri Arvon, La philosophie allemande, Seghers, 1970.

4 Lettre sur l'humanisme, Aubier, 1964. Heidegger précise, jetant un regard en arrière sur son œuvre, que son dessein n'est pas de «philosopher» au sens habituel du terme, mais, par un travail de la pensée qui n'a rien d'«intellectualiste», de répondre aux questions historiques touchant au sens de notre époque. La «question de l’être» ne doit donc pas se comprendre comme un problème philosophique, mais comme une question historique qui concerne l'ensemble de la civilisation «occidentale» devenue planétaire.

5 Hussert estimait que L 'être et le temps avait trahi la méthode phénoménologique, et reprochait à Heidegger de faire de I'anthropologie.

6 La poiésis grecque désigne à la fois ce que nous entendons par poésie et l'activité créatrice des «métiers» les plus divers..

7 La traduction figure dans Chemins qui ne mènent nulle part (Gallimard, 1962).

8 Il s'agit des sentes tracées par les bûcheron qui reviennent de la clairière de coupe. Elles ne traversent pas la forêt, mais constituent les Seuls sentiers conduisant «au cœur des boss».

9 Cf. la conférence Qui est le Zarathoustra de Nietzsche?, publiée dans le recarci Essais et conférences (Gallimard, 1958).

10 «Le plus inquiétant» (o deinotatos) : c'est ainsi que les poètes désignaient l'homme. Il faut entendre «le plus inquiétant de tous les hôtes de la terre», par opposition aux animaux qui, eux, n'ont rien d'inquiétant.

11 Dans le tome II de son Nietzche, Heidegger commente l'idée selon laquelle, si «le christianisme ne fut qu'un platonisme pour le peuple», de nos jours, les noumènes platoniciens n'étant plus portés par les mythèmes chrétiens, toute métaphysique «a perdu sa force historialement structurante.

12 Les valeurs «vécues comme existence» recouvrent ce que Ernst Jünger, dans Der Arbeiter (1932), désignait comme Lebenstand, «classe-de-vie». Le «travail» était alors appelé à devenir la classe-de-vie des temps moderne. Heidegger dépassera ce point de vue, mais conservera l'idée d'une intégration des valeurs à l'existence vécue. Il récusera toutefois le terme de «travail», préférant ne pas enfermer les valeurs vécues dans une dénomination unique. Nommer le «travail» comme classe-de-vie, n'est ce pas déjà, d'ailleurs, l'objectiver et le dévaloriser ?

13 Chemins qui ne mènent nulle part, op. cit.

14 Le monothéisme peut être aussi un paganisme non dualiste. C'est parce que le judéo-christianisme fut à la fois un monothéisme et un dualisme métaphysique qu'il dévalorisa le sacré et finir en morale.

15 On peut rapprocher cette conception heideggérienne de l'histoire de celle de la physique moderne: le temps «de la conscience humaine», néguentropique et porteur d'information, pourrait se comparer à une spirale ascendante, mais qui serait infléchie vers le bas par la spirale descendante du temps «physique», entropique et «désinformant». Voir, sui- cette question: Joël de Rosnay, Le macroscope (Seuil, 1975); Oliver Costa de Beauregard, La notion de temps (Hermann, 1963) et Le second principe de la s cience du temps (Seuil, 1963), où sont exposées les conceptions modernes du temps «non-segmentaire».

16 Cette idée de la «non-neutralité» de la technique se retrouve intégralement chez Jünger.

17 Cf., avec certaines réserves, le livre de Bernard d'Espagnat, A la recherche du réel (Gauthier-Villars, 1979), qui expose les idées modernes des physiciens sur la nature du «réel».

18 Les contradictions culturelles du capitalisme, PUF, 1979.

19 Notamment avec Descartes, puis avec Kant. Dans La Critique de la raison pure, de Kant, le primat du sujet est affirmé comme sujet percevant, ce qui fait suite à la conquète cartésienne de la subjective intellectuelle.

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lundi, 14 septembre 2009

L'influence de Henri Lefèbvre sur Guillaume Faye

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1997

Robert Steuckers:

L'influence de Henri Lefèbvre sur Guillaume Faye

Indubitable et déterminante est l'influence de Henri Lefebvre sur l'évolution des idées de Guillaume Faye; Henri Lefebvre fut un des principaux théoriciens du PCF et l'auteur de nombreux textes fonda­mentaux à l'usage des militants de ce parti fortement structuré et combatif. J'ai eu personnellement le plaisir de rencontrer ce philosophe ex-communiste français à deux reprises en compagnie de Guillaume Faye dans la salle du célèbre restaurant parisien “La Closerie des Lilas” que Lefebvre ai­mait fréquenter parce qu'il avait été un haut lieu du surréalisme parisien du temps d'André Breton. Lefebvre aimait se rémémorer les homériques bagarres entre les surréalistes et leurs adversaires qui avaient égayé ce restaurant. Avant de passer au marxisme, Lefebvre avait été surréaliste. Les conver­sations que nous avons eues avec ce philosophe d'une distinction exceptionnelle, raffiné et très aristo­cratique dans ses paroles et ses manières, ont été fructueuses et ont contribué à enrichir notamment le numéro de Nouvelle école sur Heidegger que nous préparions à l'époque. Trois ouvrages plus récents de Lefebvre, postmarxistes, ont attiré notre attention: Position: contre les technocrates. En finir avec l'humanité-fiction (Gonthier, Paris, 1967); Le manifeste différentialiste (Gallimard, Paris, 1970); De L'Etat. 1. L'Etat dans le monde moderne, (UGE, Paris, 1976).

 

Dans Position (op. cit.), Lefebvre s'insurgeait contre les projets d'exploration spatiale et lunaire car ils divertissaient l'homme de “l'humble surface du globe”, leur faisaient perdre le sens de la Terre, cher à Nietzsche. C'était aussi le résultat, pour Lefebvre, d'une idéologie qui avait perdu toute potentialité pra­tique, toute faculté de forger un projet concret pour remédier aux problèmes qui affectent la vie réelle des hommes et des cités. Cette idéologie, qui est celle de l'“humanisme libéral bourgeois”, n'est plus qu'un “mélange de philanthropie, de culture et de citations”; la philosophie s'y ritualise, devient simple cérémonial, sanctionne un immense jeu de dupes. Pour Lefebvre, cet enlisement dans la pure phraséo­logie ne doit pas nous conduire à refuser l'homme, comme le font les structuralistes autour de Foucault, qui jettent un soupçon destructeur, “déconstructiviste” sur tous les projets et les volontés po­litiques (plus tard, Lefebvre sera moins sévère à l'égard de Foucault). Dans un tel contexte, plus aucun élan révolutionnaire ou autre n'est possible: mouvement, dialectique, dynamiques et devenir sont tout simplements niés. Le structuralisme anti-historiciste et foucaldien constitue l'apogée du rejet de ce formidable filon que nous a légué Héraclite et inaugure, dit Lefebvre, un nouvel “éléatisme”: l'ancien éléatisme contestait le mouvement sensible, le nouveau conteste le mouvement historique. Pour Lefebvre, la philosophie parménidienne est celle de l'immobilité. Pour Faye, le néo-parménidisme du système, libéral, bourgeois et ploutocratique, est la philosophie du discours libéralo-humaniste répété à l'infini comme un catéchisme sec, sans merveilleux. Pour Lefebvre, la philosophie héraclitéenne est la philosophie du mouvement. Pour Faye, —qui retrouve là quelques échos spenglériens propres à la ré­cupération néo-droitiste (via Locchi et de Benoist) de la “Révolution Conservatrice” weimarienne—  l'héraclitéisme contemporain doit être un culte joyeux de la mobilité innovante. Pour l'ex-marxiste et ex-surréaliste comme pour le néo-droitiste absolu que fut Faye, les êtres, les stabilités, les structures ne sont que les traces du trajet du Devenir. Il n'y a pas pour eux de structures fixes et définitives: le mou­vement réel du monde et du politique est un mouvement sans bonne fin de structuration et de déstruc­turation. Le monde ne saurait être enfermé dans un système qui n'a d'autres préoccupations que de se préserver. A ce structuralisme qui peut justifier les systèmes car il exclut les “anthropes” de chair et de volonté, il faut opposer l'anti-système voire la Vie. Pour Lefebvre (comme pour Faye), ce recours à la Vie n'est pas passéisme ou archaïsme: le système ne se combat pas en agitant des images embellies d'un passé tout hypothétique mais en investissant massivement de la technique dans la quotidienneté et en finir avec toute philosophie purement spéculative, avec l'humanité-fiction. L'important chez l'homme, c'est l'œuvre, c'est d'œuvrer. L'homme n'est authentique que s'il est “œuvrant” et participe ainsi au devenir. Les “non-œuvrants”, sont ceux qui fuient la technique (seul levier disponible), qui re­fusent de marquer le quotidien du sceau de la technique, qui cherchent à s'échapper dans l'archaïque et le primitif, dans la marginalité (Marcuse!) ou dans les névroses (psychanalyse!). Apologie de la tech­nique et refus des nostalgies archaïsantes sont bel et bien les deux marques du néo-droitisme authen­tique, c'est-à-dire du néo-droitisme fayen. Elles sortent tout droit d'une lecture attentive des travaux de Henri Lefebvre.

 

Dans Le manifeste différentialiste, nous trouvons d'autres parallèles entre le post-marxisme de Lefebvre et le néo-droitisme de Faye, le premier ayant indubitablement fécondé le second: la critique des processus d'homogénéisation et un plaidoyer en faveur des “puissances différentielles” (qui doi­vent quitter leurs positions défensives pour passer à l'offensive). L'homogénéisation “répressive-op­pressive” est dominante, victorieuse, mais ne vient pas définitivement à bout des résistances particu­laristes: celles-ci imposent alors malgré tout une sorte de polycentrisme, induit par la “lutte planétaire pour différer” et qu'il s'agit de consolider. Si l'on met un terme à cette lutte, si le pouvoir répressif et oppresseur vainc définitivement, ce sera l'arrêt de l'analyse, l'échec de l'action, le fin de la découverte et de la création.

 

De sa lecture de L'Etat dans le monde moderne,  Faye semble avoir retiré quelques autres idées-clefs, notamment celle de la “mystification totale” concomitante à l'homogénéisation planétaire, où tantôt l'on exalte l'Etat (de Hobbes au stalinisme), tantôt on le méconnaît (de Descartes aux illusions du “savoir pur”), où le sexe, l'individu, l'élite, la structure (des structuralistes figés), l'information sura­bondante servent tout à tour à mystifier le public; ensuite l'idée que l'Etat ne doit pas être conçu comme un “achèvement mortel”, comme une “fin”, mais bien plutôt comme un “théâtre et un champ de luttes”. L'Etat finira mais cela ne signifiera pas pour autant la fin (du politique). Enfin, dans cet ouvrage, Faye a retenu le plaidoyer de Lefebvre pour le “différentiel”, c'est-à-dire pour “ce qui échappe à l'identité ré­pétitive”, pour “ce qui produit au lieu de reproduire”, pour “ce qui lutte contre l'entropie et l'espace de mort, pour la conquête d'une identité collective différentielle”.

 

Cette lecture et ces rencontres de Faye avec Henri Lefebvre sont intéressantes à plus d'un titre: nous pouvons dire rétrospectivement qu'un courant est indubitablement passé entre les deux hommes, cer­tainement parce que Lefebvre était un ancien du surréalisme, capable de comprendre ce mélange ins­table, bouillonnant et turbulent qu'était Faye, où se mêlaient justement anarchisme critique dirigé contre l'Etat routinier et recours à l'autorité politique (charismatique) qui va briser par la vigueur de ses décisions la routine incapable de faire face à l'imprévu, à la guerre ou à la catastrophe. Si l'on qua­lifie la démarche de Faye d'“esthétisante” (ce qui est assurément un raccourci), son esthétique ne peut être que cette “esthétique de la terreur” définie par Karl Heinz Bohrer et où la fusion d'intuitionnisme (bergsonien chez Faye) et de décisionnisme (schmittien) fait apparaître la soudaineté, l'événement im­prévu et impromptu, —ce que Faye appelait, à la suite d'une certaine école schmittienne, l'Ernstfall—  comme une manifestation à la fois vitale et catastrophique, la vie et l'histoire étant un flux ininter­rompu de catastrophes, excluant toute quiétude. La lutte permanente réclamée par Lefebvre, la reven­dication perpétuelle du “différentiel” pour qu'hommes et choses ne demeurent pas figés et “éléatiques”, le temps authentique mais bref de la soudaineté, le chaïros, l'imprévu ou l'insolite revendiqués par les surréalistes et leurs épigones, le choc de l'état d'urgence considéré par Schmitt et Freund comme es­sentiels, sont autant de concepts ou de visions qui confluent dans cette synthèse fayenne. Ils la rendent inséparable des corpus doctrinaux agités à Paris dans les années 60 et 70 et ne permettent pas de con­clure à une sorte de consubstantialité avec le “fascisme” ou l'“extrême-droitisme” fantasmagoriques que l'on a prêtés à sa nouvelle droite, dès le moment où, effrayé par tant d'audaces philosophiques à “gauche”, à “droite” et “ailleurs et partout”, le système a commencé à exiger un retour en arrière, une réduction à un moralisme minimal, tâche infâmante à laquelle se sont attelés des Bernard-Henry Lévy, des Guy Konopnicki, des Luc Ferry et des Alain Renaut, préparant ainsi les platitudes de notre political correctness.

samedi, 29 août 2009

Brief Guillaume Fayes an seine Freunde (1987)

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Brief Guillaume Fayes an seine Freunde (1987)

Liebe Freunde,

 

Als Kadermitglied und Funktionär des GRECEs seit 17 Jahre, habe ich seine Entfaltung, seinen Höhepunkt (1978-1982) und seinen Untergang (1982-1987) miterlebt.

 

Lange habe ich seinen Zerfall nicht akzeptiert und habe geglaubt, daß die Ursachen dieses Zerfalles konjunkturbezogen waren. Aber in Wirklichkeit sind diese Ursachen eher strukturell und, letzterhand positiv: der GRECE hat seine historische Aufgabe verwirklicht. Heute ist diese Aufgabe beendet. Die Arbeit der GRECE-Bewegung war wirklich grundsätzlich und kann heute befrüchtet werden. Es war eine konstruktive Arbeit, genauer die Rekonstruktion einer Ideologie und einer Weltanschauung. Die Bewegung hat auch Leute ausgebildet, die heute überall in der Zivilgesellschaft aktiv sind.

 

Deshalb, der dumme Wille, den GRECE “regenerieren” zu wollen, seine Botschaft steril zu wiederkauen und sie ständig so wiederholen, wie sie einst war, scheint mir heute völlig utopisch, unnötig und unmöglich zu sein. Ein solches nostalgisches Verhalten wäre nur eine Rückwärtsbewegung. Der GRECE war  ein Erfolg. Es künstlich im Leben zu halten wollen, würde notwendigerweise zu einem Fiasko führen. Der GRECE hat seine metapolitische und kulturelle Aufgabe optimal beendet. Mit den Meilsteinen, die er gelegt hat, können wir uns orientieren, um sein Werk in anderer Form zu vertiefen und für die Zukunft zu gestalten. Eine solche Transformation ist nicht nur notwendig, weil unsere Zeit es fordert, aber auch um die gestrige Arbeit des GRECEs effizient zu machen. Wir müssen diesen geistig-intellektuellen Korpus mehr Potenz und so denkend, ihm organisationell eine andere Gestalt geben.

 

Hauptaufgabe ist es, die ideologische Erbschaft fruchtbar zu machen. Wir müssen jetzt, ab sofort, zurück zur Wirklichkeit und deshalb eine moderne und interventiongerichtete Strategie entwickeln. Das ist der Grund, warum wir denken, daß das Werk des GRECEs jetzt abgeschlossen ist. Darum, höre ich heute auf, Mitglied des GRECEs zu sein. Und ich hoffe, daß die meisten von euch die gleiche Analyse wie ich machen werden. Obwohl ich nicht mehr Mitglied des GRECEs bin, bleibe ich trotzdem ein treuer Mitkämpfer unseres Kampfgemeinschaft.

 

Zwei Neuorientierungen scheinen mir interessant: ab 1992 wird Europa anfangen, als eine reale politische Wirklichkeit zu existieren. Die Grenzen werden sich tatsächlich öffnen. Bald wird eine gemeinsame Währung kommen, usw. Wir müssen notwendigerweise diese Möglichkeiten benutzen, die uns unsere Feinde geben. Diese bauen praktisch einen europäischen Großraum für uns und geben uns so die Möglichkeit, eine gesamteuropäische Kampforganisation zu schaffen, die der Kern einer künftigen gesamteuropäischen Gemeinschaft für unsere eigene Weltanschauung sein wird.

 

Die Ideologie, die wir seit vielen Jahren innerhalb der GRECE-Denkfabrik ausgearbeitet haben, war von einer spezifischen Kernidee im Leben gehalten und diese Idee war die Befreiung des gesamteuropäischen Kontinents, damit an die Schaffung einer gesamteuropäischen Reichsgemeinschaft gearbeitet werden könnte. Aber eine solche Idee hat nie in der Geschichte Wirklichkeit gefunden.

 

Die Amerikaner leben in einer antiquierten Welt, weil der amerikanische Traum schon da ist, und deshalb, weil er da ist, ist er unwiederruflich alt. Der amerikanische Traum ist eine alte Sache, ist schon volle Wirklichkeit geworden. Aber unser Traum ist hypermodern, weil er noch nicht da ist, liegt vor uns in einer noch relativ fernen Zukunft. Deshalb ist unser Traum jugendhaft.

 

In diesem Sinn und mit einem Optimismus, die wir von dem Bewußtsein unserer in den GRECE-Jahren erarbeiteten Tradition und unserer langen Gedächtnis geerbt haben, kann unser Projekt entstehen und sich entfalten: wir werden eine flexible Organisation stiften, die nicht nur Frankreich-zentriert sein wird, aber sich überall in allen Ländern des Kontinents entwickeln wird, wir werden in allen möglichen Schichten und Dimensionen der Gesellschaft intervenieren, aber immer mit dem Vorhaben, eine Reichsvision für das künftige Europa zu schmieden.

 

Die zweite Neuorientierung ist die folgende: die Ideen, die der GRECE verbreitet hat, eben unter den völlig inadequaten Namen der “Neuen Rechten”, leben und verbreiten sich sehr weit über die engen Grenzen aller möglichen rechtskonservativen Denkschulen. Deshalb sollte die post-GRECE-istischen Nachfolger-Bewegung total modernistisch sein, alles, was die soziologische Rechte darstellt, überwinden, sich an allen neuen Impulsen aus der Gesellschaft öffnen, und hauptsächlich die nostalgisch-folkloristische Rechte eine definitive Absage erklären. Diese neue Bewegung wird als Beruf haben, alle Leute aus allen möglichen Horizonten zu gruppieren, wenn sie grundsätzlich unser Programm zustimmen. Zusammen müssen wir entschieden alle Formen der Abhängigkeit und der Unterwerfung, irgendeiner Rechten oder Linken gegenüber, zurückwerfen.

 

Ziel ist es, die Grundlagen einer Bewegung zu erarbeiten:

- 1. die sich in allen Ländern des Kontinents verbreiten wird;

- 2. die alle alten Schablone und Spaltungen überwindet;

- 3. die die Erbschaft unserer Arbeit in den GRECE-Jahren fruchtbar macht;

- 4. die als Ziel haben wird, konkret eine neue politische und aktive Elite zu schmieden, um positiv in der Zivilgesellschaft intervenieren zu können.

 

Eine solche Arbeit wird lang, schwer und mühsam sein. Sie ist aber lebenswichtig und soll sofort von jetzt ab angefangen werden. Es wäre auch notwendig und logisch, daß die meisten Mitglieder und Sympathisanten des GRECEs sich in dieser neuen Bewegung einen, weil diese die allein mögliche historische Kontinuität darstellen wird. Natürlich neue Menschen, die aus allen Horizonten zu uns kommen werden, werden sich mit uns in diesem Kampf verbrüdern. Um der realen Welt die Stirn bieten zu können, um in dieser realen Welt Aktion führen zu können, werden wir dringend diese neuen Menschen brauchen.

 

Auf der juridischen Ebene, ist der Kern dieser neuen Bewegung (die weder eine Partei noch ein Apparat ist!), die dazu bestimmt ist, neue Energie in unserer Bewegung einzufliessen, ist schon gestiftet worden. Er hat die juridische Gestalt einer Stiftung und heißt: EUROPA.

 

Diese neue Bewegung steht noch in seiner Vorbereitungsphase und wird nur real und konkret auf europäischer Ebene am Anfang des nächsten Uni-Jahres, also im September 1987 existieren. Geburtsstunde wird die Sommeruni 1987 sein, die wir im Region Nivernais Ende August halten werden (wir können über unseren üblichen Versammlungsort in der Provence dieses Jahres nicht verfügen). Während dieser Sommeruniversität werden wir die Grundlagen unserer künftigen Arbeit festlegen.

 

Es ist notwendig, daß viele von euch sich sofort einschreiben.

 

Jetzt zur Arbeit, liebe Freunde!

Mit meinen freundlichsten Grüßen,

 

Ihr, Guillaume Faye, Mai 1987.

dimanche, 18 janvier 2009

Por la autodefensa étnica integral: Reflexiones sobre "La colonizacion de Europa" de Guillaume Faye

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Por la autodefensa étnica integral: Reflexiones sobre "La colonización de Europa", de Guillaume Faye

Stefano Vaj

[Traducción de Santiago Rivas]

Conocí a Guillaume Faye en París en 1978, durante el undécimo congreso anual del GRECE (Groupement de Recherche et Etudes pour la Civilisation Européenne), en el momento álgido de una personal "crisis de identidad".

Aun siendo yo muy joven, llevaba cuatro o cinco años sumergido en un ambiente que creía hacer política prestando el empeño militante al sostenimiento del MSI, un partido sustancialmente empeñado en administrar los restos italianos de la derrota militar europea. Peor aún, la estrategia de aquella administración consistía en aguardar a la espera de ser finalmente reciclada, y en ofrecer sus servicios a las franjas más a la retaguardia de la "clase dirigente" vaticanista-capitalista-masónica –en una época un tanto preocupada por la atenuación de la guerra fría y por la garantía americana, así como por la concurrencia de los "compañeros de reparto" de observancia soviética.

Por lo demás, tal ambiente vivía en una absoluta esquizofrenia política, permaneciendo unido casi exclusivamente por el ansia de diferenciarse y por el rechazo respecto a la línea general biempensante, conservadora y ávida de respetabilidad, del partido; aquel mismo partido del cual continuaban frecuentando sus sedes, sosteniendo sus listas, suscribiendo sus manifiestos, etc. Los varios personajes que encontré no eran por lo demás ajenos a los miles de pequeños compromisarios, aunque llevasen cargos cuya denominación altisonante se correspondiese con una absoluta falta de poder real; además, pertenecían a connotaciones ideológicas tan variadas como carentes de correspondencia con mis propias ideas, o por mejor decir, a la sensibilidad que me había aproximado a un ambiente tal. Católicos integristas, anticomunistas genéricos, personajes convencidos de que la guerra mundial había sido combatida para hacer participar a cualquier representante sindical en las reuniones de los consejos de administración ("...como en Alemania Federal, como en Yugoslavia"), tradicionalistas y esoteristas al borde de la sesión espiritista, nihilistas, admiradores indiscriminados del militarismo chileno, israelita o francés, pseudoidealistas que nunca habían leído una línea de Spirito, Gentile o Fichte, vestales y adoradores de una crónica política pasada y mal comprendida; pero el empacho de la elección no era algo que me repugnase mayormente. Por muchos aspectos una corte de los milagros, en suma, cuyos miembros eran ciertamente "desviados" pero también en gran parte "recuperados" por el Sistema, presa de sugestiones ideológicas cuya gran variedad iba solamente a la par de la sustancial extrañeza de esos elementos con la "tendencia histórica" encarnada por las grandes revoluciones nacional-populares de la primera mitad del siglo, por Nietzsche, Wagner y Stefan George, Marinetti, D´Anunnzio y Drieu La Rochelle.

La imagen tan caricaturesca, demoníaca y en el fondo ridícula que de tal ambiente era ofrecida desde el exterior, con su intrigante perfume de azufre, era casi más atractiva que la mediocre realidad que yo experimentaba directamente cada día

El contacto con el ambiente francés, por entonces principalmente representado por el GRECE, "Groupement de Recherches et Etudes pour la Civilisation Européenne" (1), fue, por todo lo dicho, mucho más que una agradable sorpresa. No me había inventado una pertenencia literaria a una comunidad mítica irremediablemente extinta; aún existían personas que verdaderamente compartían aquellos valores que me habían atraído hacia un mundo italiano que teóricamente habría debido ser su heredero, pero que no usaba argumentos de acción histórica ni de "gran política".

Por lo demás, el movimiento francés, después de un decenio de duro trabajo, se encontraba visiblemente en la espera de un gran suceso, intentando agregar en torno suyo "compañeros de viaje" de notable renombre y, sobe todo, de suscitar un séquito, pequeño pero entusiasta, en numerosos países europeos, de Bélgica a Grecia, de Alemania a Inglaterra, de Suiza a la misma Italia. Un séquito que únicamente pedía ofrecer su propia contribución, creando comunidades locales o participando en el trabajo de difusión de ideas por medio de conferencias, publicaciones e infiltraciones en los medios de comunicación y de la universidad.

Pero alejemos las divagaciones. El congreso en cuestión trataba sobre "L´inégalité de l´homme", y venía a focalizar uno de aquellos temas que ya habían sido estabilizados como "leit-motivs" de la batalla cultural del movimiento, temática de identificación, de encuentro y alternativas de nuestra época, de antítesis frente a las ideologías de matriz judeo-cristiana, democrática, marxista, etc., y de visión del mundo antiigualitaria, aristocrática y sobrehumanista.

Entre los participantes se encontraban, naturalmente, Alain de Benoist el intelectual; Giorgio Locchi el filósofo –que habría de ser mi gurú y "maitre á penser" personal, si alguna vez tuve alguno, y cuya intervención en el congreso fue posteriormente publicada por "l´Uomo libero" n.6 con el título "Mito y Comunidad"–; y, sobre todo, Guillaume Faye el militante, el ponente que sin duda más me impactó.

Orador excepcional, hipnótico en su lectura de una relación escrita en la atenuada atmósfera de un convenio de estudios en un palacio de congresos, Guillaume Faye se asemejaba físicamente y en sus movimientos un poco al joven Feddersen interpelado por Gustav Froelich, el protagonista de "Metrópolis", de Fritz Lang; y era ya indiscutiblemente el astro en alza del movimiento. Especialmente para un dieciochioañero sediento de coherencia y pasión, pero también asaltado por la despreocupación, Faye daba la impresión de un "lúcido fanatismo" en donde de mezclaban reminiscencias del Che Guevara, D´Annunzio, Ignacio de Loyola y Goebbles, lejos, muy lejos de ese material humano sectario y arribista, conformista y reaccionario que dominaba en mi experiencia política de la Italia del momento. Las noches pasadas en discutir las cuestiones fundamentales de nuestra época y del futuro de Europa en la campiña provenzal de la Universidad de Verano del GRECE fueron, desde el principio, una bienvenida bocanada de oxígeno.

No sorprendía por ello que Faye fuese simplemente adorado por toda la base del movimiento, incluyendo los componentes internacionales, obviamente menos atraídos por otros exponentes condicionados por un residuo de "espíritu de salón parisino", o bien por una excesiva preocupación por la administración de las vicisitudes cotidianas y locales de la asociación. Y fue precisamente con Faye, Pierre Vial, Jason Hadgidinas y otros camaradas europeos de este ambiente con quienes nos reencontramos pocos años después en Grecia, en el santuario de Apolo en Delfos, al alba, para jurar en diez lenguas en una ceremonia privada nuestra fidelidad a Europa, a sus Dioses y al Sol (re)naciente de su cultura, tras el solsticio de invierno de nuestra época.

Ese rol especial de Guillaume Faye vino después a enfatizarse cuando, poco después, el movimiento, bautizado para la ocasión por los "media" como Nueva Derecha, tomó el control de la redacción de la revista "Figaro-Magazine", apareciendo en la primera página de los diarios de todo el mundo, ilusionándose por un instante de haber afirmado unas raíces inextirpables en la oficialidad. Excluyendo a unos pocos personajes dedicados a misiones meramente organizativas, Faye fue prácticamente el único que no jugó sus cartas en los medios tradicionales, en los círculos intelectuales acreditados y en la universidad, el único que permaneció empeñado únicamente en el movimiento, para el cual trabajaba a tiempo completo, en donde sus problemas de supervivencia eran de naturaleza puramente… económica. En semejante posición particular, Faye abrió algunos temas y frentes de lucha fundamentales que más tarde resonaron en toda Europa. En "El sistema contra los pueblos", traducido por mí mismo al italiano para "Edizioni dell´Uomo libero" y recientemente reeditado por "Societá Editrice Barbarossa" (2), constituyó el primer manifiesto contra la globalización publicado en nuestro continente, durante la época de los bloques y de las últimas etapas de la descolonización. La versión definitiva en la cual fue publicada el libro constituyó el fruto de una lucha épica, típica de Faye, contra los editores de "Copernic", por entonces la principal editorial del movimiento. Como es sabido, en el mundo francés y más aun en el anglosajón no son las editoriales (o publisher), sino los editores que jamás han publicado un renglón propio quienes pretenden enseñar a los escritores qué es escribir y cómo se escribe. En el caso, estas figuras no solamente discutían problemas de puntos y comas, de extensión de los capítulos o de "provocaciones" lo suficientemente atractivas para suscitar la atención de esos lectores que raramente superan las primeras páginas antes de regresar definitivamente sobre la cubierta, sino que también ejercieron una tentativa de atenuación y sustancial censura política de un mensaje considerado esta vez demasiado "paradójico", "visionario", "poco realista", "poco serio". El hecho de que el libro sea hoy una descripción fiel de cuanto positivamente ha sucedido y está sucediendo ante los ojos de todos, es el fruto y el testimonio del increíble entusiasmo y energía destinados a convencer, ilustrar, re-escribir la re-escritura de personajes más o menos ignotos, y al final… conseguirlo por cansancio.

Del mismo modo, Guillaume Faye fue quizá el primero en identificar en los Derechos Humanos la doctrina sincrética y final de la tendencia humanista, que el marxismo no ha sabido ser, y que representa el punto de convergencia final, post-ideológico, de todas las corrientes laicas y religiosas en las cuales tal tendencia se ha subdividido después de su afirmación en Europa con el edicto de Teodosio y la derrota de los sajones. El "especial" publicado al respecto por uno de los números de "Elèments" constituyó la inspiración para mi tesis de licenciatura, que después constituyó el núcleo de mi libro publicado con el título "Indagine sui Diritti dell´Uomo" (3) (L.Ed.E., Roma 1985), prologado por Julien Freund, y el cual dediqué al propio Faye. Otra piedra miliar en el recorrido de Faye es la representada por la publicación del "Nouveau Discours à la Nation Européenne" (4), incitación fichteana a la reivindicación de la propia identidad, al redescubrimiento de la fuerza de Europa y a la revuelta contra la dominación extranjera y mundialista de nuestro espacio vital; obra que el autor logró ver publicada por una editora "oficial" (Albatros), con introducción de Michel Jobert, exministro de De Gaulle.

Y aunque hoy pueda parecer banal, debemos a Faye la definitiva liquidación, en "L´Occident comme déclin" (5), de una confusión que hacía todavía a finales de los años setenta a los cantautores nacional-revolucionarios glorificar a la "civilización occidental", mientras algunos epígonos franceses de aquellos que habían combatido en Normandía contra los americanos aún denominaban "Occident" a uno de los pocos movimientos políticos con una cierta importancia. Igualmente, fue nuestro autor el primero en reproponer, en oposición tanto al progresismo ingenuo como al rechazo tradicionalista y neolúdico, la visión faústica de la técnica, relacionándola con la sensibilidad postmoderna que lucha por emerger en la cultura contemporánea ("Hermes, le retour du sacré". Ed. Le Labyrinthe). Siempre a Faye debemos, además, el clarividente análisis sociológico sobre "La Nueva Sociedad de Consumo", o el relanzamiento de modelos económicos alternativos basados en los grandes espacios continentales autocentrados y semiautárquicos (ver el artículo "Por la independencia económica", publicado en italiano por "l´Uomo libero" n. 13). Y podríamos continuar extendiéndonos, empezando por sus traducciones en esta misma revista que pueden consultarse en el sumario de números atrasados.

Por lo demás, frente a mi experiencia directa de la realidad italiana que se distinguía en asociar paradójicamente "fraccionismo" y conformismo, la acción de Faye en el ámbito de la Nueva Derecha conjugaba hasta el extremo disciplina y libertad de espíritu, por cuanto él mismo es uno de los pocos en recoger verdaderamente, junto a otras "piedras en el estaño", la invitación a intensificar el "debate interno" –concepto que ha preocupado durante un cierto periodo a los espontáneos del movimiento, obsesionados con la idea de devenir, o ser percibidos como, una "secta".

Entretanto, había llegado el tiempo de las intervenciones críticas sobre la cuestión religiosa y sobre la postura del GRECE en esta materia.

En efecto, la experiencia común mostraba que cuando en el neo-paganismo la partícula "neo" es gradualmente olvidada, fácilmente aparece la obsesión por la "positividad" y la "legitimación".

Después de todo, mientras es perfectamente posible ser el único, o el último, cristiano, musulmán o judío del mundo, la "religión", desde el punto de vista pagano, es aquello que "liga al conjunto" de un pueblo y a éste con sus orígenes. Pero, desde el momento en que el paganismo innegablemente no es una religión positiva, o bien se tiene el coraje trágico y zaratrustiano de intentar conscientemente la creación de formas originales y de nuevas "normas de valores", ciertamente inspiradas en el pasado que se reclama, pero precisamente por ello distintas, o bien es absolutamente central la búsqueda de una "legitimación" de cualquier tipo. Ésta, para los tradicionalistas evolianos o guenonianos termina regularmente por ser esotérica (los Sabios Ocultos, el Rey de la Montaña, la Tradición Oculta, etc.), cuando no termina por confluir en muchos casos en el Islam, en cualquier variante minoritaria del catolicismo católico u ortodoxo o, mucho peor aún, en los sincretismos vagamente masónicos o New Age.

Para el GRECE, sin embargo, como ya antes para el movimiento völkish de la Alemania de los años treinta, tal búsqueda de legitimación es, antes que metafísica, esencialmente sociológica, tendente a valorizar como "políticamente" importante cualquier fósil de creencia o hábito popular del cual se pueda hipotetizar un origen autóctono, precristiano o simplemente a-cristiano, desde la "fiesta del conejo" a las "estatuas de la felicidad" y otros folklores.

Respecto a todo ello, fue nuevamente Faye el reivindicador, mediante un famoso artículo en "Elements", de las razones de un paganismo laico, solar y postmoderno, abiertamente nietzscheano, distiguiéndose netamente de la obsesión de la "ninfa en su capullo" y de las manías de un "catolicismo a la inversa" de muchos conspicuos componentes de la Nueva Derecha, condicionada así por la rivalidad con las confesiones cristianas que a veces terminaban por remendar.

Artículo profético respecto a la más tardía "evolución" de un De Benoist, el cual, comenzando desde un interés hacia el empirocriticismo y la epistemología russelliana o popperiana, acabó paradójicamente, después de su libro "¿Cómo ser pagano?" (6) y tras un paréntesis heideggeriano, discutiendo con cristianos y judíos sobre metafísica y valores comunes de matriz sustancialmente neoplatónica o neognóstica, sobre cuya base poder atribuir la palma de la superioridad moral a Séneca o a Pablo de Tarso como oponentes de la secularización (ver, por ejemplo, su obra sobre "L´éclipse du sacré" ) (7). Si alguien desea ver los detalles del fin de un sueño no tiene más que leer las páginas de la nueva y extensa introducción de Robert Steuckers a "El sistema contra los pueblos", añadida a la mía en la última edición ya citada del libro de Faye.

A finales de 1986 la crisis anunciada por Giorgio Locchi ("todo lo que está de moda pasa de moda…") llegó a su maduración. Los animadores originales del GRECE, cuando no han sido simplemente recuperados por el Sistema, se encuentran reducidos por un lado a una dimensión de puro testimonio y, por el otro, son cada vez más marginalizados por la realidad de la vida cotidiana de la asociación, dedicada a burocráticos empeños de recolección de fondos para pagar al personal dedicado a recoger fondos… en una degeneración estilo Cienciología. Otros han decidido jugar la carta del Frente Nacional de Le Pen, en su tiempo duramente ridiculizado y ahora en posición de ridiculizar a su vez a la Nueva Derecha, que ya no es percibida como un sujeto dotado de un proyecto histórico o político y aparece reducida a un simple productor de conferencias y publicaciones con ambiciones limitadas.

Los temas de las publicaciones del área (en sustancia "Elèments", "Nouvelle Ecole" y su réplica de infeliz título "Krisis") cada vez son más refinados y literarios. El mismo Alain de Benoist, en una especie de regresión romántica, confiesa a Faye, a mitad de los años ochenta, estar cada vez más interesado en las "imágenes" antes que en las "ideas", hasta el punto de que éste último, en una conversación privada conmigo mismo durante el mismo periodo, describe la contraposición entonces presente en el ambiente como la de los "germanómanos no sobrehumanistas frente a los sobrehumanistas no germanómanos". Entre las consecuencias de tal deriva cabe destacar la extremización de las operaciones consistentes en el reclamo y valorización de los más estrafalarios componentes y sectores de la Revolución Conservadora alemana, por cuanto puedan alabar cualquier disidencia frente a los regímenes fascistas de los años treinta. Es más, era progresiva la concentración sobre temas de carácter sustancialmente histórico, literario y mítico, a despecho de las grandes argumentaciones de naturaleza sociológica, tecnocientífica, política, económica, sobre las cuales, en los años precedentes, el movimiento había tomado posiciones fuertemente originales e innovadoras.

Frente a la creciente presión de la censura y del "pensamiento único", el movimiento responde, por lo demás, con un creciente silencio sobre temas decisivos, paradójicamente acompañado de una constante irrigación de los temas secundarios y por "fugas hacia delante" difícilmente comprensibles para el público propio, como el guiño de ojos a un filosovietismo a lo Jean Cau, del todo onírico y prontamente liquidado por la evolución histórica. También por la incapacidad de no hacerse un hueco en las antítesis del debate político (nacionalismo-cosmopolitismo, liberalismo-socialismo, aborto sí aborto no, ecologismo-antiecologismo, feminismo-antifeminismo, imperialismo-anticolonialismo, comunismo-anticomunismo, etc.), por pretender imponer los propios, pero que se transformará o bien en una incapacidad de tomar posiciones sobre los problemas centrales de nuestro tiempo o bien en un gusto por la batuta brillante y por los eslóganes con fin en sí mismos.

Toparon después con el peine los nudos de los errores políticos y propagandísticos cometidos. El primero de todos: la obsesión con evitar ser presos de cualquier suerte de "internacional negra", y la falta de compresión del potencial de una dimensión verdaderamente internacional, más fácilmente accesible; por ejemplo en términos de capacidad de superar las crisis locales contingentes, de disminución de la vulnerabilidad a la represión y al "black-out" mediático, de movilización mítica de los militantes. Secundariamente, pesó muy negativamente el progresivo vacío de la función central del GRECE (presa del micro-leninismo de los funcionarios antes descritos, siempre más asfixiantes en su tentativa de sobrevivir a sí mismos en su improductividad metapolítica) a favor de una supuesta "corriente" y "comunidad", de cuyos confines e identidad, por cuanto indefinidos, se hipotetizaba que eran los mejores para mantener la riqueza, variedad u organicidad típicas de los grandes movimientos culturales, y sobre todo para evitar los golpes de la reacción, penetrar en los ganglios del poder cultural y evitar la temida "transformación en secta". En fin, al final terminó insostenible para muchos la ambigüedad respecto a los temas de la política real, cuyos contenidos eran justamente rechazados como inesenciales, pero que terminaron condicionando negativamente al movimiento como una suerte de "angelicalismo" y de "neutralidad" en toda materia, dada las posiciones públicas de Alain de Benoist, quien había rechazado en los años setenta, patrocinado por Maurizio Cabona, asumir la titularidad de una firma en el "Candido" de Giorgio Pisano, revista no precisamente arcádica.

Esta involución no pudo remediarla por si solo Guillaume Faye, con una incesante animación de iniciativas siempre más personales y "paralelas" –desde las transmisiones radiofónicas de temática postmoderna "Avant-Guerre", hasta la creación de siglas y actividades –como "l'Institut des Arts et des Lettres" (Instituto de las Artes y las Letras) o el "Collectif de Réflexion sur le Monde Contemporain" (Colectivo de Reflexión sobre el Mundo Contemporáneo)–, llevadas adelante sin un sueldo, un apoyo o un patrocinador, y contempladas con indiferencia, suficiencia y creciente hostilidad desde los vértices del movimiento, aparentemente cada vez más interesado, cuando no se ocupaba por la contabilidad, por las mistificaciones del arte moderno, la poética sobre los elfos en la Sajonia del siglo XV o los "decisivos" debates con Thomas Molnar sobre la cuestión de si lo divino se expresa "en" el mundo o "a través de" el mundo.

El abandono final de Faye devino así –junto con la muerte de Locchi, por lo demás ya aislado del movimiento muchos años antes, en el aparente ocaso de la Nueva Derecha– el símbolo de la conclusión de un ciclo, y el inicio de un periodo de relativa desmovilización en toda Europa, que vió a algunos refugiarse en la política tradicional, a otros en el ámbito de lo privado, y a muchos en confortables "capillas" locales con contactos externos cada vez más reducidos. Sin animar las escisiones, sin intentar apuntalar un flanco ni señalar una dirección, sin mucho menos "convertirse" a lo Marco Tarchi, Guillaume Faye se retira durante un decenio a la sombra, mientras el GRECE, naturalmente sin pagar derechos de autor, continúa utilizando sus escritos, no sin tolerar ciertos rumores según los cuales Faye estaba loco, tenía el cerebro embrutecido por la droga o había sido reclutado por la CIA.

En este escenario, su re-emersión, a finales de los "malditos" años noventa que vieron el derrumbe de tantas esperanzas y el triunfo del Sistema mundialista inútilmente denunciado y combatido con increíble clarividencia, no pudo sino representar para mí un presagio de buen augurio, y un estímulo para una re-movilización de cada uno, con el acostumbrado "pesimismo de la razón, optimismo de la voluntad", que no es sino la lógica del que no puede hacer otra cosa y no puede sino encontrar una dimensión existencialmente atractiva en la sola propia vida cotidiana, profesional y familiar.

Que los diez años no habían pasado en vano está bien ilustrado por la aparición del ensayo sobre "El Arqueofuturismo" (París 1998, L'Aencre, 12 rue de la Sourdière) (8), que en trescientas páginas diseña un balance comprensivo de treinta años de debate político y cultural europeo, de la sociología de la concertación a la política y el significado cultural del deporte, del cine y la música a la genética y la homosexualidad, de la inmigración y la globalización a los modelos económicos, la religión y la ecología, para concluir con una "novela" arqueofuturista que constituye una sugestiva continuación al prólogo de "El Sistema contra los pueblos": si entonces se trataba de una figuración, durante una época considerada "paradójica", de cómo el mundo estaba en efecto a las puertas de su transformación con la victoria mundialista, ahora se trataba de la descripción de un mundo inversamente transformado en un escenario "arqueofuturista", en donde también tenía su pequeño puesto un… descendiente directo mío en la Milán del año 2073.

Como siempre, la mirada penetrante de Faye diseña nuevas pistas ya antes batidas, une lo impensable, despedaza los ídolos y los tópicos del pensamiento hegemónico, combate el conformismo… del pensamiento anticonformista, ayudando a cada uno de nosotros a pensar hasta el fondo todo aquello que ya piensa. La ruptura con la Nueva Derecha, de cuyas experiencias diseña un balance equilibrado y al margen de toda lógica de resentimiento personal que pudiera tener miles de justificaciones, hace ahora más libre el análisis tanto de las tendencias dominantes (respecto a las cuales destacan las cautelas del "political correctness" presentes en tantos escritos del movimiento) como de las carencias del mundo que ha buscado defenderse y afirmarse en oposición a ellas, desde el redescubrimiento de las identidades regionales a la defensa del cine nacional desde una oposición política militante.

"El Arqueofuturismo" fue continuado, por la misma editorial, por una reedición corregida y aumentada" del ya citado "Nouveau discours à la Nation Européenne", seguido a su vez por "La colonisation de l´Europa – Discours vrai sur la Colonisation et l´Islam" (9), que representa uno de los más interesantes estudios publicados en materia de política demográfica, inmigración y colonización de nuestro continente.

Decimos "estudio" para subrayar el grado de profundización, pero también insólito en cuanto al argumento y el trato. Aunque no será ciertamente una sorpresa para los lectores que conozcan al autor, es necesario precisar que las intenciones del libro no son precisamente "inocentes".

"Son muchos los que intentaron disuadirme de escribir este libro. Me avisaban con argumentos del tipo: No es necesario decir las cosas como son. Es peligroso, ¿Entiendes? Hubieras podido escribir un ensayo ilegible y pseudofilosófico, o vagamente sociológico, sobre las virtudes comparadas de la asimilación, la integración y el comunitarismo. Pero el intelectualismo burgués no me interesa (…) La apuesta de la disidencia es hoy la más fecunda. Ésta es la del pensamiento radical… Se trata de retornar –lejos de todo extremismo– a las raíces de las cosas, y atacar las cuestiones fundamentales de la época. No se debate del sexo de los ángeles cuando los bárbaros asedian Constantinopla. Ahora bien, la cuestión principal de la época es la más visible y a un tiempo la más clandestina, aquella de la que todos hablan pero que no es abordada sino con medias palabras y en voz baja, es decir la colonización demográfica que sufre Europa por parte de los pueblos magrebíes, africanos y asiáticos y se acompaña con una empresa de conquista del suelo europeo por parte del Islam. No es una curiosidad política, es un advenimiento histórico clamoroso, sin precedente alguno en la historia europea por mucho que queramos alargar la memoria. Se trata ante todo de tomar acto, de desvelar a las conciencias este hecho capital. No para admitirlo ni para mejor "convivir", sino para rechazarlo y abrir el debate sobre la manera de combatirlo e invertir su marcha (…) Es urgente. La casa está en llamas. No se trata de hacer folklore, ni de insultar, ni de profundizar en delirios odiosos, ni de un racismo de portería. Se trata de afirmar. De afirmarse con rigor y con determinación y defender el derecho imprescindible de los europeos a continuar siendo ellos mismos, un derecho que se les niega mientras le es reconocido a todos los otros pueblos del mundo… El tiempo de las prudencias metapolíticas ha terminado". Y el autor concluye: "En este libro preconizo la guerra civil étnica y apelo a la Reconquista".

Podemos continuar. El libro contiene gran cantidad de datos, anécdotas, análisis, refutaciones, puntos que desenmascaran la censura de desinformación del Sistema sobre el tema, que denuncian la gravedad calamitosa de las consecuencias socio-politicas y socio-económicas que se anuncian, poniendo en vereda las ilusiones de controlar el fenómeno y las "ilusiones" prefabricadas sobre las cuales debate la "política politicante".

Contiene también numerosas provocaciones, fecundas y desalentadoras también respecto a ideas o temas dados por descontado entre los opositores al mundialismo. Leemos, por ejemplo, respecto a los pueblos del Tercer Mundo: "No somos nosotros quienes han "destruido sus culturas", como pretenden los defensores –en el fondo rousseanianos y adeptos del mito del buen salvaje– del etnopluralismo, ya sean de derecha o de izquierda. ¿Después del paso de los europeos, las culturas árabe, índia, china, africana, etc., se han cancelado y desaparecido? Para nada. En realidad han quedado mucho más vivas y mucho menos occidentalizadas y americanizadas que las pobres culturas europeas". O aun más: "En general, el pauperismo de muchos países del sur del mundo no es la consecuencia del colonialismo o del neocolonialismo, sino de la incapacidad de hacerse cargo de sí mismos, aun cuando posean inmensos recursos naturales. También yo he pensado que el colonialismo europeo era cínicamente responsable, por gusto del beneficio, del pauperismo del Tercer Mundo. Es una visión intelectual que abandoné hace tiempo".

Otra tendencia de un cierto fenomeno en Italia, de la cual el libro hace sumariamente justicia, es aquella que Faye había liquidado junto a la Nueva Derecha de los inicios de los años ochenta, pero que ahora resurgía a caballo de su involución neotradicionalista. Hablamos de la tendencia a afirmar la existencia de una Tradición fundamentalmente unitaria, metacultural y metarracial por cuanto metafísica, de la cual Europa habría participado en el pasado, "paritariamente" (según el Evola de postguerra), o "parasitándola" del Oriente (como dice Guénon), y cuyos vestigios sobrevivieron eventualmente en otro lugar. Es obvio que el "antimodernismo" de tales corrientes no es en absoluto suficiente para fundar teóricamente una praxis política y metapolítica de oposición a la globalización. En conjunto, no representan sino una variante "invertida" del progresismo linealista, universalista y homologador del Sistema, en la común indiferencia a las tradiciones concretas y plurales y a la conservación y desarrollo de las identidades irreductibles de las cuales está compuesta la especie humana, indiferencia fundada sobre una supuesta "unidad trascendente de todas las religiones", así como de todas las razas y culturas (que representarían, a lo sumo, grados diversos en una jerarquía de valores comunes, o de decadencia irresistible).

Aún más. Faye es muy claro en reivindicar los límites de la tolerancia "politeísta" al Otro-en-sí, límites por lo demás bien presentes también en la reacción de la romanidad más conservadora y menos decadente, de Nerón a Celso y Juliano, contra la intolerancia y el sectarismo de importación medio-oriental que habia llegado para pervertir la identidad etno-cultural del Imperio. Sobre un plano más político, otro tema subyacente a todo el texto contenido en "La colonización de Europa" es la implícita visión identitaria que hace forzosamente diferentes las naturalezas de los movimientos migratorios internos, intraeuropeos, y la colonización por parte de las poblaciones foráneas.

Es este un aspecto que merece ser resaltado en nuestro país (Italia), donde los obispos predican la inmigración de asistentas y trabajadores filipinos, "bravos católicos", y donde todo transexual mulato brasileño encuentra trabajo rápidamente en las calles tras desembarcar con un visado de turista en cualquier aeropuerto nacional, mientras las raras "exhibiciones de fuerza" del régimen son reservadas a croatas, albaneses, búlgaros, yugoslavos, rechazados de cuando en cuando al mar con sus mujeres e hijos, concentrados a la Pinochet en los estadios por orden del ministro del interior, ¡mientras su gobierno discute la admisión en la Unión Europea de Israel y Turquía!

Los mismos procesos lingüísticos en uso tampoco son inocentes. La imposición por parte de los "media" y del lenguaje burocrático del término "extracomunitario" (término nunca aplicado a los suizos o americanos, y que en sustancia significa "de color") es absolutamente elocuente de la tentativa de acreditar una pretensión común de pertenencia económico-comunitaria y promover una "solidaridad" implícita, pongamos por caso, con un jamaicano de ciudadanía británica o con un nacional de religión judaica, en contraposición a la pretendida "extrañeidad" nacional de un húngaro o de un croata. También esto sirve para negar y dividir la identidad europea, facilitando su fagotización. Por lo demás, el libro de Faye es sobre todo una invitación a la reflexión, a la toma de posiciones y al debate. "Las tesis que sostengo no son dogmas. Llevar el debate hasta las cosas esenciales, electrizar las consciencias, éste es mi único objetivo. Soy un provocador. Informaos sobre la etimología latina de este término".

Por ello recojo la invitación del autor continuando un diálogo personal y a distancia que dura ya, al menos, veinte años, tomando posiciones sobre algunas de las cuestiones por él levantadas.

Un punto sobre el cual Faye, yo, y lo que resta de la Nueva Derecha estamos absolutamente de acuerdo es en la crítica y el rechazo del asimilacionismo, o del denominado "racismo integracionista". La procedencia francesa de la más fuerte denuncia de esta tendencia, sea en sus formas explícitas y conscientes como en sus formas latentes, es más que significativa. Francia es, en efecto (aunque en medida menor que los Estados Unidos) la patria de elección de la ideología integracionista más dura. Ideología abstracta, irrealista, que prolonga el monoteísmo político del jacobinismo y encuentra su mismo origen en la Francia de los Cuarenta Reyes, de la Revolución y del rechazo al modelo imperial, a favor tanto de la negación tanto de las realidades políticas, étnicas y culturales supraordenadas, como de las mismas nacionalidades diversas alojadas en el "Hexágono" francés, reprimidas y canceladas durante ochocientos años con una dureza y sobre todo con una tenacidad que ha tenido pocos iguales en Europa.

Tal tendencia se refleja inmutable en la política y la cultura colonial francesa, aunque otros colonialismos no han sido inmunes. Pero el italiano o el alemán, por ejemplo, estaban poseídos por la idea de expansión imperial, y el anglosajón era en el fondo la expresión de un instrumento mercantilista de una clase de aventureros que marchaban de sus comunidades locales para recrear caricaturas periféricas e impermeables de la sociedad inglesa en la jungla de Borneo o en la sabana africana. Francia, sin embargo, devino el escenario de los prefectos, de los burócratas y de los gendarmes encargados de la administración de los territorios y dominios de ultramar según el modelo centralista del Estado-nación, con su séquito de instructores que enseñaban a los pequeños senegaleses a repetir en coro: "Nuestros antepasados, los galos, eran altos y rubios" ("Ils étaient grands, ils étaient blonds, nos ancétres, les Gaulois"), y a apreciar las virtudes republicanas.

Esta tendencia, más difusa en su versión "humanitaria", "misionera" y "redentora", habita todavía profundamente, en su versión "dura", también en el espíritu de cierta derecha francesa, especialmente gaullista (por ejemplo, Charles Pascua o Alain Griotteray), gracias a una claramosa afirmación del principio sacrosanto según el cual un pueblo no es (sólo) una raza, sino sobre todo un proyecto común al que cualquiera -- independientemente de su origen étnico -- puede unirse. El "asimilacionismo forzado" no es tampoco extraño a ciertos ambientes italianos que se declaran de algún modo antiimigracionistas o, como mínimo, favorables a un control de la inmigración, particularmente a algunos componentes del ambiente legista.

La variante práctica y menos intelectualmente pulida de esta inclinación corresponde, por lo demás, a las versiones pequeño-burguesas y "de derechas" de la nostalgia de "un" proletariado, sea cual sea, del cual se siente evidentemente su ausencia. ¿Cuántas veces hemos oído decir: "El huésped debe respetar las reglas de la casa", o "No tengo nada contra los inmigrantes, siempre que respeten las leyes / hablen nuestra lengua / hagan un trabajo honesto / se comporten como los demás / no sean molestos / hagan la comunión todos los domingos / se vistan como nosotros / se comporten como "personas civilizadas", con segundas intenciones más o menos alucinatorias sobre la posibilidad, mejor dicho el derecho, de convertir al inmigrante extra-europeo en alguien "como nosotros", pero deseablemente más gentil y amable, dispuesto a trabajar en el mercado negro, a bajo coste y a tiempo indefinido, a prestarse para realizar "los trabajos que los europeos ya no quieren hacer"?

Al contrario, la realidad nos dice que el asimilacionismo solo puede funcionar al límite únicamente con minorías demográficamente insignificantes y étnicamente próximas. Pero en el resto de los casos no es sino una vía acelerada hacia el mestizaje cultural, también para los "asimiladores", y a la perdida brutal de la identidad de los inmigrados, de sus pertenencias y reglas comunitarias y, necesariamente, hacia una militarización creciente de la sociedad, ya que la integración forzada, cuando no es causa de una definitiva destrucción de la identidad de los ingredientes (de los alógenos y de los autóctonos), solamente puede ser mantenida por medio de una presión constante, sustancialmente policíaca.

Partiendo de los grupos espontáneos que se forman según el orígen en las aulas escolares hasta la composición del panorama urbano, los grupos etnoculturales tienden sin embargo a separarse como los componentes de una emulsión de agua y aceite, hasta el punto en que, cuando los "blancos" devienen ya irrelevantes, explota la rivalidad étnica, ahora con mayor intensidad, entre los etíopes y los egipcios, los nigerianos y los senegaleses, los cubanos y los puertorriqueños. Un famoso cómic de Lauzier muestra una mujer blanca de la periferia parisina, siendo entrevistada por un periodista de "Le Monde" sobre el racismo: "Ah, sí. Tenemos un grave problema en nuestro barrio con la intolerancia entre los bantúes y los mandingos… ¿Cómo dice? ¿Con los franceses?. No. Nadie nos hace caso, somos tan pocos…"

La misma particular crueldad de la guerra de Argelia refleja, por lo demás, la intolerancia y la incomprensión jacobina de los motivos por los cuales algunos "franceses" de ultramar pudieron, llegados a un cierto punto, tener ciertos motivos para rebelarse y traicionar a la "patria", puesto que la piel, la religión, usos, lengua y geografía no eran sino accidentes privados de peso en la visión idealista, abstracta y burocrática de la patria del gobierno francés de la epoca.

Un equivalente contemporáneo de la ideología colonialista de modelo "francés" es la idea, ya no inaudita en Italia, ya no sólo en los ambientes legistas, sino ahora también presente entre el electorado de "Alleanza Nazionale" (10) y de los partidos católicos del Polo, de acoplar un eventual y veleidoso "control" o "limitación" de la inmigración con la nacionalización forzada de los inmigrantes y de las poblaciones étnicamente extrañas que han adquirido ya la ciudadanía, a base de peticiones populares contra la edificación de mezquitas, del monolingüismo obligatorio o de la prohibición del uso del chador (hasta el punto de poner en cuestión la tolerancia de siempre hacia las monjas católicas). Actitudes que reproducen exactamente tanto la represión centralista tradicional contra las minorías autóctonas –especialmente en Francia (como bien saben corsos, vascos, bretones, normandos, occitanos…), pero también en nuestro propio país (caso del Tirol Sur)– como el tipo de ideología "colonialista" antes descrita, que en este caso sería aplicada a una especie de "re-colonización" puramente ideológica, prescindiendo del elemento etnodemográfico… del propio territorio nacional, y/o de la "mano de obra" cuya importación ha sido ya diseñada.

Así, al contrario que en la perspectiva "imperial" diferencialista, italo-alemana", en la perspectiva del "racismo asimilacionista" francés, la hibridación y el mestizaje no son solamente irrelevantes, sino incluso fenómenos positivos en cuanto conducen, en tal visión, a la "absorción" y a la "conversión", ayer del "colonizado", hoy del inmigrante, hasta transformarles en "ciudadanos" de la "república". Ahora bien, es fácil notar que tal punto de vista no es sino la versión "nacional", "politizada" y autoritaria de la globalización y homogeneización planetaria impuestas por el Sistema, tal y como la revolución francesa y Rousseau fueron las versiones locales de la revolución americana y de Locke, respectivamente.

Esta actitud es ciertamente "racista", en cuanto toma en cuenta la identidad cultural y étnica del Otro para abolirla e integrarla en un modelo propio, pero no tiene nada que ver con el pensamiento identitario europeo (ni africano, japonés, etc.). La demostración de la absoluta confusión mental que reina al respecto es la dada por las definiciones en términos de "limpieza étnica", con referencias más o menos explícitas al nacionalsocialismo (!) de la supuesta política de violaciones en masa desarrollada en Yugoslavia, cuyo resultado en términos procreativos, obviamente, no podía sino ser diametralmente opuesto a cualquier objetivo de defensa o "purificación" de la identidad étnica de los violadores. Aquí, ahora, nos encontramos entre grupos que, entre fuertes rivalidades históricas, y por ello entre una inevitable acentuación polémica de las diferencias existentes, viviendo en la misma región durante siglos, y presentando durante siglos un fuerte cruce de componentes políticas, lingüísticas, genéticas, religiosas, etcétera, que no tiene nada que ver con la hipotética convivencia, viviendo en los mismos barrios y en los mismos edificios comunales, con poblaciones provenientes de todos los posibles extremos del espectro ofrecido por la especie humana y por la geografía.

Así, el asimilacionismo "de derechas" aún piensa en celebrar sus propios complejos de superioridad en el intento de forzar a los inmigrantes (que creen poder importar "por encargo", según las necesidades coyunturales del momento) a convertirse en… caricaturas de los europeos, con la idea de tener una propia reserva de esclavos a su pronta disposición; exactamente como el asimilacionismo católico-comunista (11), en el fondo, contempla con buenos ojos la inmigración en su idea de convertir a los extraeuropeos a la democracia, al humanitarismo y a las religiones locales, con la idea de tener a su disposición una buena masa de desarrapados que puedan cambiar la vacilante fortuna de sus estructuras militantes.

Es casi inútil revelar cómo, en el mejor de los términos, los resultados son contrarios a los esperados por los mismos aprendices de brujo, puesto que el intento de asimilación forzada de importantes flujos migratorios fuertemente heterogéneos genera en realidad, aun más que la política "multicomunitarista" de la sociedad a manchas de leopardo sobre la cual hablaremos, costes sociales (y también, al final, costes económicos) espantosos, odios y enfrentamientos raciales, así como sociedades depauperadas, policíacas, asustadizas, híbridas, perdidas, confusas, violentas, en las cuales no tienen un gran peso los intereses de la burguesía blanca ni los valores "biempensantes", y en las cuales la política se transforma en una cuestión de simple pertenencia de tipo tribal.

La explosiva situación francesa de nuestros días reproduce por lo demás, "mutatis mutandis", el profundo cambio verificado en los últimos veinte años en el país que hizo del "melting pot" su mismo mito de fundación: los Estados Unidos de América, en donde las mismas "minorías", o menor los componentes étnicos menos favorecidos, tienden a re-ghettizarse, recreando comunidades homogéneas en difícil convivencia o en abierto conflicto con sus vecinos, dotadas con una vida social propia, civil y religiosa, con una propia economía local más o menos en los límites de la legalidad y la ilegalidad, con sus propios líderes, etc.; y en las cuales la "integración" tiende, cuando no al nivel del mero discurso teórico, a refugiarse en las provincias declaradas como "zona franca" y en las instituciones comunes, como las fuerzas armadas, los "show-business", el deporte profesional, etc., antes que permear la vida cotidiana de las masas de población.

Con algunas significativas diferencias, que Faye es el primero en recordar. Primera entre todas: que los Estados Unidos, a diferencia de los países europeos, se han dado forma a sí mismos a partir del rechazo colectivo de la identidad y de las pertenencias orgánicas (también aunque, como se ha dicho, reemergen constantemente), rechazo que constituye la misma razón de ser de un país que goza de recursos y espacios inmensos no sólo en sentido geográfico, espacios donde poder difuminar las comunidades étnicas, religiosas, etc., y donde pueden permitirse, al menos fuera de los grandes conglomerados urbanos, unas condiciones de relativa segregación; un país donde la naturaleza compuesta de su base social ya conoce una inmigración, legal o clandestina, fuertemente limitada y organizada sobre la base de un sistema de cuotas, y no una invasión salvaje de desesperados alógenos; un país, en fin, cuyo poder de "reducción" y de "control" de la identidad por parte del Sistema es el más eficaz del mundo, gracias en parte a los enormes medios que dispone el poder local, y gracias también a su dominio sobre el resto del mundo.

Por no mencionar el hecho de que la sociedad americana es mucho más brutal y pragmática (cosa por cierto normal para una sociedad de "pioneros", o cuando menos de sus herederos) frente a todo cuanto nos gusta pensar, o sea tolerar, en Europa. Con un sistema judicial ciertamente en mucho sentidos más "garantista" que el nuestro, el ciudadano americano convive perfectamente no tanto con una pena de muerte rara y tardíamente aplicada sobre todo por costosa (los gastos por los procedimientos relativos se cuantifican en varias decenas de miles de dólares por cada ejecución), sino mucho más concretamente con una población carcelaria en proporción diez veces superior a la italiana o la francesa, con un derecho penal basado en penas elevadísimas, y con métodos de control social –dada la inexistencia de una previsión digna de este nombre en lo relativo al comportamiento práctico sobre el territorio de los "vrai law enforcement officers"– cuando menos sospechosos para nuestros actuales "standards".

Igualmente es digna de mención la crítica radical de Guillaume Faye a las posiciones respecto a los problemas consecuentes de la colonización de Europa por la Nueva Derecha actual, cuyos exponentes, hoy, como alternativa a la entropía socio-cultural y a la desnaturalización de la civilización europea, proponen el fantasioso escenario de una sociedad multiétnica y comunidades diferenciadas, cada una de ellas enraizada en la propia identidad específica, ¡sobre… territorio europeo!

Así, la revista "Eléments" (n. 91, 1998) publicó un dossier titulado "El desafío multicultural", con una mujer magrebí velada en la portada gritando con megáfono frente a la sede de la CRS (policía francesa) en claro disturbio de orden público. Tal "dossier" está perfectamente citado en "La colonización de Europa", en donde las críticas van dirigidas sobre todo al título, pero no sólo.

Ya la palabra "desafío" dice el autor, sugiere que la inmigración en masa, la colonización demográfica que sufrimos, sea un desafío a aceptar, un dato al cual hacer frente para adaptarse. "Esto es fatalismo y etnomasoquismo. Es más, ¿por qué decir "multicultural" cuando el problema es multirracial y multiétnico? ¿Por qué cancelar esta dimensión antropo-biológica y religiosa de la inmigración, cuando nos encontramos frente al arribo masivo de poblaciones radicalmente alógenas y de un monoteísmo teocrático, el Islam, y no frente a la aportación "arriesgada" de "nuevas culturas", como infelizmente sugiere "Eléments"?

Esta actitud conduce objetivamente a travestir la realidad volviéndola neutra, "simpática", aceptable, a hacer pasar una colonización agresiva por una presencia pacífica y fraterna de "otras culturas". Se llega así a la afirmación del discurso de la izquierda y del episcopado francés: la inmigración sería una riqueza (cultural, etc.) para Europa. "Encuentro un pecado que los intelectuales de la Nueva Derecha actual hayan caído en semejante trampa. Como si el multiculturalismo no fuese ya una riqueza europea autóctona, como si tuviésemos necesidad imperiosa de afromagrebíes y musulmanes… para enriquecer nuestro natural pluralismo de identidades entre los europeos"

Según el editorial del número en cuestión de la revista, "como todo fenómeno postmoderno, el multiculturalismo… busca conciliar la memoria y el proyecto, la tradición y la novedad, lo local y lo global; representa una tentativa de sustraerse a la homogeneización institucional y humana" realizada por el Estado represivo y terapéutico. El multiculturalismo y el "comunitarismo" (en el sentido de promoción de la constitución y mantenimiento de comunidades diferenciadas por razones de pertenencia) podrían así "facilitar la comunicación dialogadora y por ello mismo fecunda entre grupos claramente situados los unos respecto de los otros", y ofrecerían "la posibilidad, para aquellos que lo auspician, de no deber pagar su integración social con el olvido de sus raíces". Ahora bien, se pregunta Faye: ¿pero porqué deben afirmar sus raíces aquí, entre nosotros?

Ante un relieve tan obvio, reforzado por la fácil constatación de que ningún país europeo, incluyendo a aquellos con fuerte emigración, sueña con consentir a otros pueblos, constituidos como tales, intentar nada semejante sobre el propio territorio, podemos añadir que tal visión, por mucho que pueda aparentar ser "moderna", "realista", "constructiva", "sin prejuicios", resulta en realidad fatalista, conservadora y, sobre todo, perfectamente irreal. A toda inmigración corresponde necesariamente una emigración, que empobrece, destruye y altera los equilibrios naturales y las tradiciones de la cultura de procedencia, tanto en el país abandonado como obviamente aun más en la población que se transfiere. Con toda la simpatía por los esfuerzos de los emigrantes italianos para conservar una identidad en los países de acogida, no creemos que nadie pueda probar nostalgia por los países vaciados y abandonados a los viejos, los criminales, los parásitos, o por las parodias de "sociedad italiana" recreadas en las varias "Little Italy" que viven entre la tentación de integrarse y la tenaz conservación de hábitos privados de un significado que no sea puramente folklórico.

Por no hablar de la estaticidad de una tal visión, que no toma en cuenta los flujos aun en acto y su potencial capacidad de expulsar de su territorio a las poblaciones autóctonas, desde el punto de vista físico, demográfico y político. Faye cita a este propósito el ejemplo de Kosovo, cuna de la nacionalidad serbia y convertido objetivamente en albanés a pesar de los esfuerzos del régimen de Belgrado; pero tal ejemplo no nos parece apropiado, pues se trata de fenómenos que permanecen en un lugar en cierto modo superficial, puramente político o, a lo más, lingüístico. Un ejemplo más adecuado de aquello que la "sociedad multicultural" puede aportar a Europa sea quizás el aportado por la "enriquecedora" inmigración extra-americana a los nativos de América del Norte. ¿Acaso los amerindios no gozan de una sociedad "multicultural"? Sí, pero solamente si por tal definición entendemos la supervivencia de cuatro alcohólicos fumando el calumet para gozo de los turistas de la reserva, cuyos hijos hablan exclusivamente inglés en un 95% y expresan su propia identidad mediante el deseo de ingresar, en la escuela, en una banda de pandilleros puertorriqueños o chinos. Esta perspectiva, que según "Eléments" conciliaría "la memoria y el proyecto", no ofrece ningún espacio ni a la primera ni al segundo.

Ciertamente, es más "trendy", y también demagógico (al menos entre los mismos inmigrantes y los intelectuales de la "political correctness"), "tomar nota" del pretendido carácter "irreversible" de la repoblación ya en marcha, y hasta del fenómeno migratorio todavía en curso, y estudiar "soluciones" a partir de este dato.

La solución propuesta por la Nueva Derecha es por otra parte, en sus últimas consecuencias, exactamente aquella antes combatida bajo los nombres de Sistema, americanización, mundialismo o globalización. El desarraigo territorial, la proletarización, el despedazamiento de todos los lazos comunitarios e identitarios en los aspectos que cuentan verdaderamente (el Estado-nación, el pueblo, la región) encuentra una compensación puramente virtual, consoladora y consumista a nivel de parroquias, "reservas", escuelas para extranjeros, ghettos para emigrantes de similar procedencia, etc. Todo esto no es ni siquiera el modelo americano, donde existen comunes valores federales, como no sea en negativo; es más bien el modelo del apartheid, del "desarrollo separado de las culturas" de la memoria sudafricana, que no resultó demasiado bien para ninguna de las culturas implicadas, salvo quizás para los intereses de los círculos especuladores anglo-hebreos; es el modelo que de seguro no goza de ninguna buena prensa en Europa y en el Tercer Mundo, si ésta fuese nuestra preocupación principal.

No se puede eludir esta realidad haciendo poesía. Leemos nuevamente en "Eléments": "En los últimos treinta años, el mundo ha entrado en una nueva era marcada por la diseminación y la reticulación: las pirámides ceden el puesto a los laberintos, las estructuras a las redes, lo vertical a lo horizontal, los territorios a los flujos". La inmigración no sería sino un fenómeno postmoderno, parte de un proceso mundial, aceptable e ineludible, al cual sería ilusorio y reaccionario oponerse. Pero, sorprende que los autores del dossier eludan que tales ideas resultan impregnadas de determinismo y de un fatalismo en verdad sorprendente en un movimiento intelectual fundado en torno al rechazo de las visiones lineales, deterministas, providencialistas o progresistas, de la historia.

Como apunta Faye, esta visión traduce por lo demás una falta de perspectiva geográfica e histórica (el fenómeno en cuestión, a diferencia de la "globalización", contra la cual sin embargo se continúa combatiendo, no afecta a una escala global; y la experiencia del pasado es rica en ejemplos de intensos cambios que han conducido a la destrucción de la identidad y del tejido social de los protagonistas relativos). Ahora bien, por "anticolonialismo", este aspecto caleidoscópico, esta naturaleza reticular del mundo contemporáneo, parece atribuir un derecho de repartición y colonización del territorio y de la sociedad exclusivamente a las poblaciones extraeuropeas empujadas a transferirse entre nosotros, lo cual cuando menos es difícil de justificar. En fin, después de tanto hablar de "comunidad y sociedad", este discurso comporta la renuncia a ver realizada en Europa y en los singulares países que la componen una verdadera estructura comunitaria y orgánica, en favor, mas bien, de la implantación sobre nuestro territorio de una "sociedad multirracial de comunidades" más o menos utópicamente confederadas por un contrato social basado sobre puros intereses comunes.

Este género de tesis nace en realidad de dos errores. La primera, una deriva y un equívoco de fondo de carácter ideológico. "Se comienza", comenta Faye, "por defender con justo derecho una concepción politeísta de la sociedad contra el universalismo asimilador, el centralismo jacobino, el republicanismo igualitario que niega la comunidad orgánica y las diferencias en beneficio de un individuo abstracto, simple consumidor desarraigado y "ciudadano" desencarnado. Esta visión se opone al modelo americano (y francés) de Estado, cuyo "crisol" pretende homogeneizar los pueblos en una masa nacional eventualmente animada por un patriotismo abstracto, y en la práctica por valores cosmopolitas". Esta visión, sin embargo, intentaba en sus inicios una defensa de la identidad de los pueblos europeos contra el centralismo de los estados-nación primero, y contra el universalismo mesiánico y tecnocrático del Sistema después, que intentan eliminar las diferencias y las pertenencias; es una visión, sí, "plural", pero étnica y arraigada. Más tarde se desvía: el principio del etnopluralismo es exagerado, pervertido. Se olvida la noción de proximidad étnica. Se ponen en un mismo plano las sacrosantas reivindicaciones autonomistas de los bretones, los tiroleses, los escoceses, los vascos, los corsos o… los italianos del norte –reivindicaciones centradas en gran parte sobre el mantenimiento del control económico y estructural del propio territorio contra la amenaza de colonización– y la creación, nada más y nada menos, de espacios de contrapoder de comunidades inmigrantes instaladas sobre nuestro territorio.

Llegamos así al punto en donde Charles Champetier, siempre en "Eléments", llega a escribir: "En una sociedad pluriétnica, las culturas no deben ser solamente toleradas en la esfera privada, sino reconocidas en la esfera pública, en particular bajo la forma de "derechos colectivos" específicos de las minorías." Buen cuadro, en verdad. Si la difusión de tales tesis se extendiese improbablemente tanto a los ambientes de la inmigración como a nosotros los europeos de origen, una vez convertidos en minoría podremos (quizás) continuar regulando nuestros asuntos internos. Eso o simplemente extinguirnos, después de haber debidamente colaborado, con nuestro ejemplo de borregos, a la occidentalización y al suicidio cultural de los mismos inmigrantes. Y no esperemos que la tolerancia, o incluso la promoción, del poder de la comunidad inmigrante sobre sus propios miembros tenga efectos limitados sobre los desvíos criminales de éstos últimos. Las experiencias históricas de "política de ghetto" demuestran que tales expectativas son completamente utópicas.

Igualmente, el reclamo hecho a propósito por la actual Nueva Derecha al modelo imperial, al politeísmo político y al "derecho a la diferencia" un poco incoherente. Se trata, muy al contrario, de rechazar con la inmigración la reducción forzada de las diferencias y de las pertenencias arraigadas y plurales, impuesta por un monoteísmo práctico (el universalismo de los Derechos Humanos y del indiferentismo trámite de la folklorización, que en parte camina también con las piernas de los monoteísmos religiosos, en particular de variante islámica), desnaturalización niveladora que representa exactamente la negación de tal "politeísmo".

Particularmente mal elegido resulta en particular el ejemplo del Imperio romano, cuando precisamente la Nueva Derecha ha subrayado tantas veces las consecuencias de su trágica inclinación, a pesar de los ocasionales sobresaltos de conciencia, al considerar superficialmente al dios judeocristiano "un dios como tantos otros" y al concederle apresuradamente la ciudadanía.

Una segunda componente, casi más psicológica que ideológica, de este tipo de posiciones es la desesperada convicción de que la presencia de comunidades organizadas, tradicionalistas y antioccidentalistas sobre nuestros territorios limita el mestizaje (una especie de "confianza en el racismo de los otros") y pueda por ello inducir a los europeos a redescubrir, por contraste y por imitación a un mismo tiempo, la propia identidad.

Tal convicción no tiene ningún fundamento real. Ante todo, una componente significativa de la inmigración mira decidida y espontáneamente hacia la integración, y los matrimonios mixtos, por lo demás de media poco estables, se intensifican inevitablemente, así como se pervierten las lenguas y se alteran las costumbres. El mismo improponible sistema indio de las castas, trágica tentativa de una ínfima minoría conquistadora de no ser reabsorbida por las poblaciones conquistadas, muestra el inevitable fracaso de las políticas de este género; pero además, aquí no estamos frente a una comunidad estable, sino ante un aluvión migratorio incontrolado, aun en acto heterogéneo incluso desde su propio interior y poseedor de una dinámica demográfica superior a la de las poblaciones autóctonas.

En cierto modo, esta posición se asemeja a la postura puramente defensiva del extremismo "blanco" y boer sudafricano, que al final del régimen no apoyó sin embargo al gobierno "nacional", alegando: estamos aquí desde ocho o diez generaciones, somos una minoría; ¿en qué somos diferentes de los zulúes? Hagamos como ellos y transformémonos en una tribu celosa y custodia de los propios intereses colectivos, en competición con las otras tribus, en lugar de hacernos cargo de todos los "problemas" y del gobierno de la sociedad. Un nivel de replegamiento que, en la Europa contemporánea, parece todavía francamente excesivo.

Por lo demás, los inmigrantes que rechazan la asimilación suelen ser radicalmente antieuropeos –y por ello reclaman polémica y propagandísticamente temas identitarios con fines de su propia afirmación como grupo en nuestra sociedad, sea de forma política, intelectual, mafiosa o pandillera de barrio– sin necesidad de ser por ello antioccidentales en sus comportamientos y en sus valores prácticos.

La cosa está más que demostrada por los poquísimos deseos que muestran de retornar a sus lugares de origen –cuyos estilos de vida y cuyas reglas, especialmente para las mujeres, los jóvenes y los intelectuales, les resultarían ya inaceptables– también una vez que eventualmente han "hecho fortuna", y es por ello que cesa la ayuda del "hambre" cantada por los inmigracionistas. La reivindicación de cuotas de reserva, reclamada a la administración pública especialmente por los musulmanes, no se acompaña sin embargo sino muy raramente por la aspiración de retornar a unos países donde la libertad de palabra es desconocida, el consumo de alcohol está prohibido, el clítoris es considerado un inútil ornamento del cual es preciso librarse, y el robo está castigado con la amputación al término de los procesos sumarios.

Además, el "hambre" en sentido literal es un factor del todo secundario en la nueva trata de esclavos suscitada por el sistema, como demuestra el hecho de que la inmigración procedente de los países cuyas condiciones de vida son objetivamente peores es más modesta respecto a aquellos relativamente acomodados, en donde el modelo consumista puede cómodamente agitarse bajo la nariz de las masas, y donde sin embargo pueden generarse más fácilmente conflictos sociales y culturales entre las rutilantes imágenes difundidas por los televisores vía satélite y una realidad local no sólo más austera, sino también bajo el fuerte control social de los modos de vida tradicionales.

Una variante aun más implícita, o quizás más inconsciente, de estas convicciones "multiculturalistas" es la tácita esperanza de que, en la instauración del caos étnico-religioso, en el fallecimiento del orden social, en la atribución de derechos colectivos a las "tribus" que compondrán la sociedad europea, podría existir una posibilidad para las minorías "incorrectas", por ejemplo antiigualitarias y "fascistas", de ser "dejadas en paz" o incluso autorizadas, en el cuadro del caleidoscópico "patchwork" multicultural, a autoconstituirse o autorregularse en alguna medida como "comunidad" a la par con las otras, e idealmente con la oportunidad de devenir en polo de atracción y/o encarnación residual de la "tribu europea".

Esta idea, naturalmente, representa la renuncia a todo sueño de "Grosse Politik" y la aceptación del modelo, no por casualidad estadounidense, de los amish, o de los mormones hasta los años cincuenta, contentos de vivir recluidos en un ambiente delimitado donde pueden de algún modo poner en práctica sus ideas –pero en este caso sin ninguna Utah deshabitada a donde emigrar para escapar a las "contaminaciones". Y en efecto, en la mejor (y más improbable) de las hipótesis, la realización de esta esperanza conduce derecha al "sueño americano", donde todo puede ser dicho y donde… nada de lo que se dice tiene la menor importancia, excepto para tu pequeño grupo de "desplazados".

Naturalmente, todos estos discursos, en nuestro continente, no son otra cosa que fantapolítica propia de un cómic. No solamente faltan los espacios y la "cultura" para implementar un modelo de este género, sino que en los mismos ambientes de la inmigración, más allá de reclamos identitarios que en Europa aparecen como puramente demagógicos y "cortijeros", son completamente recuperados e integrados a la ideología dominante. La eventual mala fe con la cual sacrifican cada día ante el altar de los Derechos Humanos, del poder de las organizaciones internacionales como la ONU, del ecumenismo religioso (naturalmente sólo entre religiones "del Libro"), no tiene la más mínima importancia, puesto que otra "mala fe" puede ser también hipotetizada en los centros del poder mundialista, sin que esto cambie mínimamente los valores que hoy informan nuestra sociedad. La intolerancia hacia los valores realmente alternativos crece, nunca disminuye, con la instauración del caos étnico en nuestra sociedad, en donde la "political correctness" termina así por ser el único criterio de ciudadanía.

Cuando veamos por vez primera a un exponente de la inmigración alzar la voz en defensa de un detenido político europeo antioccidental, o a favor de las minorías étnicas autóctonas del país huésped, nos replantearemos nuestras dudas.

Pero hay más. Como apunta Faye, el "asimilacionismo forzado" es hoy en día un blanco polémico antes que una praxis real y coherente de los gobiernos europeos, que permanecen en realidad, en su sustancial inmigracionismo, presos y en poder de un comportamiento esquizofrénico entre la asimilación y el "etnopluralismo" propuesto como la gran alternativa a la primera. Tras una campaña contra la ablación femenina (hipócrita, cuando la circuncisión neonatal masculina judía es en nuestros países un dato adquirido que nadie osa poner en discusión…) y una protesta "verde" contra las matanzas de corderos en cualquier festividad musulmana, siempre son cada vez más numerosas las voces favorables a la adopción de sistemas de cuotas y de "affirmative action", financiación de las actividades culturales y religiosas de los grupos alógenos, etc., medidas todas típicamente comunitaristas (si, por decreto, las razas y las religiones "no existen", no tienen importancia, obviamente no tendría sentido atribuirles porcentajes y puestos).

Escribe Faye: "Ser corso, alsaciano, vasco, flamenco o bretón ya es tener pocas posibilidades de obtener subvenciones para una asociación cultural, una escuela donde enseñar la propia lengua y cultura, iniciativas que enriquecen el patrimonio étnico europeo; pero ser chino, cingalés, nigeriano y –sobre todo– árabe-musulmán es tener siempre atenta a la administración ante todas las solicitudes de financiación, tanto en París como en Bruselas. En París, las fiestas rituales asiáticas y los diarios "comunitaristas" son en parte costeados por la administración pública. La asociación de los Arvernos de París (12), como otras de vascos o bretones, por su parte, sólo pueden contar con sus propios recursos. El señor Tiberi, que sin duda olvida ser corso antes que gaullista o ciudadano del mundo, se niega a conceder ayudas a las asociaciones de enseñanza de la lengua corsa. Sería subversivo, ¿capite bene…? En compensación, los centros de enseñanza del árabe han recibido en 1998 la suma de 123 millones de francos, con el fin de poder dispensar gratuitamente sus propios servicios. En París, aprender el árabe o el chino es gratis. Aprender el holandés, el italiano o el bretón cuesta dinero".

¡Y así también en Londres, Milán, Madrid o Viena! La tolerancia que es la oportunidad concretamente ofrecida a los inmigrantes para practicar un contrapoder territorial real, con suspensión del ordenamiento jurídico ordinario, y la creación de espacios donde es tolerada la violación de casi cualquier norma, desde la ablación y la bigamia hasta el ejercicio de la actividad comercial; constituye un ulterior ejemplo de discriminación antieuropea, frente a la obsesión del control de todo detalle mínimo de la vida social que aun denotan las políticas nacionales y de la CEE, más allá de la retórica de la desregularización, y que continúa ejerciéndose con mano dura sobre las poblaciones autóctonas y sobre territorios aún no bajo dominio extrauropeo.

Las ideas de "gobernar la transformación", de "colocarse a la cabeza de los procesos para mejor guiarlos", de "afrontar virilmente la realidad", de cortar gordianamente los nudos de cualquier dilema en una síntesis superior, son perfectamente legítimos en muchos casos.

Pero al así obrar, uno corre el riesgo de aceptar los falsos alivios de la desmovilización, y de tomar posiciones históricas perdidas y de hecho conservadoras. Desde el dirigente belga resignado a convivir con Hitler "por mil años" relatado por Degrelle, a los ambientes diplomáticos alemanes convencidos de que el comunismo y la partición de Alemania eran "realidades que siempre habría que tener en cuenta", a los nacionalistas irlandeses que acusaban a Michael Collins de "aventurero irresponsable", muchos, después de haber ridiculizado o criminalizado como "utópicos" a los propios políticos rivales, se encontraron a la vuelta ridiculizados por la historia, sea en la esperanza de "convivir" con la realidad de su época y "controlarla", sea en la miope convicción de que tal realidad era el reflejo de datos de naturaleza eterna.

Ahora bien, "La colonización de Europa" es bien clara al afirmar que, una vez que se rechaza el inmigracionismo salvaje, etnomasoquista y suicida de los circulos más ligados a la ideología y a los intereses del Sistema, la alternativa no está entre el "control" y la "integración forzada" de la inmigración por un lado y la sociedad neotribal por el otro. La alternativa está entre la rendición a este proceso o la autodefensa étnica integral. Autodefensa que se sustenta en todas aquellas medidas y reacciones inmunitarias que la combatan en todas las zonas del mundo eventualmente amenazadas de repoblación y de colonización demográfica y cultural del propio espacio histórico y geográfico.

Esta "utopía" es todavía la realidad cotidiana del Japón, el cual, a pesar de una derrota, una ocupación militar y un pesadísimo condicionamiento político, vemos aun acompañado por un (puro contraste) proceso de occidentalización de los valores y una admirable capacidad de mantener y desarrollar la propia homogeneidad racial, la propia dinámica demográfica, la propia identidad lingüística y modelos socio-económicos originales. Ejemplos similares pueden citarse de la praxis y la mentalidad, obviamente más contrastada, de los países islámicos antioccidentales, de las dos Chinas, de las dos Coreas, de la India y, en verdad, si incluimos el punto de vista jurídico, de la mayor parte de las naciones del mundo, comenzando por los Estados Unidos e Israel, que bien se guardan de hacer aceptaciones pasivas e indiferentes de los posibles flujos de emigrantes en amenaza de su composición étnica, lingüística y religiosa.

Es por lo demás "irreal" e imposible –si no en sentido lógico o físico, si en sentido humano y político– que la pequeña zona del planeta coincidente con una porción de la península euroasiática, con recursos naturales limitados y explotados al máximo durante siglos, contaminada, actualmente (a pesar del declive demográfico) relativamente superpoblada, con delicados equilibrios sociales, política y económicamente "fracturada" por la subordinación a mecanismos y centros de poder internacionales, pueda ser el receptáculo de masas de desocupados y prófugos, de colonia de criminales, de comunidades heterogéneas, de odre de esclavos rebeldes, por los demás destinados a urbanizarse súbitamente. El mismo improbable escenario en el cual "no sucede nada", y la evolución de la situación prosigue de modo lineal en la misma dirección sin crisis significativas, conduce sin remisión a una inmensa favela en donde las bandas étnicas de desesperados se mueven sobre un escenario dilapidado y "post-atómico", contentándose (y terminando por destruir) con los restos del pasado, tras pequeñas fortalezas privilegiadas completamente aisladas y fuertemente defendidas, desde la cuales se administrará el poder militar y cultural del sistema mediante tanques teleguiados y antenas de televisión, en un contexto mucho más similar al de "Mad Max" o "1997. Fuga de Nueva York" que al de "Metrópolis" o "1984".

Para apreciar toda la "magia" de esta perspectiva, vale la pena visitar, mucho antes que los ghettos de Los Angeles o el Bronx –que, después de todo, son lugares privilegiados por el hecho de encontrarse en los Estados Unidos– las periferias de México DF, de Río de Janeiro o de Johannesburgo, o incluso de eso en lo que se está convirtiendo el extrarradio parisino, para hacernos una idea precisa de lo que el Sistema reserva para Europa.

La autodefensa de la cual habla Faye no debería por lo demás reducirse a la esfera jurídico-administrativa. El problema no puede en modo alguno ser resuelto únicamente a nivel "policial", o de control de las fronteras, dada la inadecuación absoluta, en términos culturales y de recursos, de los aparatos estatales. Estos últimos están además fuertemente infiltrados, especialmente en los países donde, como en Francia y a diferencia de Italia o Alemania, rige el "jus soli" (es ciudadano aquel que ha nacido en el territorio) y no el "jus sanguinis" (es ciudadano el hijo de otro ciudadano), y en donde las minorías, en vías de convertirse en mayorías gracias a la "fuerza de las cunas", incluso sin continuos los refuerzos recibidos, están representadas por inmigrantes de segunda y tercera generación. El problema únicamente puede ser afrontado a nivel de conciencias y movilización social general: una movilización del mismo tipo a la que ha permitido a las minorías vasca en España o germanófona en Italia no ser sumergidas y canceladas, o al Tibet no transformarse aun en una provincia China.

Una tal movilización práctica y popular tiene además la ventaja de forzar mucho más fácilmente el cuadro jurídico impuesto por el Sistema y las ideologías dominantes, desgraciadamente hoy en día garantizadas a niveles internacionales. Aun siendo numerosísimas las posibles medidas útiles, formalmente respetuosas de tal cuadro, que podrían reingresar en los poderes ordinarios y en las políticas legítimas de los gobiernos no paralizados por el mito incapacitante de la "sociedad multiétnica inevitable", Faye no se hace ilusiones de que los procesos en curso puedan ser invertidos sin la adopción de medidas extraordinarias, más allá y fuera de la legitimidad burguesa y socialdemócrata; medidas que hoy en día solamente pueden ser impuestas desde lo bajo, y no ciertamente por administraciones impotentes, por un lado en cuanto sirven al Sistema y, por el otro, en cuanto están ellas mismas en vías de ser colonizadas, a partir del nivel local.

A la inversa, continuamos asistiendo en Italia al insólito espectáculo de una "Immigration Law" cada vez más esotérica e imposible para los abogados que tienen el problema de obtener un permiso para que un "manager" japonés o argentino pueda venir a dirigir una empresa italiana comprada por su casa madre, mientras traficantes, prostitutas, abusadores de todo género y simples desesperados tienen "de facto" libre acceso, y que a los pocos meses de desembarcar se comportan no como extranjeros, sino como verdaderos ocupantes.

Todo ello mientras, como subraya Faye, en la mayor parte de los países del mundo fuera de Europa los inmigrantes o los extranjeros presentes en su territorio son, en toda circunstancia, considerados no como colonos definitivos, ni como refugiados acogidos en nombre de la religión de los Derechos Humanos, sino como "visitantes" y "huéspedes", sin que nadie tenga en mente contestar las normas vigentes en materia de "preferencia nacional" o de expulsión de los clandestinos, como por ejemplo aquellas aplicadas por el benjamín islámico del Sistema, el gobierno de Arabia Saudita que, preocupado por la inmigración asiática, "ha reforzado la "saudización" de su mano de obra, con el consiguiente despido del 90% de los extranjeros y reemplazando a los mismos con súbditos saudíes. El sector privado también ha sido forzado a seguir tal política: los efectivos de todas las empresas deben comprender al menos un 80% de saudíes" (Al Quds Al-Arabi, 1 de enero 1999).

En fin, otro de los puntos tocados por Faye en la conclusión de su libro, quizás para poner el acento, es un punto que retoma el análisis actual de la Nueva Derecha para volcar voluntarísticamente las conclusiones. Hablamos de la novedad del escenario con el cual nos enfrentamos. Si la cosa no puede evidentemente devenir en una coartada para el suicidio histórico de Europa, es simplemente cierto que el mundo actual es diverso de aquel que lo ha precedido, y que está atravesando una crisis de pasaje epocal, respecto al cual las dos guerras mundiales, la revolución industrial, las revoluciones democráticas y comunistas no serían sino notas a pie de página de la historiografía futura. Una crisis cuyo orden de grandeza se asemeja al de la revolución neolítica.

La tecnología y la capacidad de gestión de la información y de las comunicaciones, el grado de influencia sobre el ambiente en el cual estamos inmersos, la anulación de las distancias, el control que el hombre está adquiriendo sobe su misma identidad biológica y de las especies animales y vegetales con las que convive, ciertamente, van mucho más allá de lo que representaron la máquina de vapor o la rotación de los cultivos.

Hoy, la atenuación de las tradicionales presiones selectivas por un lado y, por el otro, la disponibilidad de tecnologías como la diagnosis prenatal, la fecundación artificial, el chequeo genético, el implante de embriones y la gestación extrauterina, la clonación, la manipulación directa del genotipo y por ello de las líneas germinales, representan adquisiciones epocales que hacen a nuestra especie íntegramente responsable de la propia identidad biológica, por mucho que algunos de sus componentes decidan "removerlo" e ignorarlo. Es exactamente como el hecho de tener una pistola en la mano vuelve al poseedor el único responsable, para bien y para mal, de la elección de disparar o no disparar (indiferentemente del hecho de que obre para cometer un atraco, defender a un inerme o festejar el año nuevo), sin que pueda sustraerse de modo alguno a tal responsabilidad.

En efecto, también arrojar la pistola, o fingir que no existe como implícitamente propone la tendencia histórica judeocristiana y democrático-humanista, representa exactamente una de las elecciones posibles, que el desarmado no tiene necesidad de hacer. El desafío "postmoderno" representado por esta revolución ya ha sido repetidamente discutido tanto por Locchi como por Faye o por mí mismo, por ejemplo en el artículo "La técnica, l'uomo, il futuro" ("La técnica, el hombre, el futuro"), publicado en el ya citado n. 20 de "l´Uomo libero", donde apuntaba que las dos únicas respuestas posibles son la opción prometeica, "sobrehumanista", de quienes se hacen cargo de tal destino ("¿En qué quiero/queremos devenir?, ¿Qué gran proyecto celebra mejor mi libertad?"), o la negación freudiana y el pretendido rechazo del "dominio del hombre por el hombre" ("nadie podrá poseer esclavos, porque fuisteis creados mis esclavos", dice Yahvé), que conduce a la tiranía anónima, mecanicista, literalmente "insensata", representada por el Sistema.

En este cuadro, no puede ser ignorado el hecho de que las culturas y las razas nacen y se desarrollan por la identidad, fecundidad y creatividad de los relativos troncos a través de una separación ligada a factores naturales de los cuales no es hipotetizable la reproducción sino en improbables épocas neoprimitivas. Tales épocas pueden ciertamente ver la luz fuera de los estudios de Hollywood, pero serían necesarias catástrofes de tal magnitud que ya no sería puesta más en discusión, posiblemente, la supervivencia del ecosistema, o al menos de la especie humana, sino más bien la conservación de adquisiciones probablemente destinadas a permanecer con nosotros para siempre.

También en el campo étnico, racial y demográfico, la clave del análisis siempre nos remite al advenimiento del "tercer hombre". Así como el primer hombre estuvo inmerso en el reino animal y el segundo se hizo cargo, tras la revolución neolítica, del destino del mundo, el hombre es ahora llamado a asumir trágicamente el propio destino, incluida su identidad biológica.

Un hecho objetivo que hoy es del todo silenciado por intolerable, y que estaba perfectamente claro en los años treinta, y no sólo en Alemania sino también en los países escandinavos, en Francia y en los mismos Estados Unidos, cuando la ingeniería genética y las manipulaciones directas solamente eran posibles en los marcos de la ciencia-ficción y de la especulación pura, es que, en el futuro, la conservación de la evolución, o incluso el nacimiento, de razas, lenguas y culturas diversificadas solamente podrá ser el fruto de una elección deliberada en tal sentido, elección que podrá determinar los contenidos y las características, sobre la base de valoraciones de naturaleza esencialmente estética y afectiva.

En este sentido, no es casualidad que el alcance entrópico de la colonización poblacional de Europa represente a fin de cuentas un valor positivo desde el punto de vista del universalismo de la ideología del Sistema y del fin de la historia, sobre una escala mucho más amplia que el mero dato político inmediato, y precisamente como elemento de oposición respecto a la "tentación" identitaria y faústica; mientras un correspondiente disvalor viene ampliamente asignado por las mismas fuerzas al terrible poder de autodeterminación del cual el hombre ha sido llamado a hacerse cargo.

Por lo demás, estos elementos de fondo son también de alguna medida prometedores. Si la extinción de nuestra identidad étnica, amenaza que hoy pesa sobre nosotros, es ciertamente más definitiva que cualquier decadencia política, cultural o económica, en cuanto por definición irremediable. Existe ya una experiencia histórica, cuando el hombre operaba solamente con los instrumentos tradicionales de los procedimientos legislativos y administrativos, de la propaganda, de la medicina y de la educación colectiva, de cómo los "trends" demográficos y los procesos aparentemente consolidados pueden al día de hoy ser invertidos en el giro de una sola generación. En pocos decenios, las características y la identidad étnica y biológica de nuestras poblaciones serán íntegramente determinadas (o no determinadas, por pura elección, si prevalece la filosofía de la condena y de la degradación) por opciones individuales y colectivas. En cualquier caso, la responsabilidad relativa no será ya de la "naturaleza", ni de los procesos históricos "parabiológicos" que han gobernado hasta ahora las afirmaciones, la decadencia y el ascenso de las razas y de las civilizaciones. En todo caso, los cielos spenglerianos descritos en "La decadencia de Occidente" han llegado a su fin.

Si nuestras visiones de fondo continúan manifestando una absoluta consonancia con Faye, por otra parte emergen en las actuales posiciones "políticas" del mismo autor elementos menos convincentes. No trato aquí solamente de responder a la invitación al debate por él formulada en su libro, sino que también deseo resaltar cómo muchas de sus posiciones son debatidas actualmente en Italia.

La primera cuestión fundamental es la anunciada en el subtítulo mismo del libro, en la cual la colonización de Europa es tratada al modo de un "discurso verdadero" sobre la inmigración y el Islam.

En lo que respecta al último, la posición de Faye es cristalina. "En el curso de conferencias que he podido pronunciar, en el curso de las cuales he abordado incidentalmente la cuestión del Islam en Europa, jóvenes musulmanes me han acusado de "hostilidad visceral hacia el Islam" y de "complot contra el Islam". Mi respuesta siempre ha sido muy pacífica y determinada. Sí muestro una hostilidad visceral contra el Islam, tenéis razón. No, no fomento ningún complot contra el Islam, porque el "complot" hace referencia a una hostilidad disimulada, mientras que la mía es franca y abierta".

Al respecto, el autor tiene razón al subrayar cómo la "islamofilia" de muchos ambientes, paradójicamente con la primera línea ocupada por sectores del episcopado católico, progresistas, burgueses y extremistas de extracción varia, se funda sobre todo en la ignorancia: "Ninguno de ellos ha estudiado el Corán, ninguno habla el árabe, ninguno ha puesto nunca el pie en un país musulmán (salvo quizás en el enclave de algún "Club Med"), ninguno ha visitado una ciudad de mayoría musulmana. Para ellos, el Islam –y la inmigración– son hechos abstractos, lejanos, simpáticos".

Ahora bien, el que escribe no da pruebas de ninguna "ternura filosófica" por el Islam. "Religión del desierto" en mayor medida que las otras dos "del Libro", entristecida por la predestinación aun más que la confesión luterana, con la cual además no comparte el rigor alemán, más represiva e hipócrita que el catolicismo, más ritualista y justificacionista que el judaísmo, mercantil como el calvinismo, iconoclasta, universalista, levantina, completamente desprovista del concepto de honor en el sentido que ha sido entendido durante tres mil años en nuestro continente, no tiene necesidad de una ojeada particularmente profunda para evidenciar su profunda alteridad respecto a la sensibilidad y a los valores que me hacen sentir europeo".

La ceguera que ha conducido a autores y opositores al sistema como Claudio Mutti, o algunos militantes de la derecha radical francesa, a la conversión al Islam, siguiendo al "ilustre" precedente guenoniano, no es sino una variante de esa ceguera que ha conducido a otros muchos, especialmente el Italia, a refugiarse entre los brazos de la Santa Madre Iglesia, especialmente después de algún trauma histórico o personal, a la búsqueda de unas migajas de identidad europea, de la que abjuran, que hayan podido quedar atrapadas en el vestido a pesar de los enérgicos y continuos cepillados.

Es perfectamente cierto, por lo demás, que el cristianismo (y el mismo judaísmo) han participado de nuestra historia, y no por ello son, en muchos sentido, menos extraños que el Islam.

Esta consideración, por otra parte, puede ser exactamente contestada en la constatación de que el Islam es una religión árabe, de matriz árabe, afirmada en Arabia y en la inmediata esfera de expansión de tal mundo, y cuyo destino en parte conspicuo se asocia estrechamente al de la nación y la identidad de los árabes. En este modo, el Islam nos parece efectivamente acercarse mucho más, "mutatis mutandis", a una religión ancestral, "política" e identitaria en sentido europeo; particularmente en oposición al judaísmo, fundado sobre el rechazo de la validez religiosa de la comunidad política, por lo cual el mismo Israel sería la anti-nación; y también en relación al cristianismo, cuyas (pasadas) relaciones privilegiadas con Europa han sido fruto de una identificación contingente y por ello incompleta, y cuya vocación universalista es, por ello, tanto más explícita.

Símbolo de este último punto es la relación respectiva de las dos religiones por un lado con el latín, lengua no originaria que fue abandonada sin demasiados problemas en el curso de una generación, y por el otro con el árabe coránico, que es Palabra de Dios, desde el punto de vista musulmán también desde un punto de vista lingüístico, dada de una vez y para siempre en su perfecta e insuperable formulación (exactamente como el hebreo bíblico, lengua ya muerta en la época del Imperio romano y artificialmente resucitada por el sionismo, y por los siglos de los siglos la única lengua del Eretz-Israel). Y en cuanto a la pretendida "intolerancia" islámica, ¿se trata simplemente de la característica de un sistema religioso en una fase menos decadente y envejecida de las que estamos habituados?

La dulzura y mansedumbre cristianas se implantaron en Europa con el asesinato a traición de un emperador por haber rechazado la nueva fe, el genocidio de los sajones, la persecución de los "hombres libres" del norte arrinconados hasta Islandia; y la misma dulzura y mansedumbre, en el momento de su triunfo, "santificó" las ciudades con las campanas y las hogueras preparadas para las brujas y los herejes, la matanza fratricida de la noche de San Bartolomé, el regicidio, las guerras de religión sobre el suelo europeo, el genocidio de los indios que rechazaron la conversión, el terrorismo de las sectas subversivas y el simétrico terrorismo represivo de la inquisición, que por vez primera en Europa elevó la tortura, el lavado de cerebro y la perversión del proceso judicial, a una forma de arte.

Sobre el plano histórico y doctrinal, el escenario diseñado por ejemplo por "Las mil y una noches" (ver la historia de Hasan al-Basri, capítulos 778-831, o la del sastre, del jorobado, del hebreo del intendente y del cristiano, capítulos 25-34) representa una sociedad cruel y profundamente extraña a nosotros, pero en el fondo más pluralista, flexible y articulada también desde el punto de vista religioso que aquella alumbrada por las "Luces del Medievo" cruzado y, después, por los fastos de la Reforma y de la Contrarreforma. Una sociedad en la cual se mueven libremente no sólo cristianos y judíos reconocidos como tales, aunque sean ridiculizados y condenados, sino también los temidos "magos adoradores del fuego" –que no son otra cosa que los supervivientes (perseguidos al día de hoy en pleno Jomeinismo) del culto zoroastriano en la Persia islamizada–, ciertamente de cuando en cuando matados por el héroe de turno o por la autoridad, pero aparentemente más a sus anchas de lo que pudieron estar nuestras brujas en Toledo o las americanas, algunos años después, en Salem.

Por lo demás, como recuerda Faye una vez más en "La colonización de Europa", "si hoy la Iglesia católica no practica la intolerancia inquisitorial, no predica la conversión universal y la cristianización del mundo, sino que se repliega sobre el "ecumenismo" y sobre la "apertura al Otro", es simplemente porque se encuentra en decadencia, porque las relaciones de fuerza no juegan ya a su favor, de modo que la fe es cancelada por la caridad y ésta última es cada vez más secularizada hasta terminar confundiéndose con los Derechos Humanos.

El mismo libro de Faye abunda en concesiones relativas al hecho de que los musulmanes, desde su punto de vista, hacen bien en ser lo que son, y en el reconocimiento del hecho de que sus componentes emigrados permanecen más arraigados en su cultura que las mismas poblaciones en las cuales se insertan. Incluso llega a acreditarles méritos que quizás, como veremos, ni siquiera tienen, escribiendo: "Pero no es necesario negar al enemigo su nobleza, ni la humana justicia de su causa. Llena el suelo que tú abandonas. Preserva su territorio y su sangre, engrandece su territorio con el tuyo y reemplaza tu sangre por la suya. El enemigo que juega su papel es estimable. Y el traidor en no serlo en absoluto…" Y continúa: "El Islam nos considera como una civilización en un tiempo temible y hoy desvirilizada, decadente, afeminada, homofilizada. Nos ataca por ello. Y desde su punto de vista tiene buenas razones… Se pueden perfectamente compartir valores comunes con el enemigo que te invade… El Islam aparece como una "rebelión contra el mundo moderno" (13), y por ello seduce… Respeto, como enemigo digno de interés, al musulmán conquistador, al "Beur" (14) presa del odio y la venganza".

A la luz de tales relieves, no es posible comprender cómo Faye pueda individuar en sus conclusiones al Islam como el "enemigo principal", añadiendo, aunque sea en modo cualificado: "Los Estados Unidos son, como ya he explicado en otra obra, y más precisamente en "El Arqueofuturismo", un adversario, no un enemigo".

Ciertamente, Carl Schmitt, abundantemente citado en las obras de Faye, distingue entre "inimicus" (el oponente civil, el opuesto de un aliado y un compañero en el interior de la comunidad) y "hostis" (el enemigo externo, el extranjero hostil en guerra perenne, actual o potencial, con la comunidad). En este sentido, al menos etimológicamente, "inimicus" es un término que denota una alteridad más blanda y meramente "concurrente". También cuando el uso corriente de los términos "enemigo" y "adversario", en el francés, italiano o inglés contemporáneo, parecen indicar conceptos diversos especularmente inversos.

La cuestión, por terminológica que pueda ser, es grave, porque comúnmente, cuando se hace la relativa distinción, se atribuyen al "adversario" exactamente las posiciones antes descritas para el Islam, es decir una rivalidad y una concurrencia nutridas en sustancia por un mero conflicto de intereses y de voluntades de poder contrastadas, entre sujetos distintos entre sí, pero no "metafísicamente" opuestos, y en posiciones de algún modo simétricas y equivalentes en el ámbito respectivo, que pueden también encontrar ocasionalmente razones de alianza (por ejemplo contra un enemigo común) y de respeto recíproco.

El "enemigo" parece exactamente ser aquello que el Sistema representa para todas las culturas y las razas vitales, la misma negación radical de su legitimidad y posibilidad de existir. La afirmación de Faye suena así paradójica, similar a aquella de un pretendiente al trono de los zares que declarase que el "verdadero enemigo" es su rival en la sucesión, reconociendo a la inversa a los bolcheviques que están a las puertas del Palacio de Invierno como legítimos "adversarios", oponentes deportivamente respetuosos de las reglas y de los valores de la sociedad rusa tradicional. Pero el sentido común nos dice, por el contrario, que en el lenguaje corriente el verdadero "enemigo" de los muchachos de la calle Pala no es la banda que disputaba con ellos el uso del campo de juegos, sino la empresa que terminó desmantelándolo para construir allí un edificio, después de tantos sacrificios inútiles para defenderlo.

El vuelco de esta distinción parece confinar peligrosamente con una deriva en donde se termina por reconocer, en la más pura ideología de las burocracias de Estrasburgo y Bruselas, una común pertenencia "concurrencial" de los Estados Unidos y la Unión Europea al mismo "club occidental", contrapuesto en cuanto tal a todos los demás. Y por lo demás, dado que los "traidores" a quienes Faye reserva un peor juicio son exactamente los partidarios del Sistema y del poder internacional y fundamentalmente americano, parece extraño considerar digno de respeto al partido "enemigo", y de desprecio e ignominia al partido solamente "adversario".

La afirmación no parece fruto de un lapsus ocasional. Faye insiste repetidamente en su libro en su perdurable y absoluta oposición al poder americano en Europa (oposición que es, por lo demás, el tema central del "Nouveau discours à la Nation Européenne", también en su segunda edición), generando cierta notable perplejidad un par de puntos sobre la Guerra del Golfo. Leemos, por ejemplo, al autor escandalizarse en sustancia por los estados de ánimo perplejos de los pilotos ingleses musulmanes al bombardear Iraq. O bien, en otro punto, mencionar de paso la crisis iraquí como un caso en el cual los "europeos" (¿!) supieron "una vez más" comportarse como "predadores", término por cierto no particularmente insultante ni para Faye ni para su público.

Estas salidas son absolutamente sorprendentes tanto en líneas generales como desde el punto de vista del autor, desde el momento en que se refieren a un caso en el cual los europeos han ido a la zaga de los americanos y de Israel en la defensa de las fortalezas del tradicionalismo islámico más oscurantistas y feudales, aunque políticamente más sumiso del Sistema, contra un Estado ciertamente árabe y de mayoría musulmana, pero administrado por un gobierno laico dirigido por principio de socialismo nacional, al menos en la contingencia específica en posición anti-Sistema, y representado por un ministro de exteriores de fe cristiana.

Situación que Saddam Hussein no ha sabido utilizar propagandísticamente, por ejemplo transmitiendo por televisión las misas de Navidad en Bagdad, mientras los "cristianísimos" obispos católicos y adventistas americanos destinados en territorio saudita deben guardarse bien de turbar la sensibilidad religiosa de sus protectores musulmanes con "inoportunas" celebraciones.

Por otra parte, Faye cita ampliamente un libro de Alexandre Del Valle: "Islamisme et Etats-Unis, une alliance contre l'Europe" (Editions L'Age d'Homme) (15), para demostrar que, si los americanos y comúnmente el Sistema apoyan y promueven la inmigración, por ejemplo a través de la política de las organizaciones internacionales, el Islam sería a su vez el aliado objetivo de los EEUU en la destrucción del continente europeo, no sólo a través de la inmigración, sino por ejemplo a través de la política petrolífera, la crisis de Bosnia, etc., hasta el punto de ser muy creíble una sustitución del condominio americano-soviético por un condominio americano-islámico, con la potestad de los mismos EEUU para intervenir como "pacificadores" o "garantes de los Derechos Humanos" también en países de la Europa occidental donde el enfrentamiento étnico superase cierto umbral, provocando una situación similar a la de Bosnia. En realidad, el "anti-islamismo" y el "anti-arabismo" de Guillaume Faye parecen nutrirse de una perspectiva en este caso "francesa, demasiado francesa", un tanto paradójica en un autor generacional y etiológicamente extraño a la hipoteca "argelina" que tanto ha pesado desde la postguerra en los ambientes anticonformistas transalpinos.

Y es evidente en numerosas admisiones del autor una especie de identificación refleja entre "inmigrante" y "musulmán", entre musulmán y árabe e, incluso aunque menos posiblemente, entre árabe y magrebí. Como demuestran los ejemplos y las citas de los ambientes de la inmigración que abundan en su libro. Cuando Faye habla de inmigración y Tercer Mundo hace en toda evidencia referencia a una realidad en sustancia representada por argelinos y marroquíes, o comúnmente a árabes con un fuerte predominio norteafricano, a lo máximo con alguna franja subsahariana, cerrando sus conclusiones con alguna experiencia personal directa, adquiridas "in situ", de la realidad saudita.

Pero la realidad de los barrios periféricos de París o del mediodía francés, que Faye describe de modo apasionado pero objetivo, no es la fotocopia exacta de los problemas de todo el resto del continente, y aun menos su proyección cósmica en términos de definición de los escenarios del choque final. Según los datos publicados por "Il Giornale" del 13 de enero de 2001, diario no sospecho de filo-arabismo, los árabes musulmanes son, según el Ministerio del Interior (y son datos que podrían estar subestimados, existiendo otras áreas en donde la componente clandestina de la inmigración es más elevada) menos de un quinto de toda la realidad de la inmigración italiana, y esto solo gracias a una reciente contribución masiva de Marruecos. Egipto, por ejemplo, no representa más del tres por ciento; Túnez –a unos pocos cientos de kilómetros de nuestras costas– el cinco; y el porcentaje del resto de países árabes hace proverbial referencia directa a sus prefijos telefónicos (16), mientras las cristianísimas Filipinas aportan a la casa ocho puntos, y el Senegal y la China rondan el cuatro por ciento cada uno.

Y hablando de "trends" demográficos y de pesos respectivos, ésta última por sí sola tiene, además de una excepcional homogeneidad étnica dominada en un 95% por la raza jan, una población siete u ocho veces superior a todos los países árabes juntos (o quizás deberíamos decir árabo-bereber-fenicios, dadas las crecientes reivindicaciones de los tamazigh en el África noroccidental y la componente no árabe del Líbano). El editorialista de "Il Corriere della Sera" del 2 de febrero de 2001 recuerda las proféticas palabras recientemente pronunciadas al respecto por la actual élite china: "¿creen en verdad que trataremos de administrar un país en donde se concentra un cuarto de la humanidad según los principios de la legalidad burguesa occidental? ¿Creen poder afrontar un derrumbe del cual nacería un flujo migratorio sin precedentes en la historia?"

Ahora bien, Faye parece paradójicamente mucho menos preocupado por esta perspectiva, hasta el punto de oponer la "buena integración" o la aparente tranquilidad (organizada por los Tong, las Tríadas y los traficantes de carne humana y heroína) de las minorías asiáticas a las minorías árabe-musulmanes de los pandilleros que se hacen notar rompiendo escaparates y violentando a las mujeres blancas en el metro parisino.

Por lo demás, mientras la India superó hace ya tiempo los mil millones de habitantes, la misma África negra tiene una presión demográfica notablemente superior a la de los países árabes, a pesar de las continuas sequías y las carestías de todo género, y a pesar también de la perdurante mortalidad infantil y la difusión endémica del SIDA, problemas que implican en mucha menor medida a la población emigrada en Europa, donde pueden gozar de condiciones de vida, higiene y nutrición, similares a la población local. Y sus emigrantes son mucho menos "integrables" que los árabes, como las mismas comunidades negras americanas, hoy compuestas exclusivamente por mulatos de diferente gradación, demuestran.

Alemania, como indirectamente también recuerda "La colonización de Europa", sufre a su vez mucho menos de una inmigración árabe que turca, etnia a la que Faye dedica en algunos puntos singulares palabras de simpatía, con obvia función antiárabe. Pero, aunque los turcos ("mal islamizados", según Faye) hayan aplastado durante algunos siglos a los países árabes y norteafricanos bajo su dominio, por mucho que puedan haber sido aliados de los imperios centrales o haber refundado su propio estado en los años de entreguerras en imitación de los institutos y reformas introducidos por las revoluciones nacionales europeas, el verdadero "enemigo musulmán de Europa", despues de los "moros" de Carlos Martel, los enfrentamientos armados con los restos del Imperio bizantino y la Reconquista española, siempre ha estado representado sustancialmente por los turcos. Partiendo de las alucinantes vicisitudes que les vieron competir en humanidad y caballería con personajes como Vlad Tepes, alias Dracul, en los Balcanes, hasta llegar al asedio de Viena, pasando por la piratería mediterránea y las batallas de Creta, Malta y Lepanto. "Mamma, li Turchi!", se gritó en las costas italianas durante siglos a la llegada de los piratas, "Mamma, gli Arabi!" es una exclamación posible en nuestra lengua solamente… desde finales de los años noventa. Y aun hoy los turcos son la comunidad musulmana más numerosa en territorio europeo.

Mientras los árabes son acusados de esterilidad y parasitismo cultural, pues lo habrían tomado todo de los países conquistados (tesis que tiene indudables elementos de verdad), generalmente se escucha un clamoroso silencio frente a la "refinada" civilización otomana creada por predadores asiáticos y mercenarios rebelados contra sus señores araboegipcio-iraquíes para construir una parodia del Bajo Imperio, con tantos trazos discutibles y por lo demás con tantos éxitos a la hora de integrarse en la historia y en la identidad griega y balcánica. Y que hoy están dignamente prolongados por películas como "El expreso de media noche" y "Hamman". Un país en donde, para mostrar la propia desaprobación civil a las posiciones expresadas por un adversario político, no es el todo inaudito encontrarse al hijo crucificado en la puerta de casa con los ojos arrancados y los genitales en la boca, en donde corrupción, terrorismo y represión compiten en una carrera infinita y donde se consuma con toda tranquilidad el etnocidio de los kurdos y los armenios con la bendición del Sistema y de los aliados en la OTAN.

La misma realidad del Islam es una realidad compleja, que "La colonización de Europa" afronta certeramente sobre el plano cultural y teológico, desmintiendo con justicia muchos tópicos y mucha propaganda tranquilizadora al respecto, pero que merecen una mayor profundización también sobre el plano histórico-político.

Parece, por ejemplo, una consideración obvia que algunos de los principales Estados musulmanes, para bien y para mal, no son en absoluto árabes, ni étnica ni políticamente, ni siquiera –en parte– culturalmente: ver, más allá de la citada Turquía, el Irán, Afganistán y Paquistán. Además, el África del Norte es en varios aspectos una realidad bien distinta al Oriente Medio. Igualmente, la distinción entre sunnitas y chiítas reviste hoy en día un peso ciertamente superior al que divide, por ejemplo, a los cristianos ortodoxos de los católicos. Aun teniendo presente que, como dice Faye, "no se discute sobre el sexo de los ángeles cuando los bárbaros están a las puertas", y que no parece adecuado adentrarnos en minucias irrelevantes y desmovilizantes, para combatir a algo o a alguien, sea enemigo o adversario, es preciso conocerlo.

Aun más relevantes nos parecen otro tipo de distinciones, que ven hoy en día al "mundo islámico" subdividirse en algunas grandes componentes:

– las áreas fuertemente occidentalizadas, completamente integradas al sistema, como Túnez en primer lugar y en segundo Marruecos, a los que hay que añadir Turquía, Argelia y Egipto, a pesar de las fuertes oposiciones internas.

– los gobiernos del tradicionalismo y oscurantismo feudal musulmán, como Arabia Saudita, Kuwait, Qatar y, en parte, los Emiratos Árabes Unidos, todos de hecho protectorados americanos, aliados objetivos del sistema y traidores a los intereses del pueblo árabe.

– los países "laico-revolucionarios", "en los márgenes de la comunidad internacional", como Libia, Iraq (17) y, en posiciones más ambiguas, Siria y Paquistán.

– los países y movimientos del Islam militante, como el Irán, Afganistán, los libaneses de Hezbollah, Sudán, el denominado fundamentalismo islámico en Argelia, Egipto, Turquía y las repúblicas ex soviéticas, los componentes "extremistas" de la resistencia palestina, etc.

Ahora bien, los problemas para Europa, en materia de inmigración, provienen en sustancia del primer grupo. La alianza política objetiva con las fuerzas del Sistema denunciada por Faye no atañe sino al primer y al segundo grupo. Para el tercero y el cuarto, frente a la retórica sobre la agresividad del Islam, parecen ciertamente retorcidos los análisis que intentan demostrar la alianza "objetiva" entre Libia y los Estados Unidos, entre Nato e Intifada, entre la oposición argelina y los "sponsors" internacionales del gobierno que capturó el poder tras un golpe de Estado que canceló el respaldo electoral favorable a las fuerzas islámicas (¡!). Siguiendo ese hilo, podríamos concluir imaginando a los talibanes o a los imanes chiítas incitando a la propia juventud a desertar del propio país y de la propia comunidad militante para emigrar a los países donde el alcohol se consume en público, la mujer goza de una libertad sexual análoga a la del hombre y la blasfemia reina soberana, salvo quizás para pensar en salvar el alma con la firma de alguna petición para la construcción de alguna pequeña mezquita en nombre de los Derechos Humanos.

La verdad es que ningún italiano ha visto un libio de carne y hueso en la segunda mitad del siglo apenas concluso, a menos de haber sido llevado al lugar o a la embajada. Y se trata de un país que fue una de nuestras colonias por más de una generación, donde aún se habla la lengua italiana, y casi a tiro de artillería o de las lanchas neumáticas desde las costas de Pantelleria (¡!).

No por lo demás los ayatolás iraníes o el gobierno iraquí aparecen en primera fila incitando a la emigración, mientras los fundamentalistas egipcios manifiestan todo el propio deseo de mezclarse con los infieles organizando además atentados contra los turistas. Al contrario, es posible sostener que los únicos inmigrantes que originan los países no alineados con mayorías musulmanas son disidentes filo-occidentales o minorías étnicas –¡quizás católicos, como los armenios!

Si en Argelia no hubiese tenido lugar un golpe de Estado anti-islámico apoyado por Occidente, la misma Francia tendría quizás menos problemas de inmigración con su más discutida ex-colonia, exactamente como la inmigración de la Europa oriental no representó mayor problema hasta que los ciudadanos de tales Estados no precisaron solicitar un visado de salida. Y ello aunque el Adriático no se hubiese vuelto en ningún modo más estrecho, o los albaneses de algún modo mejor equipados en cuanto a embarcaciones o más emprendedores de lo que eran antes.

El Islam será seguramente siendo agresivo, y los países en donde viene siendo practicado no tienen ciertamente nada en contra para expandir con la mejor buena conciencia el propio territorio y esfera de influencia, pero si se le acredita representar un movimiento conquistador, identitario, patriarcal y autoritario, por cuanto gravado por la hipoteca universalista y monoteísta propia a todas las religiones del Libro, difícilmente se le puede imaginar dispuesto a promover la emigración hacia un país donde, como recuerda Faye, el 20% de los matrimonios de hoy en día son mixtos, estadísticamente destinados terminar en el divorcio y con la prole confiada a las mujeres infieles (¡!). Aquello que es directamente causante de la  inmigración no es la pobreza, ni mucho menos la agresividad o rebeldía de los respectivos gobiernos. Es el dominio de los valores occidentales en su sociedad, y el grado de sometimiento político y económico de sus países al Sistema.

De Iraq solamente emigran los kurdos, a pesar de ser un país sometido a un terrible embargo internacional, con el 15% de los niños, según "Il Giornale" del 19 de febrero de 2001, afectados de desnutrición. No hay que olvidar que el primero de los Derechos Humanos, el primer elemento de desarticulación –¡también interna!– de los residuos de identidad común en las regiones aun no alienadas y occidentalizadas, es la libertad de andar y venir, el desarraigo de las raíces territoriales que vuelve a las poblaciones móviles, fungibles, proletarizadas, privadas de pertenencias (cuando no en el límite alienado e imaginario representado por los restaurantes y la parroquias, o por la afición futbolera), cuyo vértice es naturalmente la emigración.

Otra cosa es, naturalmente, el islamismo "literario" de los conversos europeos, o el imaginario y polémico de los negros extremistas estadounidenses, que se creen musulmanes como el barbudo americano de color protagonista del film "Ghost Dog" cree, leyendo el "Hagakure" de Yoko Yamoto, ser un samurai del medioevo japonés, ejemplos tan patéticos como la convicción de algunas "stars" occidentales del espectáculo de ser budistas. Y otra cosa es aun el islamismo minoritario y sedicioso, representado no sólo por la componente "radical" de los inmigrantes musulmanes en Europa, sino por ejemplo por una parte notable de la población india –contexto en el cual parece obvio el deber de tomar partido por un gran país cuya cultura y religiosidad profundizan en las más lejanas (y degeneradas) raíces indoeuropeas, contra la intolerancia facciosa de sectas fanáticas que han llevado la maldición de Abraham contra la sacralidad del mundo y de la comunidad política hasta la tierra de la literatura védica, de Indra, Mitra y Varuna.

Es pues el mismo Guillaume Faye quien, acusando a la Nueva Derecha de confundir la perspectiva de acuerdos geoestratégicos con el Islam (entendido como conjunto de entidades políticas y estatales) con la tolerancia hacia la inmigración o la islamofilia "filosófica", subraya indirectamente cómo las dos posiciones no tienen absolutamente ninguna relación necesaria. Cosa demostrada históricamente, por lo demás, por la política filo-árabe de los ingleses a principios del siglo XX (en función anti-turca) y de los alemanes de entreguerras y durante toda la Segunda Guerra Mundial (en función anti-occidental), ciertamente ni en el primero ni en el segundo caso por aspiraciones al mestizaje árabe-europeo, o a la conversión o a la creación de sociedades multirraciales en los propios países.

De nuevo es el mismo autor quien explícitamente hipotetiza posibles relaciones diversas, incluso alianzas, entre Europa y los países islámicos, enumerando como pre-condiciones: que no sea suscitada ni la interpenetración étnica ni el proselitismo religioso; que cese la política de alianza subterránea antieuropea con los Estados Unidos; que sea reconocida la soberanía europea sobre el territorio que abarca "desde Portugal hasta el estrecho de Behring, del Cáucaso al espacio siberiano". Pero, en el momento de exponerlas sobre el plano político concreto, apenas podemos imaginar la perplejidad de un dirigente político islámico frente a estas "condiciones" o "solicitudes" ante una mesa de negociaciones.

Veámoslo brevemente desde el punto de vista del imaginario dirigente:

1) El tráfico de mano de obra musulmana hacia las tierras infieles está organizado por el Sistema y por los gobiernos fantoches de los países filo-occidentales, aun cuando éstos no lo promuevan activamente, ni escondan su preferencia por algunos miles de dólares de más en "ayudas internacionales", empleados sobre el lugar por parte de las corruptas burocracias del poder, respecto a diez permisos de trabajo de otros tantos emigrantes cuyos (dudosos y eventuales) envíos de divisas a las familias de procedencia son ciertamente más difíciles de interceptar.

2) Mientras exista una obvia presión objetiva a la conversión en las zonas y en los barrios europeos de dominio musulmán, para un musulmán, como subraya Faye, el aspecto religioso permanece estrechamente conectado al aspecto político y étnico, así que el escenario de "misioneros del Islam" enviados a convertir a otras poblaciones según el modelo católico y protestante no tiene ninguna posible comparación histórica pasada o contemporánea. Para la mentalidad árabe, la única verdadera "conquista" es aún la tradicional adquisición de territorios a través de anexiones político-militares.

3) Ninguna de las naciones árabes tiene reivindicaciones territoriales o dominios sobre Europa; a lo más, es Turquía, a la que hemos visto gozar de la indulgencia cuando no de la simpatía de Faye, quien mantiene bajo el propio indiscutible dominio una ciudad particularmente importante en la historia europea bajo los nombres de Bizancio y Constantinopla, controlando además por cuenta de los americanos los estrechos y el acceso de las poblaciones eslavas del este al Mediterráneo.

4) La posición de la Europa actual no la de la oposición a la "alianza subterránea" reprochada por Faye a los árabes respecto a los EEUU –situación que por lo demás únicamente describe las posiciones de los gobiernos árabes filo-occidentales–, sino una subordinación del todo abierta y "oficial" a los mismos EEUU y a las organizaciones internacionales por ellos dominadas, que se manifiesta en particular con un apoyo incondicionado a los intereses americanos e israelitas en el Mediterráneo y en el Oriente Medio (¡!). No es difícil imaginar que si nuestro hipotético dirigente tiene algún conocimiento de la Biblia, además del Corán, la primera idea en venirle a la mente sea la parábola de la paja en el ojo ajeno y la viga en el propio.

Todo ello nos lleva a introducir un nuevo elemento crítico respecto al análisis contenido en "La colonización de Europa".

La utilización de términos como "conquista", "guerra", "colonización", es absolutamente legítima para evocar la situación de dramática emergencia en la cual nos encontramos, y tiene su eficacia y posibilidad en términos metafóricos. Pero tal utilización parece menos justificable, y comúnmente menos útil en términos estrictamente políticos, cuando es expresada en sentido literal y con vistas a acreditar la tesis de que exista un positivo y consciente "complot" por parte de las jerarquías religiosas, de los emigrantes y de los gobiernos de los países islámicos, todos indiferente y globalmente incluidos, con vistas a la realización de un diseño político unitario.

Hemos visto que el Islam, incluyendo la más reducida nación árabe, por desgracia o por fortuna, ni está unido ni es particularmente unitario. Mientras en cada uno de los países y componentes anidan algunos de los más resueltos opositores contemporáneos al sistema de poder internacional, otros no solamente están perfectamente alineados a éste último, sino que no constituyen más que irrelevantes fiduciarios locales de una colonización occidental que persiste en tales países de una forma nueva, hasta privarles de cualquier capacidad o poder de iniciativa que vaya más allá del hecho de negar la extradición de Craxi a los ministerios públicos de la República Italiana o de constituir útiles objetos y pretextos para las guerras occidentales contra otros musulmanes.

Ahora bien, las masas sociales de desadaptados, homologados neo-occidentales, criminales, jóvenes desarraigados y desesperados varios que hacen fila para entrar en Europa, vientre blando y puerta de servicio del "centro del Imperio", al mismo tiempo original en el pasado y copia bruta actual de la realidad transmitida por los televisores vía satélite, no son ciertamente las orgullosas tropas de asalto de una civilización conquistadora. Son mucho más similares a los rechazados de regiones y culturas que sufren a su vez de una fortísima incomodidad a una horda empujada sobre nuestras orillas por el atractivo de botines imaginarios, desplazados, "merci umane", por el sistema económico internacional según las propias exigencias. Representan las avanzadas de una "conquista" árabo-musulmana de Europa exactamente como los Padres Peregrinos representaron la conquista del continente americano por parte de la milenaria cultura europea o del Sacro Imperio Romano. Algo, seamos claros, que no impedirá a nuestros inmigrantes reducir a la ruina y a la extinción a nuestros pueblos, exactamente como las culturas de los pieles rojas fueron extirpadas por los emigrantes que partieron allí para así mejor renegar de la propia civilización, la propia raza y su comunidad. No es casualidad, por lo demás, que la norteamericana haya sido, como la que hoy nos amenaza, un colonia de población, como lo fueron en gran parte Australia o Sudáfrica, zonas ambas, por lo demás, a diferencia de Europa, con una bajísima densidad de población autóctona –en oposición a las colonias un tanto diversas como las de Indochina, Malasia, Tanzania, Etiopía o las Filipinas.

Cuando, como relata Faye, los imanes de la periferia de París predican: "Este continente se ofrece a nosotros, o mejor es Allah quien nos lo ofrece, como un fiero guerrero metamorfoseado en mujer sumisa" (de un boletín difundido por "Amicale des Musulmans de Créteil" en noviembre de 1999), se oyen resonar distintos ecos, muchos árabes, de desesperación depresiva y de una arrogancia compensatoria, incluso no sea una cita extraña a los lectores de "Las mil y una noches" (ver la historia entre el rey an-Un´man y sus descendientes contra el Imperio bizantino, capítulo 45). Por ello, las comparaciones históricas con Solimán el Magnífico, con Saladino el feroz o con el mismo imperialismo otomano aparecen sin duda sugestivas, potencialmente movilizadoras, pero sólo con la condición que tales referencias no vengan ofuscadas con la correcta comprensión de la realidad histórica y de las aclaraciones pertinentes.

Parece que este caso es el propio Faye quien concede un crédito excesivo a los gobiernos y a los países emigracionistas, en atribuirles planes orgánicos y coordinados de conquista, cuando su rol y peso actual parece más similar al de los jefes de tribu del África central y occidental que durante al menos cuatro siglos vendieron regularmente a sus propios súbditos a los traficantes de esclavos, primero para abastecer los mercados árabes y después los brasileños y los estadounidenses. ¿Aquel tráfico de esclavos puede ser considerado una "estrategia" para alterar la composición étnica del África sahariana o de los inmigrantes americanos "caucásicos", o para colonizar genética y culturalmente los relativos ámbitos?

Sería más que dudoso. Seguramente tal emigración ha mestizado más o menos consistentemente las zonas de destino, seguramente en los casos brasileño y estadounidense ha alterado irremediablemente las líneas culturales. Pero que todo ello correspondiese a una expansión deliberada, y al avance histórico, cultural y biológico de las poblaciones implicadas, es en verdad difícil de sostener. El autor parece aquí víctima de la propaganda identitaria de los mismos inmigrantes que, extraños en tierra extranjera, buscan en el peor de los casos recuperar y mantener una cohesión interna con valencia sustancialmente sindical y reivindicadora, compensatoria y consoladora de su "status" de desarraigados y renegados mestizos que, a pesar de todo, a diferencia de muchos europeos, americanos o brasileños, evidentemente aun no están enteramente habituados. También aquí habla en el fondo de Guillaume Faye la voz del ciudadano de un país antaño colonialista, que conoce desde hace pocos decenios la inmigración, pero que por emigración entiende aun hoy… ¡el éxodo hacia otras cortes europeas del residuo no guillotinado de la aristocracia francesa durante el periodo napoleónico y revolucionario! Concepto y experiencia cuando menos diferente de aquellos que el término "emigración" representa por ejemplo para la cultura italiana o irlandesa.

Si es cierto que el veinte por ciento de los matrimonios franceses son hoy en día matrimonios mixtos –incluso atribuyendo todo el peso del caso al hecho significativo de que se traten en la gran mayoría de los casos de matrimonios entre inmigrantes y mujeres autóctonas (y los jueces franceses contemporáneos asignan regularmente, en caso de separación, la prole a la madre, exactamente como los italianos)–, si es cierto que los inmigrantes no son (todavía) mayoría, y si finalmente es cierto que los inmigrantes no son ciertamente homogéneos entre sí, ¡no se diseña en el panorama un futuro de "limpieza étnica" para las comunidades extranjeras en el hexágono francés!

Por lo demás, al frente de las preocupaciones expresadas en "La colonización de Europa" a propósito del potencial condicionamiento de la libertad de la política exterior europea (¡!) por parte de los ambientes de la inmigración, en particular musulmana, es fácil constatar que la incidencia que la comunidad islámica puede ejercer al respecto es muy similar a aquella, en verdad mínima, de la comunidad italiana y alemana en América en las vigilias de la Segunda Guerra Mundial, y no por ejemplo a aquella de signo opuesto de la comunidad judía en nuestros países, o a aquella ejercida, por la vía del chantaje económico, la ocupación militar y el sometimiento político-cultural, por los Estados Unidos.

Estoy perfectamente de acuerdo con Faye al considerar hipócrita, jesuítico y perdedor el eslogan que invita a luchar "contra la inmigración, no contra los inmigrantes", muy parecido al anticomunismo clerical de los años cincuenta que quería "combatir al pecado, no a los pecadores". Los segundos caminan evidentemente con las piernas de la primera, y combatir la inmigración significa combatir la llegada, la instalación y la permanencia de los inmigrantes, por lo demás en nuestro país casi siempre ilegales en el sentido de la propia normativa vigente.

Pero considerar a los inmigrantes la consciente quinta columna de una guerra de conquista, cuando son a la inversa los gérmenes patógenos de un desarraigo universal que vacía y destruye las culturas y las economías de procedencia y saquea hasta reducirlas a ruinas las de destino (más allá de las momentáneas ventajas que aún están por demostrar), parece fruto de un "complotismo" que termina por revelarse políticamente funcional como discurso de legitimación para una "microguerra local de bandas", que es precisamente uno de los aspectos mas caracteristicos de la sociedad multirracial a la americana.

Evidentemente, también aquella de la "trata de esclavos" es una metáfora. Los inmigrantes, no sólo en Francia, apenas llegados se "empadronan" se benefician en la mayoría de los casos de un inmediato acceso a los bienes de consumo normalmente muy superior al que gozaban en los países de procedencia; se integran casi inmediatamente en la economía más o menos ilegal, cuando no criminal, de las respectivas comunidades; obtienen beneficios, ayudas y asistencia pública, con condiciones incluso discriminatorias para las poblaciones autóctonas. En una palabra, se "aburguesan". ¿Pero acaso es esto lo que entendemos por "victoria" y por "conquista"? Después de lamentar una tal suerte para las poblaciones europeas, ¿reconocemos en ella una "victoria histórica" de los inmigrantes? Del mismo modo se podría sostener que el proletariado o la Unión Soviética "han vencido", porque, hoy, con un poco de fortuna pueden comprar algún foulard de Hermes en las rebajas del supermercado occidental…

En "El Arqueofuturismo" Faye critica tal vez con exceso las que él mismo define como sus pasadas posiciones, y el proyecto político resumido en el título del libro "Europe-Tiers Monde, méme combat" de Alain de Benoist. Es absolutamente cierto que en Arabia Saudita un "pagano" o un "ateo", a diferencia de un cristiano o un judío, no tienen ningún derecho de entrada, y que los musulmanes desprecian a los europeos (por lo demás, como reconoce Faye, perfectamente con razón). Es cierto que son ilusorios "acuerdos" y "alianzas" entre mundos que en gran parte compiten para mejor comprometerse con el común enemigo americano. Pero no es en absoluto necesario que la detención del "ataque demográfico", o de una "colonización" que sólo es tal en el sentido zoológico del término, devenga objeto de un "acuerdo negociado" Europa-Tercer Mundo, según la hipótesis debenoistiana de la época (hoy desfasada en el "comunitarismo etnopluralista" de la Nueva Derecha ya tratado).

La verdad es que los países del Tercer Mundo que conservan algún residuo de independencia política o de cultura comunitaria e identitaria no han sido antes y no son ahora países de emigración, puesto que en ellos se entiende comúnmente que los recursos humanos pertenecen a la comunidad nacional, y pueden y deben ser empleados para resolver los posibles problemas comunes, e igualmente para compartir el destino común.

Y no es casualidad, exactamente como sucedió en Europa, que el enfriamiento y la inversión de los flujos migratorios siempre ha dependido constantemente del grado de sometimiento o independencia del país implicado (ver en nuestro continente como ejemplos a la Escocia después de la batalla de Culloden, la Irlanda dominada por los ingleses, la Alemania de los pequeños estados preguillerminos…). Exactamente como inversamente proporcional al grado de sometimiento político resulta la presión demográfica autóctona –lo que deja no sorprendentemente a Italia y Alemania en el fondo del mismo grupo europeo-occidental, ¡con la tasa de natalidad más baja de la historia de nuestro continente, como anota Faye, del tercer siglo después de Cristo!

Por lo demás, en términos ciertamente no de "cohabitación", sino más bien de "consistencia histórica posible, hemos ya apuntado que el cristianismo es intrínsecamente misionero y universalista (y aún lo es más en sus formas secularizadas), y por consiguiente inevitablemente llamado a "convertir" y adulterar con todos los medios las culturas ajenas; el judaísmo es fundamentalmente cosmopolita y por ello llamado a insertarse como cuerpo extraño etno-religioso en las otras culturas y comunidades y a minar y negar su cohesión interna; el Islam es hoy fundamentalmente el monoteísmo identitario de una comunidad etnocultural compuesta, ciertamente antifaústico y fundado sobre el rechazo de la visión europea de la historia, ciertamente imperialista e investido por una misión divina de autoafirmación, pero sobretodo, y, no sin razón, preocupado de no ser asimilado.

Tal diversificación tiene orígenes no solamente en diferencias teológicas, sino en experiencias históricas muy concretas que han envuelto a las tres religiones, llevándolas a ser lo que son, de tal modo que el Islam es el único en poder reivindicar con buen derecho una especie de "autoctonía" (que en el ámbito monoteísta sólo las corrientes sionistas del judaísmo buscan, no por casualidad, remedar con la constitución del Estado de Israel). En tal sentido, el expansionismo islámico, con la excepción quizás de la compleja vivencia de la primera islamización de Persia, parece ciertamente más cercano, a pesar de todo, a los modelos tradicionales de expansionismo político-culturales propios a todas las civilizaciones que al tipo de influencia etnocida ejercida en Occidente y en todo el mundo por el judeocristianismo, primero, y por sus variantes secularizadas que conocemos con el nombre de Sistema después; y por ello parece ciertamente menos inclinado a malgastar la propia voluntad de poder en la conversión y la adulteración forzada y/o en la dominación oculta.

Simétricamente, a diferencia de la mentalidad propia al judaísmo y al cristianismo, las poblaciones musulmanas derrotadas y sometidas, como reconoce Faye, siempre se encierran en el fatalismo y en la preservación de las propias tradiciones, sin representar ningún particular potencial de "envenenamiento" para aquellos que han llegado eventualmente a dominarles. Parece así difícilmente admisibles, y casi increíbles en boca del autor, algunas declaraciones en las que se deja arrastrar en su brillante discurso, como aquella (pág. 147) según la cual… "el pagano puede vivir sin conflictos con el cristiano o el judío, pero no con el musulmán" (¡!)

Del mismo modo, me parecen históricamente muy dudables, y políticamente desmovilizadoras, las opiniones según las cuales "es más fácil liberarse de unos "jeans" que de un chador, de un McDonald´s que de una mezquita". La historia está repleta de culturas que se imponen sobre otras culturas, para luego sufrir el desquite; las mezquitas fueron ya extirpadas sin mayores problemas de España, de Sicilia y de los Balcanes; la destrucción de todo testimonio cultural en el magma indiferenciado del Sistema, especialmente allí donde deviene completa, parece, según el actual estado de las experiencias, más irremediable.

Así, este tipo de afirmaciones, que sería erróneo extrapolar del contexto globalmente condivisible de la obra que comentamos, me parecen muy peligrosas bajo tres perfiles. El primero: la desenfatización de ese componente del aspecto propiamente racial y demográfico del problema, sobre el cual Faye ha insistido antes como una de las componentes trágicamente ignorados en las tendencias asimilacionistas o multiculturalistas por él criticadas. El segundo, estrechamente unido al primero: la objetiva continuidad que se genera con las posiciones del clero católico "combativo", que ya pagó el cambio con un lento declive de las vocaciones y del peso religioso contra el reconocimiento y el respeto social ahora unánimemente compartidos en exclusiva con los "hermanos mayores" de religión hebrea, y que hoy no tolera la improvista llegada de los "primos" mahometanos, convocando así a ciertos cruzados según quienes "nuestra cultura" será defendida solamente prohibiendo el culto islámico o expulsando al mar a los prófugos (europeos, a pesar de todo) de Bosnia, mientras serían bien recibidos los párrocos del Zaire, las criadas filipinas, los obreros andinos, las hermanas jamaicanas, los programadores israelíes…

Y, en tercer lugar, el hecho de que la pseudo-cultura de los McDonald´s y los jeans preparan y hacen posible exactamente el tipo de sociedad en donde conviven mil sectas entre sí, con el indiferentismo común y mayoritario, entre cientos de razas diversas sobre el mismo territorio. Todo el mundo es ciudadano, todos van y vienen, se entienden en inglés, no hay razón para no llevar a casa el propio pedacito de folklore o de creencia, o para no organizar la propia banda étnica en la cual encontrarse y encontrar un sucedáneo de política en el enfrentamiento tribal contra el barrio o el condominio confinante.

Retornando sobre un plano más filosófico y cosmo-histórico, uno de los eslóganes propuestos por "La colonización de Europa" es "Del etnopluralismo al etnocentrismo". Tales posiciones siguen los pasos de una ulterior crítica a la extremización (o mejor, en realidad, a la "externalización") de las posiciones antiuniversalistas de la Nueva Derecha.

También en este caso la Nueva Derecha ha partido de presupuestos correctos, y sobre todo capaces de derrotar políticamente al interlocutor "politically correct", precisamente por la constatación de la fundamental irreductibilidad de las civilizaciones y de las razas humanas, de modo que toda hipótesis de "igualdad humana" en sentido intercultural es en primer lugar ofensiva y lesiva para la identidad y el legítimo orgullo de pertenencia del "igualado". "Igualado" que es aburridamente asimilado, desde un punto de vista ideal antes que práctico, en una "humanidad" genérica definida sobre la base de parámetros occidentales, en donde como en Schelling "todas las vacas son grises", negando implícitamente el mismo derecho del Otro a la existencia –lo cual termina por reflejo negando implícitamente la existencia del Uno.

El subrayado de tal consecuencia "racista" inscrita en los postulados ideológicos del Sistema pertenece, por lo demás, a una estrategia más general del "déplacement" siempre aplicada en los ambientes de la Nueva Derecha, como ya hemos visto por ejemplo elevando a sistema el hecho de relanzar las tesis más inconvenientes a través de la sagacidad de citar entre comillas a personajes "santificados" por cualquier discrepancia con los regímenes fascistas históricos (quizás por repugnancia hacia un guardia urbano, o paradójicamente por… extremismo político mal conciliable con la "centralidad" mussoliniana o hitleriana), de la serie "he aquí, si queremos citar las ideas incómodas ya perseguidas también en los años treinta, etc."; y en este caso gritando a la inversa: "no respetan el derecho a las diferencias y las características concretas y específicas de las poblaciones extraeuropeas" (acusación que muchos toleran si se refiere a nuestra cultura y raza, pero que deja un fuerte sentido de incomodidad si se generaliza en una acusación de "injusticia" hacia los otros).

Al igual que en el ejemplo citado se termina en verdad por ser influenciado por todas las componentes más bizarras, lunáticas y marginales del mundo antiliberal de la primera mitad del siglo XX, también el discurso de la Nueva Derecha relaciona la cuestión de la originalidad e incompatibilidad de las culturas que termina siempre por desembocar en la idea perniciosa de una fundamental equivalencia entre la civilización y la raza, de una "par dignidad" acordada incondicional y automáticamente en toda dirección histórica y geográfica.

Desde aquí no hay mas que un paso para admitir incluso una inferioridad de la civilización europea, o al menos de la civilización europea históricamente existente, tesis que por lo demás ya había sido aceptada tanto en los ambientes tradicionalistas ("ex oriente luz", la "acción" como sierva de la "contemplación", la decadencia moderna y el reino de la cantidad respecto a la conservación a través de usos y costumbres más cercanos a una presunta Tradición ancestral común) como en los ecologistas y neoprimitivistas (con sus declaraciones en favor de sociedades históricamente extrañas, en supuesta armonía con la naturaleza, "no-agresivas" antifaústicas).

Tal conjunto de ideas es justamente rechazado por Faye como fruto y manifestación de un disolvente oscuro, de un etnomasoquismo enfermo que reniega de las propias raíces y no puede percibir intelectual ni afectivamente la absoluta peculiaridad de la propia identidad respecto a la identidad de los demás.

En oposición a ello, el autor retiene de nuevo la afirmación polémicamente opuesta de la superioridad de la cultura europea, que el libro "demuestra" con ejemplos y argumentos cuando menos convencionales y propios del siglo XIX, como la comparación entre Miguel Angel y la estatuaria precolombina, entre Mozart y la música ritual del Asia u Oceanía, enumerando además los legados de la cultura europea "en campos tan diversos como la arquitectura, la poesía, la literatura, las artes plásticas, la música, la astronomía, la física, las ciencias naturales, las matemáticas, la filosofía, la espiritualidad, la medicina, las técnicas aplicadas".

Ciertamente, cualquier tentativa de devolver a los europeos "conciencia de sí" es seguramente apreciable. Pero el discurso de "La colonización de Europa" deviene tan ambiguo y desviado como aquellos a los que se opone el autor cuando él mismo termina por escribir: "Existen criterios objetivos y universales de comparación entre las civilizaciones". O peor aún, en una caída absolutamente insólita de Faye en el tópico y en lo "políticamente correcto": "Hay religiones objetivamente superiores a otras porque sus obras espirituales son más elevadas (?) y porque no han dado lugar a masacres" (!).

Ahora bien, la idea de la "superioridad objetiva" es exactamente el punto de vista del extremismo "blanco" americano, del colonialismo franco-británico y tambien del reciente occidentalismo liberal (como por ejemplo, en Francis Fukuyama), y está tan viciada en sus presupuestos como es perjudicial en sus recetas prácticas. Por mucho que pueda aparentar ser "etnocentrista", comporta en realidad la admisión de una comparación universalista "entre naranjas y manzanas", como dicen los ingleses, algo extraño a la experiencia y al espíritu de las grandes civilizaciones históricas. Escribe Faye: "Los pueblos de larga duración, las civilizaciones vivaces siempre se han creído centrales y superiores", y cita como ejemplos a la China y al pueblo judío. Trasladando aquí las cuestiones más complejas y absolutamente peculiares que posee éste último, es perfectamente cierto que todas las grandes culturas y razas siempre se han considerado "superiores", pero en relación a los valores que ellas mismas se daban y expresaban, sin importarles mínimamente que en la base de tales reivindicaciones obvias (y contingencias) hubiese o no cualquier "verdad objetiva" de naturaleza universal, supercultural e interracial.

También me parece equívoco el criterio del "suceso histórico", porque tal "suceso" de la civilización europea es hoy peligrosamente puesto es discusión sobre el plano cultural y biológico, sin que ello deba mínimamente poner de nuevo en discusión la fidelidad que debo tributar a la misma civilización europea. Y secundariamente porque el mismo criterio está evidentemente influenciado por un punto de vista exactamente occidental-europeo, puesto que el "suceso" (versión pervertida de la idea de la "gloria inmortal" específica de la mentalidad indoeuropea, y por nada universal) es ya un sistema de medida culturalmente relativo, y como tal puede representar bien poco, o ser completamente incomprensible, en la perspectiva original, no occidentalizada, de la cultura malgache o de la tibetana.

Aún peor me parece el recurso a los "reconocimientos" que a la "superioridad" europea vemos tributar por otras culturas ("En el Japón, por ejemplo, la música europea es reconocida como más evolucionada que la música nacional"). Es fácil identificar en muchos de tales reconocimientos nada más que la manifestación del desarraigo impuesto por el colonialismo cultural del sistema occidental, o nada menos que la regresión a un estadio ulterior de degradación, un equivalente local del exotismo folklórico y de la xenofilia que Faye reprocha a los europeos (ver los coreanos que cenan en restaurantes con los camareros disfrazados de gondoleros o con traje tirolés). Pero en otras ocasiones, los mismos reconocimientos no son sino la manifestación de un fenómeno legítimo de (crítica y limitada) "cross-pollination" cultural, que siempre ha existido a nivel de las élites, y absolutamente funcional en el nacimiento, desarrollo y floración de las grandes culturas (que para ser sí mismas tienen necesidad de otro del cual distinguirse y con el cual relacionarse dialécticamente), al cual se opone Faye, declarándose provocadoramente partidario del "aislacionismo cultural".

El pensamiento identitario de matriz, decíamos, italogermano y centroeuropeo se funda sobre una afirmación voluntarista de valores, tradiciones y elementos culturales que son defendidos y propugnados simplemente porque son los reconocidos y reivindicados como propios. Y ello sin necesidad de recurrir a una dudable Razón Universal, como tal susceptible de ser desmentida (¿qué le importa a un indio boliviano que nunca ha tomado contacto con el Occidente el pensamiento de Heráclito, o sobre qué bases debería reconocerlo como "superior" y prescindir de la cultura irreduciblemente distinta en la cual vive él?).

La misma teoría nacionalsocialista de la "raza superior", correctamente entendida, retiene la afirmación de ciertos valores y elementos a un nivel completamente interno a una dialéctica alemana y europea, a un juicio aparentemente fundado sobre elecciones y pertenencias ya dadas por descontado, y a una voluntad de poder colectiva y autofundada. A ningún autor o dirigente de tal ambiente se le habría pasado por la mente la idea de que la civilización europea pudiera ser considerada "superior" desde el punto de vista de un judío, un africano o un japonés, así como estaba claro para todos que el juicio diverso sobre estas tres razas y tradiciones, por ejemplo, fuese el único juicio posible sobre ellas: era el juicio desde el punto de vista europeo, alemán y nacionalsocialista, y no el de un inexistente "observador desencarnado".

En el momento en que –después de haber reconocido (y luego inexplicablemente olvidado) que cada raza y cultura no puede sino considerarse superior desde su propia perspectiva– introducimos la idea según la cual existe una posible "discusión" al respecto fundada en referencias comunes y "objetivas", justificamos evidentemente la "conversión" a la "superior" civilización occidental, conversión que a su vez termina por justificar la "acogida" por parte de ésta última de elementos humanos y culturales extraños, así "convertidos" y mestizados, a lo más bajo una temporal "tutela" europea, pero al final, inevitablemente, inmersos en la entropía étnica total.

Estoy perfectamente de acuerdo con el hecho de que los europeos deben ante todo (pre)ocuparse de su identidad cultural y racial antes de angustiarse por la de los otros, que además corren menos riesgos. Pero también es cierto que todo ataque occidental a la identidad de los otros representa una llama que ataca por ambos lados, porque el mestizaje étnico y cultural anula cualquier especificidad de pertenencia.

Y estas especificidades son, como reconoce Faye, una riqueza que condiciona la misma capacidad de la especie humana en su complejo de conservar la propia peculiaridad respecto al resto de la biosfera, sobrevivir y realizar el propio destino. Las razas y culturas humanas no son solamente como las razas de los caballos o de los perros. Son también experimentos, a escala cósmica y macrocósmica, de una autocreación en la cual el hombre es trágicamente llamado para ser, o mejor devenir, aquello que es. Por ello, toda gran civilización ha necesitado de la existencia y de la resistencia de otras poblaciones distintas, en términos genéticos, espirituales, lingüísticos, para autodefinirse y adquirir, polémicamente, una consistencia de sí. Lo repetimos una vez más: quien afirma agresivamente la propia identidad es un rival contingente, que la niega y reniega ("te envenena también a ti") con éxitos potencialmente fatales para todos los pueblos.

Al contrario, Faye tiene perfectamente razón cuando subraya la absoluta prioridad, entre las varias cuestiones políticas actuales, de la cuestión relativa a la inmigración alógena, como amenaza a la supervivencia étnica, física y biológica de los pueblos europeos.

En este sentido toda otra cuestión es relativamente secundaria, en cuanto que ésta representa la amenaza última, la catástrofe irremediable que hoy nos amenaza.

Pero de nuevo a mi parecer hay que añadir un nuevo dato, a nivel político, sobre la inserción de tal fenómeno en un escenario migratorio, e "inmigratorio", más complejo, que en cierto sentido constituye también el cuadro que hace posible, facilita o acompaña, tal "inmigración de población" fundamentalmente etnocida.

Intento obviamente hacer referencia a la inmigración que, por ejemplo, recibe hoy en día Italia de la Europa suroriental (Albania, Rumanía, ex Yugoslavia en primera fila), por ser un veinte por ciento del total y que técnicamente puede ser considerado un flujo interno europeo, y que aun siendo la única reprimida por el poder constituido (aunque sea con resultados ridículos) comporta consecuencias sociales desastrosas en términos por ejemplo de criminalidad común y mafiosa, de orden público, de ilegalidad difusa, que a su vez afecta a la ya limitada capacidad de resistencia y conciencia identitaria de las poblaciones más directamente expuestas. Igualmente merece ser mencionada la migración interna del Sur al Norte presente en muchos países europeos, así como de la "periferia" al "centro", en la última fase de un proceso re-instalación y proletarización (o mejor, "movilización" a la americana) que aún no ha terminado de consumarse así como aún no ha terminado de consumarse la destrucción en curso de las identidades regionales bajo el ataque concentrado de la inmigración alógena y de la "naturalización" forzada centralista aún en acto.

Reconocer el "status" de europeos a los albaneses o a los rumanos, y subrayar la paradójica discriminación sustancial que éstos sufren respecto a los senegaleses, los chinos, los filipinos o los zulúes, no significa aprobar o tolerar el traspaso en masa de aquellos a nuestras ciudades, o la implantación masiva de comunidades extrañas –y además parasitarias, nómadas o criminales– sobre el territorio italiano.

Así como la pertenencia al mismo Estado-nación no puede representar una justificación para la perduración en vastas áreas europeas, concretamente en el sur de ciertos países, de círculos viciosos típicos de la emigración – subdesarrollo – asistencialismo – clientelismo – mafia - emigración, que generan presiones fiscales y distorsiones económico-políticas inaceptables en las regiones urbanas y en el norte, causa a su vez de disgregaciones sociales según el modelo mexicano-brasileño, y de sucesivas e irresponsables importaciones de mano de obra a bajo precio sobre todo el territorio (ver la actual situación de la agricultura en el valle del Po).

Estos fenómenos, lejos de ser irrelevantes, constituyen el marco en donde se inserta y prospera el etnocidio de las poblaciones europeas autóctonas, contribuyendo a desquiciar los "fundamentos" comunitarios de una posible resistencia, como parecen al menos haberse dado cuenta las áreas más conscientes del legismo italiano, del movimiento bretón o del nacionalismo galés.

En fin, hemos visto cómo Guillaume Faye profetiza la guerra civil étnica sobre el suelo europeo. Que será, como él mismo precisa, antes que una guerra civil del tipo clásico y fratricida, una guerra de liberación nacional, en sentido muy literal.

El autor manifiesta sin embargo, con razón, una desconfianza absoluta en la capacidad de nuestra sociedad para administrar el impacto del asentamiento masivo de poblaciones y culturas alógenas y hostiles (sea a través de la absorción forzada o a través de la implantación de un modelo social "multicultural" y neotribal) y en la posibilidad actual de contrastar el fenómeno en el ámbito de la pura política gubernamental o en el ámbito de la legalidad constitucional e internacional del Sistema, y es así que prevé el alcance en todo caso de un punto de ruptura que ponga en discusión los procesos denunciados. Y no sólo. Confía en que tal crisis se produzca, como elemento necesario para que pueda producirse un vuelco de la mentalidad presente y del escenario político contemporáneo, en un contexto sustancialmente insurreccional.

Ahora bien, que no existen soluciones prácticas en el interior del contexto político y cultural contemporáneo es perfectamente cierto, así como lo es el hecho de que se debe tener el coraje salir decisivamente de los parámetros mentales de la "political correctness" y de los regímenes democrático-liberales tradicionales. La "espera de la crisis" en el pensamiento de Faye, crisis étnica en "La colonización de Europa" como económica y ecológica en "El Arqueofuturismo", amenaza sin embargo de colorearse de aspectos mesiánicos, en el sentido en que la Revolución comunista era la espera de la extrema agravación de la explotación, de la concentración de la propiedad de los medios de producción y de la lucha de clases. Por lo demás puesto que tal crisis es tanto más probable cuanto más brutal, cuanto menos gradual es el fenómeno combatido, tal postura lleva a una valoración ambigua de su agravación, por sus auspiciadas potencialidades "catastróficas", en sentido etimológico; valoración que amenaza confinar, como en todos los "adventismos" religiosos y laicos, con una "lógica de lo peor", a nivel político fundamentalmente desmovilizante, en cuanto incoherente con los valores defendidos. Una lógica verdaderamente peligrosa, exactamente a la luz de la potencial irremediabilidad, sobre lo cual el mismo Faye insiste mucho, de procesos que inciden sobe la misma existencia física del sujeto histórico europeo, entendido como grupo etnocultural concreto. Soy, en efecto, en cierto modo más pesimista que el autor; y no se me escapa, bajo la falsilla de las reflexiones de Giorgio Locchi, que, si la historia es verdaderamente "abierta", el mismo fin de la historia es posible; que, a pesar de la resistencia siempre renaciente a la misma, la entropía cultural racial y lingüística encarnada por el Sistema puede perfectamente realizarse hasta el fondo, también a precios y con costos hoy impensables para sus actores. De la "crisis" profetizada no me parece en efecto cierto ni su verificación –especialmente allí donde y cuando la gradualidad, la aceleración de los fenómenos extiendan la toma de conciencia y de reacción colectiva–, ni sobre todo el éxito. Para que estalle la guerra de liberación, y sobre todo para que resultemos vencedores, debe haber alguien dispuesto a combatir. El etnocidio de por sí no genera revuelta, o al menos revuelta de relieve político, como la crisis económica y la explotación no generan por sí la revolución, o la difusión del pecado y los cataclismos simbolizadores del adviento del Anticristo generen de por sí las condiciones para la Segunda Venida.

Pero, mientras el mito solsticial ("la ocasión se manifiesta a quien la sabe atender", "donde el peligro es mayor, allí nace lo que salva", "tocar el fondo del cual ya no se puede salir", "nada hay más oscuro que la medianoche", etc.) representa una referencia espiritual ineludible para quienes hoy se baten por el renacimiento y la misma supervivencia de Europa, es útil reafirmar que no es la crisis la que provoca la "ruptura del tiempo de la historia" de la que representa a lo sumo la ocasión, sino que es la voluntad histórica del sujeto que en ella se esconde.

Y no sabremos cómo suscitar, mantener y cementar tal voluntad si no es a través de una acción y una praxis militante y coherente con los principios afirmados, que impongan hoy combatir la colonización y el etnocidio de Europa a todos los niveles y en todos los ámbitos posibles y concretamente en la elección política y personal cotidiana, ciertamente en la conciencia de su insuficiencia y en la determinación de aprovechar el cambio de las condiciones comúnmente destinadas a producirse, pero también en el apoyo constante a cualquier iniciativa de contraste y contención que se ofrezca concretamente.

 

 

Traducción de Santiago Rivas

 

 

Notas

(1) Grupo de Investigación y Estudios para la Cultura Europea. "Grece", en francés, significa "Grecia" [NdT]

(2) Con el título "Il sistema per uccidere i popoli" (El sistema para matar a los pueblos), Societá Editrice Barbarossa, Milano 1997.

(3) Indagaciones sobre los Derechos Humanos.

(4) Nuevos discursos a la Nación Europea.

(5) Occidente como decadencia.

(6) Ediciones Nueva República. Barcelona 2003.

(7) (El eclipse de lo sacro). Editions du Labyrinthe. París 1990.

(8) Traducido al español por Klaas Malan y disponible en red-vertice.com

(9) La Colonización de Europa. Edición particular. Madrid 2001

(10) El grupo dirigido por Gianfranco Fini, que aglutina a los denominados "postfascistas" procedentes del antiguo MSI:

(11) "Catto-comunista", expresión corriente en el lenguaje político italiano y de difícil traducción literal a otras lenguas. En sí, hace referencia a las corrientes de la Iglesia Católica permeables a las ideologías progresistas en general y no tanto marxistas en particular.

(12) Se trata de una famosa asociación cultural y folclórica celticista. Los Arvernos fueron una de las tribus de la antigua Galia.

(13) Referencia a la famosa obra de Julius Evola, "Rivolta contro il mondo moderno".

(14) Beur: joven árabe nacido en Francia de padres inmigrantes.

(15) "El Islam y los EEUU. Una alianza contra Europa". Inédito, no publicado. Madrid 2000.

(16) se trata de una broma: los prefijos telefónicos internacionales, desde Italia, comienzan todos 000.

(17) Obviamente escrito antes de la segunda Guerra del Golfo y la posterior ocupación americana.

 

[Extraído de la Revista L'Uomo Libero, número 51, Mayo de 2001]

dimanche, 21 septembre 2008

G. Faye: le choc des conceptions du monde

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Le choc des conceptions du monde

 

par Guillaume FAYE

 

La pensée métaphysique, issue du monothéisme et qui s'achève dans l'humanisme, a voulu définitivement nommer l'être, le «connaître», et, par là fixer les valeurs. La métaphysique, rompant avec la philosophie grecque pré-socratique, a pensé l'être-du-monde comme un acquis, comme une valeur suprême. Elle a envisagé l'être comme Sein  (Etre-en soi) et non comme Wesen (Etre-Devenir). Le mot français «être», ne rend pas ce double sens. Rechercher   —et prétendre trouver—  l'être comme Sein (einai en grec), c'est le dévaluer, c'est commencer une "-«longue marche vers le nihilisme». La philosophie de l'Esprit (Geist;  le noús  platonicien) prend le pas sur la philosophie de la vie et de l'action, sur la «création», la poiésis.  Toute une anthropologie en découle: pour la conception-du-monde de la tradition métaphysique et humaniste, l'humain est un être achevé puisqu'il participe de valeurs suprêmes (Dieu, notamment, ou des «lois», des «grands principes moraux») elles-mêmes achevées, connaissables, stables, universelles. «Il n'y a plus de mystère dans l'être» dit alors Heidegger. Enfermé dans les essences et les principes, l'humain perd son mystère: c'est l'humanisme précisément. Toute possibilité de dépassement de l'humain par l'homme doit être abandonnée. Les «valeurs» humaines, prononcées une fois pour toutes, courent alors le risque de la sclérose ou du tabou.

 

D'où la séparation, qui s'est toujours remarquée dans l'histoire, entre les valeurs proclamées avec emphase par les philosophies monothéistes et humanistes, et les comportements auxquels elles donnaient lieu. Sur le plan religieux, l'enfermement de l'action humaine dans des «lois», et le caractère infini mais fini à la fois du Dieu suprême, que l'on sait être définitivement omnipotent, tend a transformer le lien religieux en relation intellectuelle, en logos,  compromettant à la longue la force des mythes. Spinoza, Leibniz, Pascal et Descartes offrent des exemples de cette transformation de la métaphysique religieuse en logique; il faut se souvenir de l'amor intellectualis dei  de Spinoza, de la déduction des attributs de Dieu chez Leibniz, de l'intelligibilité de Dieu pour toute raison, affirmée par Descartes, ou, allant encore un peu plus avant dans le nihilisme religieux, du paradigme marchand du pari sur le divin de Pascal. Bernard-Henri Lévy avait parfaitement raison, en proclamant conjointement son biblisme et son athéisme, dans Le Testament de Dieu,  de se dire fidèle à la religion métaphysique hébraïque, creuset des autres monothéismes, la première à avoir formulé la préférence du logos  sur le muthos.

 

Perpétuel interrogateur

 

Au rebours, la tradition grecque qui commence avec Anaximandre de Samos et Héraclite, et qui serpentera, en tant que conception-du-monde implicite dans toute l'histoire européenne jusqu'à Nietzsche, se refuse à nommer l'être. Celui-ci est pensé comme Wesen  (être-en-devenir) comme gignesthai  (devenir transformant), mais n'est jamais défini. Le mot grec pour «vérité», nous explique Heidegger, est alèthéia,  ce qui signifie «dévoilement inachevé». La vérité n'y est point celle du Yahvé biblique, «Je suis l'Un, je suis la Vérité». Est vérité ce qui est éclairé par la volonté humaine, cette volonté qui soulève le voile du monde sans jamais faire advenir au jour la même réalité.

 

Dans la philosophie grecque, comme chez Heidegger, des mots innombrables sont utilisés pour «penser l'être». On ne pourra jamais répondre à la question de l'être, comme on ne pourra jamais connaître 1'«essence du fleuve», perpétuellement changeant, qui coule sous le pont. Le monde, dans son être-devenir, reste alors toujours l'«Obscur», et l'homme, un perpétuel interrogateur, un animal en quête constante de l'«éclairement». L'hominité, nous dit Heidegger, est caractérisée par le deinotaton, l'«inquiétance»: inquiéter le monde, c'est le questionner éternellement, le faire sortir et se faire sortir soi-même de la quiétude, cette illusion de savoir où l'on est et où l'on va.

 

Cette conception-du-monde se représente l'humain, perpétuel donneur de sens, en duel avec le monde, qui se dérobe à ses assauts, et qui demande, pour se laisser partiellement arraisonner, toujours de nouvelles formes d'action humaine, de nouveaux sens, de nouvelles valeurs, qui seront à leur tour transgressées.

 

Sacré et ouverture-au-monde

 

La mythologie grecque qui nous offre le spectacle de combats entre des dieux inconstants et des guerriers humains jamais découragés, toujours ardents dans leur passion de violer les lois divines pour préserver leur vie ou les lois de leur communauté, constitue l'aurore de cette conception européenne du monde. Une fin de l'histoire, par la réconciliation avec le divin métaphysique, enfin connu, lui est profondément étrangère. Cette conception-du-monde est la seule qui autorise à envisager la fondation d'un surhumanisme: l'humain, passant de cycles historiques de valeurs en cycles historiques de valeurs, transforme à chaque étape épochale la nature de sa Volonté-de-Puissance selon le processus de l'Eternel Retour de l'Identique. Le cosmos reste un mystère, il est 1'«obscur en perpétuel devoilement», comme, de manière singulièrement actuelle, l'envisage aussi la physique moderne. Le mythe reste présent au cœur du monde; cette impossibilité voulue et acceptée de connaître et de nommer l'être du monde, confère à celui-ci un caractère aventureux et risqué, et à l'action humaine la dimension tragique et solitaire d'un combat éternellement inachevé. Le sacré, au sens le plus fort, peut alors surgir dans le monde: il réside dans cette distance entre la volonté humaine et la «dérobade» du monde, bien visible d'ailleurs dans les entreprises scientifiques et techniques modernes. Le sacré n'est pas réservé à un principe (moral ou divin) ou à un attribut substantiel de l'être (un dieu), mais il habite par le fait de l'homme, le monde. Le sacré s'apparente à un sens donné par l'humain à son entour: le monde, nous dit Hölderlin, est vécu alors comme «nuit sacrée». Il n'y a plus lieu de se rassurer en recherchant 1'«essence de l'être», prélude à la fin de l'histoire, puisque l'homme de cette conception grecque du monde désire l'inquiétude. Il s'assume ainsi comme pleinement humain, c'est-à-dire toujours en marche vers le sur-humain, puisqu'il se conforme à son ouverture-au-monde ( la Weltoffenheit  dont parlait Gehlen) inscrite dans sa physiologie et éprouvée par la biologie moderne.

 

La recherche de l'être comme Sein, quête de l'absolu métaphysique et moral, peut s'envisager alors comme une entreprise in-humaine, et l'humanisme qui en découle philosophiquement comme une idéologie proprement non-humaine, plus exactement maladive. C'est dans l'historicité (Geschichtlichkeit)  et la mondanité (Weltlichkeit),  ce que les grecs appelaient le to on (l'étant) et les latins l'existentia, que réside le chemin que nous pouvons choisir de suivre ou de ne pas suivre.

 

Le suivre, s'enfoncer dans le Holzweg, la sente de bûcheron qui ne mène «nulle part» sinon «au cœur de la forêt sacrée», dont nous parle mystérieusement Heidegger, voilà ce qui est renouer avec l'aurore de la Grèce: reprendre le fil coupé par le christianisme et «la sortir de l'oubli». La sente ne mène pas vers un bourg, celui où les marchands se reposent, mais, inquiétante, elle s'enfonce vers l'aventure. L'«aventure», c'est-à-dire   l'advenir, ce qui, au détour du chemin «surgit du futur»: l'histoire.

 

Voici donc le sens fondamental de l'entreprise de Nietzsche, puis de Heidegger, et après lui sans doute de bien d'autres: réinstaller, en Europe, à l'époque technique, cette conception-du-monde incomplètement formulée, inachevée par certains grecs, mais le faire sous une forme différente, auto-consciente en quelque sorte, en sachant que même ce travail sera à recommencer. Nous, hommes du soir, de l'Hespérie (Abend-land), (par rapport à cette Grèce des pré-socratiques qui a voulu être l'Aurore d'une conception du monde) un travail nous attend, qui n'a rien de philosophique, au sens intellectuel du terme: rendre auto-consciente, au sein de l'Europe de la civilisation technique, une forme transfigurée de cette conception-du-monde, ou de cette religion-du-monde de l'aube grecque, tirée de l'oubli par Nietzsche et Heidegger.

 

Guillaume FAYE.

 

lundi, 02 juin 2008

G. FAye: Preparing for WW3

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Dear Friends, here a US-American analysis of Faye’s last book.
Beste vrienden, hier een Amerikaanse analyse van het laatste boek van Faye.
Liebe Freunde, Hier eine US-amerikanische Analyse von Fayes letztes Buch.
Chers amis, voici une analyse américaine du dernier livre de Faye.

Preparing for World War III

ex: http://theoccidentalquarterly.com/vol3no2/mo-worldwara.html

 

Avant-Guerre: Chronique d’un cataclysme annoncé

(Pre-War: Account of an Impending Cataclysm)

Guillaume Faye, Paris: L’ Æncre, 2002, 24 Euros, 382 pp.

Reviewed by Michael O’Meara

Readers of The Occidental Quarterly are probably unfamiliar with the work of Guillaume Faye, but his ideas are increasingly those of Europe’s nationalist vanguard.

An early associate of Alain de Benoist and one of the architects of the European New Right, the young Faye left politics in the late 1980s to pursue a career in media.  In 1998 he returned, instantly re-establishing himself as the intellectual force on the nationalist right.

He has since published five books, each of which has had a major impact on the struggle against multiculturalism, Third World immigration, and globalization.
1 Unlike Benoist and other New Right theoreticians, whose defense of the European ethnos is waged almost exclusively on the cultural terrain, and unlike Le Pen's National Front, which favors the assimilation rather than the forced repatriation of non-Europeans, Faye claims that race is not only primary to cultural identity, but that race and culture are, at root, inseparable.  For this reason he argues that the struggle to preserve Europe's cultural patrimony is no less a struggle to defend its genetic heritage and the ethnic integrity of its Lebensraum.(2)

His latest work—Avant-Guerre: Chronique d’un cataclysme annoncé (Pre-War: Account of an Impending Cataclysm)—is reminiscent of Spengler’s Hour of Decision.  Like Spengler, Faye looks at the storm clouds on the horizon and predicts that within ten years a coming era of world-altering tempests will descend on the white race, determining if it is to have a future or not.

In his view, these cataclysms will be neither ideological nor economic in character, but (à la Huntington) racial and civilizational, involving clashing continental blocs and warring ethno-racial groups. They are thus likely to engender unprecedented violence and destruction, forcibly shaking white people from the stupor that is leading them toward extinction.  Although presently unprepared to fight such wars and alienated from all that is distinct to their race and heritage, the struggles of the twenty-first century, he believes, will give Europeans on both sides of the Atlantic a final chance to throw off the forces that have denatured and debilitated then over the last half century.

Europe and America

Like most "nationalists" who fight in Europe’s name, Faye is extremely critical of the American government and the role it has played in repressing the worldwide forces of white solidarity. But unlike many on the anti-American right, Faye does not believe the U.S. is Europe’s principal enemy, even if its Judeo-liberal New Class has been responsible for eroding European autonomy and demonizing its culture. An enemy, he contends, does more than corrupt and intimidate, it threatens one’s biological existence. Taking his cue from Carl Schmidt, he thinks it is more accurate to characterize the U.S. as Europe’s "adversary"—an adversary that needs to be opposed if Europeans are ever to re-assert the Faustian project distinct to their ethos—but nevertheless one with whom a life-and-death struggle is not at all inevitable.

The real enemy threatening the white homelands comes, he claims, from the Third World.  Accordingly, the terror attack of "9/11" suggests one form his predicted cataclysm will take. But while Islam is Europe’s principal enemy, it is not, paradoxically, America’s. Based on the work of General Gallois, Alexandre Del Valle, and a new generation of European geopoliticists, Faye argues that Islam has long served the U.S. in furthering the hegemonic ambitions of its global village, specifically in dividing Europe and weakening Russia. That its recruitment and arming of Islamic fanatics to fight in Afghanistan and Chechnya and in Bosnia and Kosovo at last boomeranged ought not to detract from the fact that for a quarter century the U.S. systematically incited Islamic insurgencies for the sake of its strategic aims.

In Faye’s view, America’s principal Third World enemy, and thus the power it will face in World War III, comes not from the Middle East (even if militant Islam continues to target it), but from a rapidly developing and technologically armed China bent on contesting its dominance in the Pacific. In this potential Sino-American conflict, Faye believes the future lies entirely on the Chinese side. Unlike the Middle Kingdom, the U.S.’s disparate mix of race and cultures has left it without a coherent heritage and thus a destining project worth dying for. This makes it not a nation in the European sense, but simply une symbiose étatico-entrepreneuriale. Because such an entity is likely to fly apart if challenged by a determined enemy, in the great cataclysms to come it will be Europe (and Russia), not the U.S., that will stand at the center of the struggle to defend the white West from a hostile non-white world.

Islam

While America’s future holds out the prospect of an interstate war with China, Faye believes Europe faces an intrastate war with the forces of an insurgent Islam—a war, to repeat, that will resemble 9/11 more than the conventional military engagement the U.S. can expect in the Pacific.

In the four decades since 1962, when Africa broached Europe’s southern frontier, the continent, especially France and Belgium, has been inundated by successive waves of Third World immigrants. The amplitude of this immigration, involving masses not individuals, is such that not a few demographers contend that it is more accuratelydescribed as "colonization." Due to disproportional birthrates, the unrelenting influx of non-white, unassimilable, and largely Muslim immigrants has already begun to "de-Europeanize" Europe. For example, virtually everywhere they have settled in France they have succeeded in "ethnically cleansing" former neighborhoods, establishing not ghettos, but conquered territories, from which future conquests are being prepared. With their seven to eight million inhabitants, these territories have become, in effect, hostile African/Middle Eastern encampments within an increasingly besieged France.3

This immigration is creating an extremely volatile situation, for Europe lacks the massive police apparatus and vast geographical expanses that have kept ethnoracial tensions ‘manageable’ in the U.S. Typically, in urban areas where neighborhoods have been lost to Islamic civilization, Europeans have come to experience not only escalating levels of violence and insecurity, but the loss of their laws and institutions. There are now more than 1400 zones de non-droit in France (including eleven towns), and in nearly a hundred of these, republican jurisdiction has been supplanted by the shari`a (Islamic law).4

Within such zones, whose deteriorating conditions politically correct public officials persist in describing in socioeconomic rather than biocultural terms, it is nearly impossible for a Frenchman to reside in the public housing estates (HLM) built for the French working class, to find a café serving wine or ham, or for his wife to dress or behave in public as do European women. In contrast to the Little Italies and Germantowns arising in many American cities in the last century, these non-European enclaves have not the slightest intention of assimilating into the dar-al-Harb (the "impious" non-Islamic world, which Muslims view as the "world of war"), and have, in fact, begun to assert their autonomy vis-à-vis it. In recent years, hardly a week passes without a newspaper report of a riotor bloody incident provoked by clashes between police and Muslim gangs.

Since 1990, urban violence has grown five percent annually—since 2000, by ten percent—as the anomie, violence, and disintegration associated with America’s inner cities becomes an increasingly familiar European reality. In fact, in 2000, for the first time in history, French criminality, whose ethnoracial character is overwhelmingly non-European, surpassed that of the U.S. crime rate; and Paris, once the City of Lights, became the least safe of the major European cities.

In the face of these threats to the continent’s demographic, cultural, and institutional foundations, the media, the academy, and the established "anti-racist" organizations (mostly controlled by Zionists) attempt to silence whoever criticizes such changes, all the while making the term "multiculturalism" emblematic of the mobile postmodern society of optional values and fashionable identities that comes with globalization. Instead, then, of mobilizing the Christian West against such threats, these New Class forces preach cowardice, resignation, escapism, and a self-destructive humanitarianism.

An ethno-masochistic response of this kind has naturally emboldened the more militant members of France’s Muslim community, who now call for jihad against the "white cheese." Public authorities, though, persist in distinguishing between violent fundamentalists (who number perhaps 40,000) and the "peace-loving" Muslim community, unable or unwilling to acknowledge Islam’s inherent hostility to Europe’s secular society.  Between orthodox and fundamentalist Islam, Faye, though, claims there is solely a difference in temperament. And even this is increasingly compromised by fundamentalist aggressions. Years before the 9-11 attack on the symbols of U.S. hegemony, this "monstrous offshoot of Judaism" had already begun its third great offensive against the dar-al-Harb, targeting Europe as a future Muslim homeland.5

Buoyed up by U.S.-protected strongholds in Southeast Europe (Albania, Bosnia, Kosovo), U.S. pressure to admit Muslim Turkey to the EU, and large stockpiles of sophisticated arms, Islamists have already begun organizing for a new conquest.

It is not surprising, then, that Faye interprets the growth of European Islam as the opening salvo in a larger struggle for the continent’s future.
6 Faye’s militant opposition to Islam does not, however, bear a resemblance to that of President Bush’s handlers. The struggle against Islam, he insists, is a struggle to free Europe from a dire threat to existence—not a justification for further Zionist aggression.

What War Will Bring

In the coming cataclysms—likely to involve street battles between rival racial communities, guerrilla skirmishes, mega-terrorism, perhaps even small-scale nuclear exchanges with "dirty bombs," along with conventional-style invasions from neighboring Islamic armies—Faye believes Europe will either perish or experience a rebirth. In any case, the confrontations ahead will create a situation in which the present politically correct delusions are impossible to sustain.

For like every great struggle affecting human’s natural selection, war privileges the elemental and the vital. With it, the subtleties and distractions that sophists and simulators have used to misdirect Europeans cannot but cease to count, as will those minor differences that have historically divided them. Then, as "money and pleasure" cede to the imperatives of "blood and soil," only the traditions, the way of life, and the genetic principles defining them as a people will matter.

The situation the white race finds itself in today may therefore be unconditionally bleak, but in that hour when everything risks being lost, Faye believes a final opportunity for renaissance will present itself.

In this vein, he predicts that the dominant musical theme of the twenty-first century will be neither an orchestral ode to joy nor the doggerel of an urban savage, but rather a solemn military march based on ancient hymns. Europeans on both sides of the Atlantic, he advises, would do well to keep step with its strong, marked rhythm.
 

Michael O’Meara is a scholar who resides and teaches on the West Coast of the United States. He is the author of numerous articles and book reviews.

End Notes


1. L’archéofuturisme (1998); Nouveau discours à la nation européenne, 2nd ed. (1999);  La colonisation de l’Europe (2000); Pourquoi nous combattons (2001). All these works have been published by L’Æncre and can be purchased at the Librairie Nationale, 12 rue de la Sourdière, 75001 Paris, or on the Internet at www.librairienationale.com/.

2. See Michael Torigian, New Right, New Culture: Anti-Liberalism in Postmodern Europe (Lanham, MD: University Press of America, 2003).

3. The number of non-Europeans in France is not officially known. The cited figure is the estimate of one of the country’s leading demographers. See “L’avenir démographique: Entretien avec Jacques Dupâquier,” in Krisis 20-21 (November 1997). Another academic (J. P. Gourevich) claims it is closer to 9 million. Some put the figure as high as 14 million, while the media usually refer to 4, 5, or 6 million. But more alarming than these figures is the fact that one-third of the population under 30 is now of non-European origins and has a birth rate four or five times higher than the European one.

4. Jeremy Rennher, “L’Occident ligoté par l’imposture antiraciste,” in Écrit de Paris 640 (February 2002). Even the politically correct editor of Violences en France (Paris: Seuil, 1999), Michael Wieviorka, acknowledges that the explosion of violence and criminality since 1990 is an outgrowth of Islamic power. Because the French government keeps most data on immigrant crime and racial terror securely under wraps, the little that is known has been surreptiously leaked by frustrated officials. The publication with the best access to these leaks is the monthly J’ai tout compris! Lettre de désintoxification, edited, not coincidentally, by Guillaume Faye.

5. The first, Arab wave of the seventh century brought the Muslims to Poitiers, and the second, Turkish wave of the twelth through the seventeenth centuries led to the destruction of Christian Byzantium and the seige of Vienna. The third wave, in the form of the present colonization, is stealthy in character, but potentially even more catastrophic.

6. Accordingly, the more militant Europeanists now invoke the need for a new reconquista. This is especially evident in Philippe Randa’s novel Poitiers demain (Paris: Denoël, 2000) and the album Reconquista by the group Fraction (Heretik Records).
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